Pas facile de chroniquer ce livre sans en dévoiler beaucoup, et surtout, beaucoup trop.
Je vais donc prendre mille précautions et parler plus de mon ressenti que de l’évolution de l’histoire en elle-même.
Milo a 4 ans. Il vit dans une famille équilibrée, choyé par ses parents, ils sont le centre de son univers.
Cet univers s’écroule le jour où son père est arrêté devant lui pour braquage, dans leur maison.
Dans l’incapacité de pouvoir exprimer ses sentiments clairement, ou simplement de communiquer, Milo, triste, plein de rage et de désespoir, laisse éclater sa colère par la violence. A l’école surtout.
Sans circonstance atténuante, sans compassion pour la perte de son papa, Milo va devenir la bête à abattre. J’emploie le mot de “bête” volontairement car c’est comme ça que ses camarades et ses enseignants le perçoivent.
Toute sa scolarité.
Toute sa vie.
Il n’a qu’une seule alliée : sa mère, Alexandra.
Comme toutes les alliées, il lui arrivera de douter.
Comme toutes les mères, il lui arrivera de prendre les mauvaises décisions.
Elle va chanceler, plier, mais l’amour omniprésent pour son fils ne se brisera pas.
Le livre s’ouvre sur une lettre d’un petit bonhomme : Gabriel Favan.
C’est le fils de Claire.
Il nous explique ce qu’est la différence. Ce qu’est le harcèlement scolaire quand on est différent. A quel point ça vous brise, ça vous suit, ça grossit en vous, tant et si bien que l’explosion est quasi impossible à éviter.
« Pour moi la différence, c’est lorsque même quand je n’avais rien fait, c’est toujours moi qu’on punissait. Et plus ils agissaient ainsi et plus je perdais le contrôle, et plus je leur donnais raison de le faire. »
12 ans le petit bonhomme….et déjà cet immense sentiment d’impuissance.
Je suis maman de 3 filles, et belle-maman de 3 autres enfants.
Des années scolaires, j’en ai vécu quelques unes.
J’y ai tout vu … des cons ( appelons un chat, un chat), des personnes bienveillantes ( On voudrait tous une Karine Drouard comme institutrice), des instits passionnés qui sont des piliers, mais il y a une chose que j’aie expérimenté au fil des années : le harcèlement scolaire commence souvent par l’adulte.
C’est paradoxal non ?
On en entend des tonnes en début d’année, ici aux US surtout, où on vous farcit les oreilles sur le “bullying”, on organise des réunions, on monte des cellules psychologiques et des cellules de crise, on vous fait signer des papiers…
Mais dans les faits ? Ça se passe comment ?
Un enfant a un accrochage avec un autre, pire encore lui montre une partie de son anatomie ( enfer et damnation ) en première année de maternelle. Les parents s’en mêlent. Demandent l’exclusion du petit « pervers », s’arrangent pour qu’aucune école du secteur n’accepte l’enfant (pouvoir absolu des prêtresses du PTA- parent teacher association ), demandent la tête du proviseur sur un piquer et ordonnent la mise en place d’un chaperon pour la petite « victime » ( car quand on est victime, on finit toujours par reproduire – ça c’est le discours ici ).
Certes les enfants peuvent être véritablement méchants entre eux, mais la cruauté adulte qui vient se mêler aux conversations de bac à sable ne fait qu’aggraver les choses.
Le corps enseignant est un petit village.
Tout le monde se connaît, on connaît tout le monde et on se passe les infos.
Pour établir les classes de l’année suivante, on se réunit pour savoir qui veut du petit terrible, de l’autiste pour lequel on n’a toujours pas trouvé d’ATSEM, de la petite blonde dont le frère était une crème.
Et on se souvient des fratries.
Si ton frère était une terreur, tu es dans le collimateur dès le premier jour.
Si ta sœur était un génie, fais gaffe à tes fesses si tu n’a que 10 à un contrôle.
Tu n’as aucune façon de t’en sortir si tu n’es pas l’ainé : les carottes sont cuites!
Et quand tu es le fils d’un délinquant ? D’un homme qui est en prison ? Qu’est ce qui se passe à ton avis ?
« C’est un fils de délinquant. Il faut le traiter comme tel.(…). Il devra être puni, isolé du groupe s’il le faut. En aucun cas l’école ne devra être incriminée si son comportement entraîne des conséquences dramatiques »
La méthode “cover your ass” vous connaissez ? Littérairement, “couvre tes arrières”.
Le problème ce n’est jamais l’école… C’est toujours le gosse, les parents du gosse, l’environnement familial, des tares cachées, des handicapes…
La vie commence par l’école.
Puis c’est la société qui se charge de vous apprendre la vie.
De la broyer aussi parfois.
Comme si votre dossier scolaire vous suivait.
La perception que rien ne pourra changer, quoi que vous fassiez, parce que la première impression que les gens ont de vous reste à vie. Claire en parle très bien et cette idée me terrifie. Quand la machine s’encrasse :
Faut-il changer d’école pour remettre les compteurs à zéro ?
Puis de travail ?
Puis de ville ?
Faut-il fuir pour se refaire une virginité ?
Ce livre aborde ces réflexions là.
Enfin, il dessine aussi un portrait sans concession du rôle de mère.
De cette mère qui aime, qui croit, puis doute, qui fait ce qu’elle peut parce qu’il n’existe aucun manuel, terriblement humaine, qui punit quand il faudrait consoler, qui exaspérée, désespérée, morte de fatigue se lâche quand elle devrait écouter.
Une mère imparfaite,
Une mère comme nous en sommes toutes.
Parfois à la hauteur,
Parfois en dessous de tout.
Une mère déculpabilisée ! Si c’était facile, ça se saurait !
Je me suis retrouvée cent fois dans cette mère qui ne comprend pas toujours l’être en devenir qu’elle a devant les yeux.« Elle ne voir pas que sa colère et ses larmes ne font qu’accentuer le sentiment d’échec et d’angoisse de son fils. Elle ne réalise pas que des punitions sorties du contexte et éloignées du fait générateur ne font qu’accentuer l’injustice et le détresse qu’éprouve Milo »
Y a-t-il une forme de Mea Culpa dans ce livre de Claire Favan ? Une façon de dire qu’elle a essayé, parfois réussi, parfois échoué, toujours aimé ?
En tout cas, une très jolie façon de dire “je t’aime”, “no matter what” …
« Notre combat pour que tu réussisses ta vie ne s’arrêtera jamais et tu le trouveras toujours à tes côtés pour repousser les obstacles et chasser les nuages »