Aude Bouquine

Blog littéraire

« Nathalie Séchard, cheffe des armées, grande maîtresse de l’ordre national de la Légion d’honneur, grande maîtresse de l’ordre national du Mérite, co-princesse d’Andorre, première et unique chanoinesse honoraire de la basilique Saint-Jean-de-Latran, protectrice de l’Académie française et du domaine national de Chambord, garante de la Constitution et, accessoirement, huitième présidente de la Ve République, en cet instant précis, elle baise. Et Nathalie Séchard baise avec ardeur et bonheur. Nathalie Séchard a toujours aimé ça, plus que le pouvoir. C’est pour cette raison qu’elle va le perdre. » Voici l’incipit du nouveau roman de Jérôme Leroy « Les derniers jours des fauves. »Nathalie Séchard, 58 ans, première femme élue à la tête de l’État français est arrivée là presque par hasard, déjouant tous les pronostics. Au second tour de l’élection présidentielle, elle se trouvait derrière Agnès Dorgelles, représentante du parti d’extrême droite. À la tête de son parti, Nouvelle Société, Séchard incarnait les espoirs d’une France déçue, en quête d’autre chose, d’un nouveau visage, de méthodes différentes.(ça vous rappelle quelqu’un ? Initiales du prénom et du nom donnés à son parti ?) Autant dire que cette femme arrivée là presque par hasard à la suite de deux petits événements qui ont fait basculer l’élection se retrouve entourée de vieux briscards de la politique qui ne lui veulent pas tous du bien. Son mandat a eu raison de toutes les espérances populaires, elle a déçu : crise des gilets jaunes, pandémie mondiale (variant gamma, un petit nouveau fraîchement débarqué pour les besoins du service), canicule… Rien ne lui a été épargné. Pas même les ragots concernant sa vie privée. En effet, elle est mariée à un homme plus jeune qu’elle…(ça ne vous dit toujours rien ?) Lorsqu’elle annonce ne pas se représenter pour un second mandat, quelques dents rayent le parquet. Qui sera son successeur désigné ? Les fauves sont lâchés et rien ne va les arrêter.



Toute ressemblance avec des personnalités connues ou des moments vécus serait purement fortuite… ou pas. « Les derniers jours des fauves », raconte la lutte de pouvoir intestine des mâles blancs pour accéder au précieux trône. En tête, Patrick Beauséant, l’actuel ministre de l’Intérieur. Il a été aux côtés de Séchard pour la faire gagner, il rêve maintenant de la clouer sur une croix. Ses fonctions, protéger les citoyens et leurs biens, ne sont que quelques mots jetés sur un « contrat moral ». Beauséant (on notera l’ironie de ce nom) a quelques casseroles aux fesses et comme tout bon candidat qui se respecte va s’en rajouter quelques-unes histoire de mettre toutes les cartes de son côté. Ce personnage est un condensé de plusieurs personnalités ayant siégé jadis en ce lieu. On pensera à un mix de Cazeneuve, Valls, Hortefeux, Sarkozy et surtout Pasqua. À ce poste clé, Beauséant a les coudées franches et tout pouvoir. Il ne va pas se gêner pour en user et en abuser, tout en ayant le projet d’écrire ses mémoires, ah cette mégalomanie, afin que son nom reste dans les annales. Pour ce faire, il embauche Lucien Valentin un « ghostwriter », sans avoir prévu que ce dernier était le petit ami de Clio, fille de Manerville, ministre d’État à l’Écologie sociale et solidaire. Or, Manerville est un fidèle de Séchard, apprécié de la présidente, mais surtout droit dans ses bottes. Le loup entre dans la bergerie par l’intermédiaire de Valentin et c’est le début de l’escalade où tous les coups sont permis. 

« Les derniers jours des fauves » a des inflexions de dystopie, mais n’en est pas une. On pourrait parler d’uchronie tant notre réel colle au récit. Les phrases de certains de nos politiques sont habilement placées dans la bouche de certains personnages et offrent cette délicieuse impression de déjà-vu. Nous les connaissons tous, sans vraiment les connaître. De petits mots aux discours (comme celui du renoncement de Séchard qui ressemble étrangement à celui de Hollande), ils nous sont tous familiers. Tout au long du roman, je me disais que lorsque nous sommes mis au courant de scandales politiques, quand ils sortent dans la presse, il est déjà trop tard… cela veut dire que les personnes concernées n’ont pas réussi à faire taire les délateurs, n’ont pas réussi à étouffer les scandales. Dans le roman, le lecteur est un témoin privilégié des manœuvres, des coups bas, des petits arrangements entre amis, des dégommages en règle. Le narrateur, facétieux, s’adresse directement au lecteur en lui faisant grâce de certains détails pour en accentuer d’autres. Autant vous dire que l’on rit jaune, que l’on secoue la tête affligés devant tant d’ambitions démesurées, en ayant bien conscience que derrière les lourdes portes dorées des bureaux privés sont donnés des ordres à faire pâlir. Les fauves ne reculent devant rien pour accéder au trône, les fauves ont faim de pouvoir, de privilèges, d’immunité, de domination. 

Jérôme Leroy nous plonge dans un roman noir politique grâce à une plume piquante, cynique, impertinente. Une véritable pièce de théâtre, jouissive, où le système politique et toutes ses bassesses est décortiqué jusqu’à la lie. Il ne fait pas bon naviguer dans ces eaux remontées des égouts tellement elles sont nauséabondes, mais quel plaisir de lecture ! Le roman noir est le genre parfait pour parler de notre société, partir d’un terreau de vérités pour aboutir à une œuvre de fiction. Les luttes fratricides sont accentuées par le climat social « cocotte-minute » qui permet la montée des extrêmes et poussent les curseurs vers des actes sordides. Des phrases courtes, une vraie interaction avec le lecteur, des mots pesés, un réel souci du verbe, et ce cynisme percutant font le sel du récit. « Les derniers jours des fauves », ou l’histoire des petits arrangements entre amis, des coups de pied bien sentis pour changer les destins… Jérôme Leroy dépeint une société, la nôtre sans qu’elle le soit tout à fait, des hommes politiques, les nôtres sans qu’ils le soient tout à fait, des problématiques sociétales auxquelles nous faisons déjà face, sans qu’elles le soient parfois tout à fait. Difficile de ne pas faire de rapprochements avec ce que nous vivons et pourtant, j’ai été détachée de ces réalités pour plonger pleinement dans cette fiction qui décrypte les arcanes du monde politique et de ses luttes intestines, pas tout à fait les nôtres, et complètement les nôtres à la fois. Ce n’est pas sans rappeler certaines séries vues et adorées telles que « Baron noir », « Les hommes de l’ombre » pour les françaises, ou « House of cards ». Les personnages sont attachants même lorsque l’on aime les détester : mention spéciale pour le Capitaine, ancien tueur d’État.

C’est brillant, redoutable, parfaitement exécuté dans la narration et la construction. « Un fauve reste un fauve, surtout en politique. »

Magistral !

5 réflexions sur “LES DERNIERS JOURS DES FAUVES, Jérôme Leroy – La Manufacture de Livres, sortie le 3 février 2022.

  1. laplumedelulu dit :

    Ben mazette. J’en ai les cheveux tout ébouriffés. Merci à toi Aude. 🙏 Il faudrait que tu lises « sexus politicus » affolant de vérité. Mais ce n’est pas un roman. 😉❤️

  2. Aude Bouquine dit :

    C’est un essai ? Pas pour moi, j’ai besoin de la fiction pour y trouver mon compte.

  3. laplumedelulu dit :

    Ce n’est pas un essai. C’est du « je sais pas quoi » . Mais c’est hallucinant de voir ce que les femmes sont capables de faire au nom de la politique. Que Jean Marie le Pen se retrouve avec des petites culottes dans la poche, ça me laisse pantoise 😁

  4. laplumedelulu dit :

    C’est classé comme documents. Suis allée vérifier sur la fnac. 😜😘

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