Aude Bouquine

Blog littéraire

Pourquoi tu pleures ? Amélie Antoine, éditions le Muscadier

« Pourquoi tu pleures ? » septembre 2019

« Je pleure parce que mon cœur déborde. Parce que je me sens tellement heureuse que c’en est presque trop pour moi. Parce qu’aujourd’hui, c’est le plus beau jour de ma vie. »

« Pourquoi tu pleures ? » Juin 2022

« (…) depuis la naissance de ma fille il y a quatre mois, j’ai le sentiment de ne plus jamais pouvoir m’éteindre, de ne pouvoir désormais me contenter que d’un mode veille, bien insuffisant pour récupérer un peu d’énergie. »

« Qu’est-ce qui te prend, Lilas ? Pourquoi tu pleures ? Pourquoi tu pleures, encore ? »

Les larmes sont parfois synonymes de bonheur comme de détresse la plus absolue…

La famille parfaite n’existe pas… et lorsqu’elle est trop parfaite, elle m’apparaît toujours très suspicieuse, j’entends les cris silencieux, je vois les regards meurtriers, je sens le poids des reproches. Maxime et Lilas représentent le couple parfait. Quand enfin la petite Zélie naît, la famille incarne une certaine forme de perfection. L’arrivée d’un enfant bouscule l’équilibre familial, surtout la nuit, et créée une énorme fatigue pour le parent qui assure les repas, ici Lilas qui donne le sein. Pour la laisser souffler, Maxime emmène Zélie à une soirée. Lorsque Lilas se réveille en pleine nuit, ni Maxime ni le bébé ne sont à la maison. Ils ne rentreront pas le lendemain non plus. Que s’est-il passé cette nuit de juin 2022 ? Impossible de sauver les apparences cette fois-ci, il faudra dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je voudrais d’abord mettre en avant la construction en actes de « Pourquoi tu pleures ? », où le récit oscille entre 2022, année du drame, 2019, année du mariage, 2015, année de la rencontre et les années qui suivent. Les événements ne sont pas racontés de manière chronologique et souvent sous la forme de « confessions manuscrites » destinées au père de Lilas, le premier homme à l’avoir aimée, comprise et consolée. Par opposition, le rôle attribué à sa mère qui avait l’habitude de dire : « Faire semblant que tout va bien, c’est le premier pas pour que tout aille bien. » est peu flatteur, et sans doute révélateur d’une relation mère-fille très compliquée. Ainsi, la famille « fondatrice » du développement psychologique de Lilas était loin d’être parfaite, si ce n’est ce père que Lilas semble avoir idolâtré et qui servira de « modèle » au choix du futur homme de sa vie : Maxime. La relation que Lilas avait avec sa mère a incontestablement semé les graines du futur lien avec sa fille. « La déception d’apprendre que j’avais donné naissance à une fille a déferlé en moi, une vague violente accompagnée d’un sentiment atroce de honte de me sentir aussi dépitée. »

Vous devez avoir l’impression que je brode. C’est vrai. Dès les premières pages, le lecteur sent qu’il y a d’énormes problèmes sous-jacents dans la famille parfaite et qu’un drame se profile à l’horizon. Cette impression vient des personnages. Lilas trop amoureuse, Maxime trop idéal, un couple trop idyllique… Et puis, c’est un roman d’Amélie Antoine : on ne va pas regarder les pâquerettes pousser, c’est une certitude. S’il est question de couple, et d’idéaux de petite fille « Je vais pouvoir vivre avec quelqu’un qui m’aime. Qui me trouve intéressante, drôle, intelligente, jolie, tenace. Quelqu’un qui ne me compare jamais à d’autres, qui, au contraire, me met sur un piédestal. Quelqu’un qui semble penser qu’il a de la chance de m’avoir, quelqu’un qui a peur de me perdre et qui a envie de me rendre heureuse. », de maternité avec l’arrivée d’un bébé « Depuis sa naissance, j’avais l’impression d’être une zombie. Qu’elle était un vampire qui suçait toute mon énergie, et qu’en plus, j’aurais dû en être heureuse. », de la difficulté de s’adapter à une nouvelle dynamique familiale, de la gestion de la fatigue, il y a dans « Pourquoi tu pleures ? » une autre thématique majeure que je ne peux malheureusement pas révéler. 

Le sujet qu’Amélie Antoine décide de dérouler ici fait partie des sujets tabous. Et pourtant… j’aurais beaucoup aimé pouvoir le développer. L’auteur n’est jamais aussi douée que lorsqu’elle nous emmène dans les affres de la nature humaine, les horreurs que l’on peut dire ou faire, les descentes en enfer impossibles à arrêter. Grâce à l’extrême sensibilité de son écriture, elle a le pouvoir de nous broyer les tripes et de nous fracasser l’âme, et généralement, elle nous achève à grand coup de pelle. Il m’en coûte énormément de le dire, mais pas ici. Je n’ai absolument pas reconnu son écriture. À aucun moment. Et pourtant, j’ai lu tous ses livres. Je n’ai pas retrouvé ce qui me touche tant chez elle : ce don de transmettre les émotions. Il y avait pourtant de quoi me terrasser, me blesser, me laisser imaginer des répercussions de situations vécues. J’aurais dû me sentir proche de Lilas, la prendre dans mes bras, l’écouter, la consoler, la plaindre… mais rien. J’ai eu le cœur sec. Cette absence d’empathie, cette écriture froide peut-être voulue, m’a empêchée de ressentir la moindre affection ou la moindre compassion. Or, de femme à femme, de mère à mère, elles auraient dû être immédiates. 

Néanmoins, et certainement contre toute attente après ces quelques mots, je vous encourage à lire ce roman parce qu’il développe des thèmes fondamentaux et des événements primordiaux de la vie d’une femme, que tout ce qui est ressenti et décortiqué par Lilas dans « Pourquoi tu pleures ? » est d’une extrême justesse. Le savoir c’est l’affronter. Le savoir c’est pouvoir aider. Le savoir c’est empêcher des drames. 

AUX QUATRE VENTS, Amélie Antoine – XO Éditions, sortie le 13 octobre 2022.

LE BONHEUR L’EMPORTERA, Amélie Antoine – XO Éditions, sortie le 20 mai 2021.

LE JOUR OÙ, Amélie Antoine – XO éditions, sortie le 3 septembre 2020.

RAISONS OBSCURES, Amélie Antoine – XO, sortie le 7 mars 2019

SANS ELLE/AVEC ELLE, Amélie Antoine/Solène Bakowski – Michel Lafon

QUAND ON N’A QUE L’HUMOUR / LES SILENCES, Amélie Antoine – Michel Lafon

 

18 réflexions sur “POURQUOI TU PLEURES, Amélie Antoine – Le Muscadier, sortie le 4 janvier 2023.

  1. Philippe BRIENT dit :

    Bonjour Aude, je suis de très près tes chroniques car elles me font découvrir des auteurs dont je n’aurais jamais ouvert un livre. Je viens de te lire et là encore tu fais mouche avec cette phrase: « Grâce à l’extrême sensibilité de son écriture, elle a le pouvoir de nous broyer les tripes et de nous fracasser l’âme, et généralement, elle nous achève à grand coup de pelle ». Peux-tu me conseiller dans ses romans pour ne pas commencer par celui ci et être déçu ? Je me ferai ensuite ma propre idée plus tard. Merci et belle journée.

  2. Yvan dit :

    Merci pour ce retour sincère

  3. Aude Bouquine dit :

    Bonjour Philippe,
    Merci de ta fidélité. Sans aucune hésitations, tu peux commencer par « Raisons obscures ». Ça te donnera une très bonne idée de ce qu’Amélie peut faire 😉
    Belle journée à toi aussi

  4. Aude Bouquine dit :

    Et tu sais qu’il m’en coûte…

  5. Yvan dit :

    Oh oui, je le sais…

  6. Matatoune dit :

    Quelle chronique ! Ma curiosité au top … Surtout que j’avais bcp moins adhéré à son précédent. Il va falloir que je me fasse ma propre idée… Sûr, il sera dans mes achats prochains… 😉

  7. Tu as tout dit même s’il t’en coûte je suis totalement d’accord et tu le sais.
    Je vais me répéter mais Lilas fut un personnage agaçant, qui m’a excédée, que j’avais envie de « baffer ».
    Des incohérences dans les dates, les faits, les gestes, les personnages.
    Alors qu’effectivement la thématique est très peu abordée et j’aurai dû être empathique, et être… »fracassée « .😊😊
    Ce ne fut pas le cas

  8. domifideli dit :

    Aude, tu as attisé ma curiosité. Je ne connais pas Amélie Antoine et vais faire comme Philippe, découvrir « Raisons obscures ».
    Merci et bonne journée à tous

  9. Aude Bouquine dit :

    Super ! Il faut la lire, c’est ma chouchou. Elle a un don pour faire passer les émotions. C’est la première fois que je ne suis pas convaincue par un de ses livres, tous les autres sont excellents

  10. La raison première pour laquelle je n’ai encore jamais sauté le pas avec Amélie Antoine, c’est parce que j’ai trop « peur » d’être submergée par les émotions, principalement car les sujets qu’elle aborde sont souvent poignants. L’absence d’empathie lors de ta lecture, et cette écriture un peu froide que tu évoques, me laisse penser que je devrais peut-être commencer par celui-ci pour découvrir l’autrice. Justement car je suis un peu (trop) sensible parfois.

  11. Je suis également grande fan de la plume de l’auteure, donc je le lirai sans aucun doute, mais il faut que je sois dans de bonnes conditions pour recevoir ses mots. Tu m’as intriguée avec ce thème fondamental ! Dommage que la magie n’ait pas opéré cette fois, mais c’est sûrement partie remise. Néanmoins, ta chronique me donne encore plus envie de découvrir ce titre !

  12. laplumedelulu dit :

    Arg. Moi qui craignais le pire, c’est arrivé. Aucune empathie pour Lilas, c’est louche. Mais tu ne peux rien révéler, ça me titille le neurone. J’aime ce que fait Amélie. Peut-être un peu moins « les silences » que j’ai lu juste après le départ de mon Papa dans les étoiles, ce n’était pas le bon moment, pour moi. « Raisons obscures » me colle à la peau, je me ferai ma propre opinion quand je serai riche.
    Merci à toi pour ton honnêteté Aude. 🙏😘

  13. Anonyme dit :

    Ok merci c’est dans la boite

  14. Céline dit :

    Une autrice qu’il faut que je découvre 🙂

  15. Dallas McKena dit :

    Il me tente vraiment beaucoup ce roman, il a l’air plutôt pas mal.

  16. Aude Bouquine dit :

    Il est excellent 👌🏻

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