Bienvenue dans une famille classique !
Non je plaisante 😉
Bienvenue dans une famille dont le père est un psychopathe pure souche, et la mère une amibe.
La narratrice dont on ne connaît pas le prénom a 10 ans, son frère 6.
Les étés se suivent et se ressemblent tous, au rythme des silences de la mère, des colères du père, des passages du marchand de glace et des visites dans la casse du quartier pour se raconter des histoires.
Des histoires de vraie vie. Des histoires de belle vie.
La petite fille aime son frère, éperdument.
Ensemble, ils peuvent affronter les silences et la cuisine insipide de la mère, mais aussi les colères et les coups du père, entre une bonne dose d’alcool, le journal télévisé, les cadavres d’animaux empaillés issus de ses chasses et la musique de Claude François.
Sauf qu’un soir, un événement complètement inattendu, et d’une violence presque banale quand on y pense, change toute la dynamique de la relation entre le frère et le soeur.
Ce petit garçon au rire cristallin ne rit plus, se renferme sur lui même, ne joue plus, ne vient plus chercher de tendresse auprès de sa soeur.
Elle se retrouve donc seule en terrain hostile.
Les été qui se succèdent alors n’ont qu’un seul but : retrouver la complicité qu’elle avait avec son frère et faire taire les mauvais génies qui semblent avoir pris possession de ce dernier.
Dans ce royaume étouffant, cette petite fille est lumineuse ! Une petite fille sans prénom, qui pourrait être n’importe quelle petite fille…
Extrêmement intelligente, diablement débrouillarde, remplie d’espoir, elle ne lâche rien, persuadée que les choses peuvent redevenir comme avant, même si :
“Ca matérialisait l’idée, que depuis le début, il avait décidé de faire de moi une proie.”
Alors qu’elle grandit, son frère grandit aussi mais ils empruntent chacun une route différente.
Peut-on se construire lorsqu’on évolue dans un milieu d’une telle toxicité ?
L’auteur nous dit oui !!
Est-ce qu’on est bon pour reproduire un schéma familial pré-destiné ?
L’auteur nous dit :pas forcément !
Quand on a une volonté de vivre et surtout de survivre.
Quand on a une conscience aiguë de la dualité de l’être humain : chacun a en lui une part d’ombre, une autre de lumière, il suffit que l’une prenne le pas sur l’autre.
Il est parfois plus simple d’écouter son double maléfique mais l’intelligence, l’analyse des conséquences, la reflexion qui prend le pas sur la pulsion, permet de le faire.
C’est ce qu’elle va essayer de faire, durant tous ces été, pour son frère, mais aussi pour elle.
L’apprentissage de la vie n’est certainement pas facile. Encore moins quand on a 10 ans, encore moins quand on “mal née”. Aucune de ces considérations d’adulte n’arrête cette petite fille qui force le respect de par sa détermination sans faille.
C’est un livre noir, reflet sociétal d’une famille qui vit dans une cité, dans laquelle les enfants ont peur, surtout dans l’endroit où ils devraient se sentir le plus en sécurité : chez eux.
Mais ne vous y trompez pas, c’est aussi un livre lumineux, plein d’espoir, de volonté, de convictions, de l’envie de s’en sortir.
C’est l’histoire d’une petite fille déterminée à ne pas se laisser marcher sur la “gueule”, prête à rendre les coups !
“J’hésitais quant à l’attitude à adopter face à mon père.
D’un côté, j’avais envie de lui faire comprendre que je n’étais pas une proie, que je n’étais pas ma mère, qu’à l’intérieur de moi ce n’était pas vide, qu’il y vivait une bête, une bête qu’il valait mieux ne pas approcher.”
Plusieurs chose m’ont émue dans ce livre.
D’abord, la reconnaissance, par la petite fille, des signes avant-coureurs de la colère en passe d’exploser du père. A force, on sait en reconnaitre les prémices : parfois dans un silence, ou juste un regard, ou encore un nerf du visage qui se contracte, un poing qui se sert autour d’un objet, une attitude. Adeline Dieudonné a réussi à mettre des mots sur quelque chose d’inexistant pour le spectateur lambda, qui, parce qu’il ne l’a pas vécu, ne peut le sentir.
Les enfants élevés dans un milieu comme celui-ci développe incontestablement un 6ème sens qui ne les quittera jamais.
Puis, la peur omniprésente, comme si c’était normal de grandir avec un poids constant sur l’estomac, comme si se réjouir pour quelque chose allait toujours de paire avec la terreur de ce qui va suivre. Adeline Dieudonné l’a parfaitement retranscrit.
Egalement, l’évolution des relations entre la mère-amibe et la petite fille. Une sorte de compréhension silencieuse entre l’une et l’autre va naitre et exploser, comme si, trop longtemps, les sentiments avaient été volontairement retenus parce qu’honteux. Une évolution des relations qui ne peut naitre que lorsqu’une petite fille devient elle aussi une femme.
Enfin, la volonté de ne pas être la victime, la certitude de pouvoir en réchapper, la croyance infinie qu’il est possible de choisir son propre destin et ne pas être forcé de suivre ce qui semble avoir été écrit.
“Son goût pour l’anéantissement allait m’obliger à me construire en silence sur la pointe des pieds. “
On ne connait jamais la force profonde, intrinsèque de celui que l’on cherche à abattre, par la parole ou par les coups. Cette petite fille est d’une maturité bouleversante, d’une intelligence surprenante, d’une aptitude réelle à ressentir pour mieux analyser, inondée de tant d’espoir que le lecteur ne peut qu’adhérer à ses pensées puis à ses actes.
Cerise sur le gâteau: la fin !!!
J’ai été suspendue, mon coeur a manqué des battements, j’avais imaginé autre chose… autre chose que cette fin là. Mais cette fin est fulgurante dans les émotions qu’elle vous envoie et c’est une belle, grande réussite !
Alors ? En conclusion, je souhaite à Adeline Dieudonné, une pile de courrier de ses lecteurs, des prix pour valoriser son travail, le possibilité de savourer, inlassablement, sa joie aux lectures de chroniques positives qui illumineront ses journées.
Ce roman, Adeline est un bijou. Un condensé d’émotions fortes, un morceau de ma madeleine à moi couchée sur le papier.
Portrait de la mère….
2 réflexions sur “LA VRAIE VIE, Adeline Dieudonné – L’Iconoclaste”