« Le chant du silence » est un roman qui traite du retour d’un personnage sur les traces de son passé. Damien formait avec Oriane et Gustave un trio d’amis inséparables en 1995. Un drame a eu lieu cette année-là, qui a obligé Damien et sa mère à quitter définitivement la région. Le roman se déroule dans deux espaces-temps : 1995, sous forme de retours dans le passé, partie dans laquelle Jérôme Loubry nous raconte l’adolescence de ces trois protagonistes, et 2019 consacrée au retour de Damien sur les terres de son enfance, à cause du suicide de son père, qui s’est jeté du haut des falaises de la baie des veuves. Événement d’autant plus troublant, que ce suicide a lieu le jour anniversaire du crime, que le père est censé avoir commis… Damien va retrouver son amour de jeunesse, Oriane, qu’il a abandonné lors de son départ précipité avec sa mère. Il ne vient pas faire la paix avec la mémoire de son père, il vient cracher sur sa tombe. « Je suis débarrassé de toi, à présent. Et cette ville aussi, vieil alcoolique. Tu étais déjà un fantôme de ton vivant, dorénavant, tu n’es plus rien. » C’est lorsque Franck, ancien ami du père, rencontre Damien qu’il laisse entendre que la vérité n’est peut-être pas celle qu’il croit. « Mais tu es un homme à présent, et tu devrais envisager l’idée que cette ville, et toi également, vous vous soyez trompés depuis le début… »
« Le chant du silence » possède une atmosphère similaire au douzième chapitre. Entendez, par-là, une bande de copains, des secrets d’adolescence, un drame. L’atmosphère de ce sixième roman y est assez similaire. Néanmoins, il m’a semblé qu’il y avait ici quelque chose de supplémentaire, une cerise sur la gâteau inattendue et très appréciée : la poésie de l’écriture. Jérôme Loubry utilise de nombreuses descriptions poétiques pour consolider l’atmosphère triste et la rancœur du présent combinée à la nostalgie et la gaieté fragmentée de 1995. Ce texte vit d’abord par son ambiance. C’est la base du roman. C’est cela qui fait naître les émotions. Les personnages apparaissent comme de petites touches supplémentaires, presque comme dans un tableau pointilliste, pour venir compléter la toile. La mémoire et les souvenirs font le reste. Évidemment, il s’agit aussi de mettre en lumière une enquête, mais ce n’est pas pour moi l’essence de ce récit.
Avant d’être une enquête, c’est-à-dire analyser la culpabilité du père face à un crime que je vous laisse découvrir, « Le chant du silence », est avant tout un roman noir. Il aborde de façon sociétale, la vie des pêcheurs, difficile, mais aussi l’existence et les angoisses de leurs proches. Les problèmes d’argent quand la pêche est mauvaise, la pollution maritime quand le pétrole s’échappe d’un bateau, les risques encourus pour la flore et la faune, donc pour l’homme qui consomme ces produits. L’auteur décrypte les émotions, un passé, une histoire commune, des souvenirs, et le lecteur se retrouve en introspection dans la tête des personnages, notamment dans celle de Damien. L’auteur joue avec des codes singuliers et métaphoriques. Ici, tout est une question de silence, donc de secrets, de non-dits, de cachotteries, mais aussi de cris. Cris à pousser, cris à retenir, cris à étouffer, cris pour guérir. « As-tu déjà rencontré des silences qui te meurtrissent au point de vouloir fermer les yeux et prier pour que ce ne soit qu’un mauvais rêve ? »
J’aime ces romans dont l’ambiance nous envahit tout entier. Elle assiège notre esprit et procure ce besoin impérieux de retourner à la lecture. En Damien, Oriane, ou Gustave, nous pouvons tous retrouver quelque chose de notre adolescence : un arrière-goût de déjà-vu, des amours mélancoliques qui se terminent, des demi-vérités et des mensonges éhontés. Le mensonge, à force d’avoir été répété, finit par devenir une vérité. Damien a été bercé de chimères. Et, il y croit dur comme fer. Il a des certitudes. Il n’a aucun doute sur la culpabilité de son père. Et, lorsque des années plus tard, le doute s’insinue lentement en lui, une partie de ce qui il est, s’écroule. « Le chant du silence » est donc un roman plus psychologique, plus dans l’introspection, axé sur l’atmosphère et les blessures des personnages. La partie enquête n’est pas délaissée. Néanmoins, et parce que je suis une grosse lectrice de thrillers, de polars, et de romans noirs, j’ai émis une hypothèse dans les cinquante pages du roman. Cette hypothèse s’est avérée exacte, mais, si vous me connaissez un peu, vous savez maintenant que ce qui m’intéresse dans ce type de récit, ce n’est pas la fin, mais c’est comment on y arrive, et comment l’auteur s’y prend pour nous faire croire à ce qu’il a imaginé. Il me manquait donc le mobile, et la crédibilité qui devait aller de pair avec ce mobile. Je n’ai pas été déçue par la proposition de l’auteur, parce que les séquelles que peut laisser l’adolescence, nous les transportons toute notre vie. « Mais le temps ne cicatrise rien. Il se contente d’observer les blessures avec son air narquois et de les griffer de temps à autre pour les raviver. »
Jérôme Loubry ne cesse de me surprendre par la variété de ses romans. On ne sait jamais sur quel terrain il va nous emmener. C’est une sensation plutôt agréable pour quelqu’un qui ne lit pas les quatrièmes de couverture. La découverte est totale, l’immersion quasi immédiate.
Interview de Jérôme Loubry par Yvan du blog EmOtionS
Article de Franceinfo sur le roman de Jérôme Loubry
DE SOLEIL ET DE SANG, Jérôme Loubry – Calmann-Lévy, sortie le 2 septembre 2020.
LES REFUGES, Jérôme Loubry – Calmann- Lévy, sortie le 4 septembre 2019
Nous sommes en phase 🙂
Comme souvent 😉
Magnifique Hate de le lire j’aime ce genre d’atmosphère. Pour moi aussi peu m’importe de savoir quel est le meurtrier dès le départ c’est le chemin avant l’acte qui m’intéresse. Merci pour cette analyse
C’est tellement plus intéressant que la fin ! 🙌
Oh quelle belle chronique !
Je suis d’accord avec toi, Jérôme nous étonne à chaque nouveau livre.
Moi, perso, je suis fan 🙂
Un auteur qui sait se renouveler !
Oui chacun de ces bouquins sont des pépites d’un éclat différent
Cest pas le deuxième chapitre mais le douzième, le titre du livre.
Jérôme ne cesse de se renouveler et il est doué. Bougrement doué.
Merci à toi Aude pour la chronique. 🙏😘
J’ai écrit 2e ? Oups !!! Merci, je vais rectifier
À une lettre près, c’était bon. Ça peut arriver Aude. Ça n’enlève rien à ta chronique. 😊😘
Et pourtant je relis 112 fois 🤣
Mais c’est pas grave. Ça peut arriver. Maintenant j’ai la chanson des refuges dans la tête. “parlez moi d’amour” 🎶🎵😜
Dans ma PAL ! Hâte de le lire, avec tous ces avis unanimes !
Reste à le sortir de la PAL 😉
Il est dans mes lectures prioritaires, ainsi que Johanna Gustawsson et Jack Jakoli ! Mes court-circuiteurs de PAL !
Y