Que savez-vous de l’histoire d’Haïti en 1984 ? En 2010 ? Si ce n’est ce séisme terrible qui s’est abattu sur le pays le 12 janvier de cette année-là ? Peut-être comme moi, pas grand-chose. À peine, le situer sur une carte, rien sur les évènements historiques, les problématiques ou encore les enjeux. Le prétexte du thriller est souvent un excellent moyen d’éclairer les consciences et d’aborder des sujets méconnus. Pour son quatrième roman, Jérôme Loubry nous entraîne donc en Haïti, entre Port-au-Prince, la partie riche du pays et Piéton-Ville, un quartier où règne misère, crasse et damnation. En cette période trouble où tout voyage est compliqué, voir interdit, il est très agréable de pouvoir s’évader vers des contrées lointaines, a fortiori celles où jamais l’on n’avait prévu de se rendre tant elles ne font pas partie des destinations idylliques que l’on rêve de visiter avant de mourir. ( c’est gai cette entrée en matière !)
De Haïti « comme un pays de soleil et de sang, comme un ogre affamé de ses propres enfants », je ne savais rien. J’ai donc fait des recherches parallèles à ma lecture pour m’immerger totalement dans la culture de ce pays à l’Histoire complexe et aux traditions singulières. En effet, le vaudou hante ce roman et permet une immersion totale dans le récit. « Cette religion faisait partie de l’intime. Elle coulait dans les veines de tous les habitants depuis des générations, depuis la création de cette terre de soleil par le sang, depuis le courage des premiers esclaves enivrés par le rythme lancinant des incantations et des tambours vaudous. »
En 2009, Simon Bélage, flic de son état, travaille sur une enquête des plus effroyables : des corps suppliciés sont retrouvés accompagnés d’origami formant un cercueil. Dans ce pays où les traditions perdurent, des crimes vaudous sont rapidement évoqués provoquant la terreur. Le vaudou est une force puissante qui doit être respectée et avec laquelle il ne faut pas jouer. Simon Bélage, plus cartésien, ne croit pas franchement à ces mythes dont il a même tendance à un peu se moquer. Parallèlement, à Paris en 2005, Vincent fait la connaissance de Méline qui deviendra sa femme. Entre eux, une passion commune : « J’ai perdu mon Eurydice » chantée par Maria Callas. « Si je devais retenir un moment de notre rencontre, ce serait celui-ci. Nos deux silences. Notre immobilité. Ces promesses invisibles que l’on formula au fond de nos iris, bien à l’abri et préservées dans nos certitudes amoureuses. » Jérôme Loubry prend un malin plaisir à nous balader d’un pays à l’autre, faisant évoluer ces deux histoires jusqu’à ce qu’elles finissent par se rencontrer, une construction que j’affectionne tout particulièrement lorsque les deux histoires sont intelligemment menées comme c’est le cas ici.
Quelle est donc la place accordée aux enfants d’Haïti dans ce roman ? Essentielle, puisque l’intrigue tourne autour « des six de la Tombe joyeuse », nom d’un orphelinat qui ne manque pas d’ironie! Derrière ses portes, l’auteur vous réserve bien des surprises, à avoir les cheveux dressés sur la tête tant il est difficile d’imaginer le destin de ces enfants. Élevés dans le marché de la mendicité infantile, ils sont souvent vendus et placés dans des orphelinats tels que la Tombe joyeuse.
Dans ce quatrième roman de Jérôme Loubry, il m’apparaît important de souligner certains points essentiels. D’abord, j’ai trouvé que son style d’écriture s’était considérablement étoffé, comme si la chaleur écrasante d’Haïti avait rejailli sur ses mots pour les rendre plus en phase avec leur environnement : chauds, moites, irrespirables et grouillants. Les descriptions de la ville, ou l’évocation des traditions sonnent extrêmement juste, quand elles ne sont pas empreintes d’une certaine poésie, chose plutôt rare dans un thriller. Ensuite, loin de se contenter de surfer sur des procédés littéraires ou des sujets qui ont fait son succès, l’écrivain a choisi une belle prise de risque, autant pour le sujet de son livre que par la manière dont il l’aborde. La manière justement dont il distille par exemple les informations de l’enquête est très bien dosée et fort à propos. Il ne « protège » pas non plus ses personnages comme on peut le voir trop souvent, ce que personnellement, je peux trouver assez agaçant parfois. Le suspense est parfaitement distillé : si ce n’est pas un thriller qui tabasse, avec de grosses scènes choc à vous coller la nausée, c’est pourtant une lecture que vous ne pouvez pas lâcher. Comme quoi, il n’est pas toujours nécessaire d’en mettre plein la vue !
Les personnages, notamment les six enfants sont terriblement attachants. La ville d’Haïti est un personnage à part entière « un enfer babélique », « une putain qui engendre, délaisse puis revend son propre futur. » La mambo est un magnifique personnage de femme qui effraie autant qu’elle materne, j’ai trouvé que l’auteur avait eu une très belle idée de mettre en lumière cette femme qui incarne les traditions, mais aussi une certaine forme de révolte face au destin des enfants, produits dotés d’une « marge aussi conséquente. » Cette prêtresse longe bien une « frontière entre deux mondes », elle fait le lien entre réalité cruelle et traditions ancestrales. Au-delà du mysticisme généré par ces traditions, le mythe d’Orphée et d’Eurydice est un choix narratif judicieux qui ajoute une dimension d’exaltation au texte, de quoi asseoir une atmosphère définitivement fiévreuse et brûlante.
Jérôme Loubry parvient encore une fois à nous maintenir sous sa coupe, embarqués dans un « ailleurs » où se mêlent réalités sociales, corruption, trafics d’enfants et traditions ancestrales. Il a décidément tous les talents !
Je remercie les éditions Calmann-Lévy de leur confiance.
J’ai aimé les deux précédents romans de l’auteur et son premier est dans ma PAL mais hâte de découvrir celui-ci!
Vendu ! (le livre, pas toi, hein !). Je pense que tu l’as sacrément bien vendu et que tes lecteurs ne pourront être que convaincus.
Et puis, nous sommes en phase sur ce qu’on en a retiré 😉
On est souvent en phase tu noteras
Espérons qu’on le soit toujours pour Betty 😂
Je n’ai pas beaucoup de doute 😉
J’ai kiffé ce livre, un pur bonheur