« L’enfant rivière » d’Isabelle Amonou est un roman dans la grande tradition des romans américains de nature writing. Et pourtant, Isabelle est née en 1966 à Morlaix. Cet ouvrage a vu le jour grâce à un séjour fait à Gatineau qui se situe à la frontière entre le Québec et l’Ontario. Sortir du cadre de son quotidien, a, j’imagine, permis à l’auteur de s’immerger dans une autre culture, et d’apprivoiser un autre espace. Ce roman noir, parce qu’il s’agit bien ici d’un roman noir, se situe en 2030. La peinture de notre monde en 2030 est un condensé des difficultés que nous rencontrons déjà aujourd’hui, multiplié par 100, car les conditions de vie se sont considérablement dégradées. Le personnage principal de ce roman est la nature, le climat, l’environnement. Autour de ce personnage principal gravitent trois protagonistes qui racontent l’histoire. Il y a Zoé la mère, Tom le père, et Nathan le fils. Ce ne sont pas les seuls êtres humains que nous rencontrons dans ce récit. Les autres viennent principalement des États-Unis, cherchent asile au Canada, et sont parqués par les autorités canadiennes en Alaska.
Il y a donc ici plusieurs histoires dans l’histoire. La première concerne la disparition de Nathan sur les rives de la rivière des Outaouais, en mai 2024, son corps n’a jamais été retrouvé. Cette disparition a fait éclater le couple parental. Tom, convaincu de la mort de son fils a préféré passer à autre chose, changer de vie. « Mais il avait démissionné, pas seulement de son métier mais aussi de sa famille, de son pays, enfin de sa vie, toute sa fichue vie. Une désertion engendrée par la perte de Nathan, entretenue par la dépression, la rupture avec son père, la dégradation inexorable de son couple. » Quant à Zoé, elle passe l’essentiel de son temps à rechercher son fils, car elle est persuadée qu’il est toujours en vie. Pour ce faire, elle exerce un métier très particulier, elle travaille pour le gouvernement fédéral, mais je n’en dirais pas plus.
La seconde histoire concerne l’arrivée massive de migrants au Canada. « Lis un peu les journaux, man. Ils veulent envoyer là-bas tous les Américains qui ont réussi à migrer au Canada. Et le mur, c’est pas pour les empêcher d’entrer chez nous, c’est pour qu’ils ne s’échappent pas, une fois qu’ils seront bouclés en Alaska. » Ironie de la situation, si l’on peut dire, il ne s’agit pas de migrants qui viendraient par exemple d’Afrique, où l’on peut imaginer que la chaleur deviendra de plus en plus importante, et les pluies de plus en plus rares. Non, ces migrants arrivent directement des États-Unis. « On a fait partie de l’État le plus puissant du monde, America First et toutes ces conneries, et voilà comment on va finir, dans des bidonvilles. » J’ai trouvé cette approche fascinante.
La troisième concerne la façon dont le Canada a traité les autochtones. Ce récit est vécu de l’intérieur grâce au personnage de Zoé (Zoé est née d’une mère autochtone et d’un père descendants des Français.). Le lecteur découvre avec effarement qu’il fut un temps où les autochtones étaient de simples numéros, les enfants étaient placés dans des institutions où on les forçait à parler exclusivement anglais, et où ils finissaient par ne plus aimer ni la nourriture, ni la culture, ni les traditions de leurs parents. « Les parents et les enfants en étaient venus à se mépriser. (…) Ils n’aimaient plus rien. Ils n’étaient plus rien. »
L’intrigue se situe évidemment autour de la disparition de Nathan devenu « L’enfant rivière ». Ses parents, séparés depuis un certain temps, vont avoir l’occasion de se retrouver grâce ou à cause de l’enterrement du père de Tom. L’occasion de voir ce que chacun est devenu, mais également de permettre des retours dans le passé, notamment centrés autour de Zoé. Ainsi, Tom va prendre conscience de ce que sa femme fait pour vivre, mais également de son entêtement qui n’a pas faibli, persuadée que son fils vit au milieu des migrants. À travers cette quête, c’est aussi elle-même qu’elle cherche à retrouver. Pour moi, c’est là l’un des points marquants du roman, certainement celui qui m’a le plus émue. Cette recherche interminable de son fils fait remonter une histoire douloureuse, notamment des rapports malsains avec son père. « Retrouver l’enfant qu’elle n’avait pas réussi à protéger, parce que sa propre mère ne l’avait pas protégée. Qu’elle n’avait pas réussi à aimer comme il fallait parce que son salopard de père l’avait ravagée. Thomas savait bien que la résilience existait, qu’on pouvait s’en sortir pour peu qu’on en ait les moyens. »
Isabelle Amonou introduit finement plusieurs éléments qui donnent à « L’enfant rivière », une atmosphère singulière, un attachement profond aux personnages, et une conscience aiguisée de la situation en devenir de notre planète. Quels messages laisser aux générations suivantes alors que l’on a tant souffert, dans sa vie d’enfant, d’adolescente et de femme ? « Toujours se méfier des autres. Ne jamais leur faire confiance. Tenir ses distances. Parce que les autres savent, les autres sentent les faiblesses, les failles, les abus. Alors ils cherchent à en tirer parti. » Quelle relation peut-elle encore espérer avec sa mère Camille qui ne l’a pas protégée ? Car, dans « L’enfant rivière » l’auteur décortique des relations humaines : relation entre Zoé et Tom, relation entre Zoé et son père, relation entre Zoé et sa mère. Même si son cœur est soigneusement cadenassé, on sent que tout n’est pas fichu, que l’espoir est toujours présent, même s’il est bien caché, et que, grâce, à la résilience, à l’analyse constante des questions et des actes intimes du passé, la lumière peut encore jaillir au milieu de toute cette noirceur. Ce qui fait dire à Isabelle Amonou, au tout début du roman, lorsqu’il s’agit de savoir ce que l’on va laisser aux générations suivantes, cette très belle phrase : « L’optimisme. Il faut leur laisser l’optimisme. Et l’amour. » Des ténèbres peuvent surgir des étincelles d’espoir, et un embrasement des émotions. Un roman fascinant et très réussi.
Fascinante ta chronique et j’adore la très belle phrase.
Bon j’ai compris il faut que je le lise très vite 🥰
Oui, c’était une spéciale dédicace pour toi : allez hop, on le sort de sa pal 😉
S’il m’avait fallu encore une chronique pour me convaincre, ça aurait été celle-là ! Mais Yvan est déjà responsable de mon ajout dans la PAL 😊.
Voilà, c’est de sa faute 🤣
Ça libère ta conscience 🤣.
Tout à fait 😉
Ma claque de ce début d’année 2023, qui restera sans aucun doute dans mes meilleures lectures de l’année. Je suis content de te voir le mettre à ton tour en valeur, avec force !