Aude Bouquine

Blog littéraire

Au commencement de Ivan Zinberg

« Au commencement », la quatrième de couverture vendait un entre-deux-tour de la présidentielle 2022. Rappelez-vous, Emmanuel Macron faisait alors face à Marine Le Pen. Ivan Zinberg décide d’utiliser ce moment précis de notre histoire commune pour asseoir son thriller. Plusieurs meurtres ont été commis dans le 93, département où, usuellement, les violences urbaines sont fortes : une prostituée, un dealer, un gitan, et un chômeur sont abattus à bout portant. C’est l’équipe de la Crime qui est chargée de l’affaire. À sa tête, le commandant Delmas, donc je reparlerai plus tard. Il apparaît que le tueur de ces quatre personnes tue de façon identique à un autre grand criminel de l’Histoire, Mohammed Merah. 

Souvenez-vous de ce nom et de cette affaire. Nous sommes en mars 2012, et Mohammed Merah assassine alors 7 personnes, dont trois enfants de confession juive, et fait six blessés. Son modus operandi se fait à l’aide d’un scooter. Déplacer l’affaire Merah en 2022 en créant cette figure du copycat, pendant qu’une vraie menace que l’extrême droite puisse accéder au pouvoir était une idée fort intéressante. En plus de la peur qui peut s’abattre sur le département et y créer une véritable poudrière, « Au commencement » laissait entrevoir la possibilité d’un thriller socio-politique. Ce qui est, à mon avis, extrêmement intéressant dans le monde de la littérature noire en ce moment. (d’autant qu’Ivan Zinberg est Capitaine de police, au service des analyses des mouvements radicaux et des violences urbaines.)

« Première chose : je veux que vous gardiez en tête que la situation est potentiellement explosive. La presse pourrait s’en saisir, les politiques également. Je spécule, mais les ingrédients sont réunis pour que la mayonnaise prenne. »

Sauf que… à part ces quatre meurtres et l’enquête qui constituent les trois quarts de « Au commencement », les problèmes politiques sont finalement très peu développés. En revanche, une certaine conscience écologique, une volonté de changement et une prise de responsabilités face aux comportements humains envers la planète sont développées à travers le personnage de Luc Delmas. En quelque sorte, il fait figure de catalyseur d’une époque, d’un ras-le-bol manifeste, et d’une volonté de changement. 

« Il se félicitait de ne pas voter et encourageait l’abstention. Quand il n’y aurait plus que dix pour cent de votants, on pourrait pointer l’illégitimité des dirigeants. Les obliger à réviser leur copie pour construire un autre monde. »

Je m’attendais à ce que le côté politique soit bien plus développé, et que, grâce à l’entre-deux-tours, la poudrière sociale exploserait face à ces quatre crimes. Il n’en est rien. L’enquête est assez classique, et se déroule de manière lente, sans rebondissement particulier, à part évidemment les meurtres successifs. De temps en temps, le lecteur découvre des transcriptions d’expertise psychiatrique, et cela depuis le début du roman, ce qui veut dire que l’assassin a été arrêté. Je ne divulgâche rien, on l’apprend dès la première page. On trouve également des extraits de rapport de police, ce qui n’est pas inintéressant, loin de là. Cela aide à comprendre la mécanique de la rédaction de tels documents et apporte donc à la fois réalisme et crédibilité.

« Au commencement » s’accélère dans les cent dernières pages, et je dois dire que je les ai lues avec une certaine frénésie. J’ai été saisie par le réalisme et la cruauté des dernières scènes. Est-ce une fin « facile » ? Chacun en jugera. Personnellement, je ne l’ai pas vue venir ! Le principal reproche que je ferai à ce livre, se situe vraiment dans le peu d’utilisation de cette période politique charnière de l’entre-deux-tours où toutes les émotions sont exacerbées, ou la presse en profite pour pratiquer du voyeurisme à souhait et allume régulièrement des feux contribuant ainsi à rendre le climat plus anxiogène encore, et où deux clans d’électeurs s’affrontent réellement. Je n’ai pas pu m’empêcher de le comparer avec d’autres ouvrages de la même thématique, tels que le roman de Jerome Leroy « Les derniers jours des fauves », qui est à mon sens brillant.

Ivan Zinberg propose ici une uchronie non dénuée d’intérêt. Entre un terroriste ayant existé et un flic efficace, mais qui semble trop tendre pour vivre dans notre époque, l’auteur clôture « Au commencement » de manière saisissante. Moi qui d’habitude suis peu encline à me souvenir des fins, nul doute que celle-ci, je ne risque pas de l’oublier…

MATIÈRE NOIRE, Ivan Zinberg – Cosmopolis, sortie le 7 novembre 2019.

LES DERNIERS JOURS DES FAUVES, Jérôme Leroy – La Manufacture de Livres, sortie le 3 février 2022.

Lien vers les éditions HarperCollins

7 réflexions sur “Au commencement, Ivan Zinberg

  1. Yvan dit :

    On a tous, même inconsciemment, des attentes quand on commence un livre. Quand il n’est pas au rendez-vous de celles-ci, la déception peut poindre. Surtout quand on imagine, comme toi, un potentiel non utilisé. Mais je retiens quand même que l’auteur fait le job en matière de polar plus traditionnel

  2. Sandrine dit :

    Jamais entendu parler des trois prix mentionnés sur la couverture…

  3. Aude Bouquine dit :

    Ce sont principalement des prix donnés lors de salons dédiés à la littérature noire.

  4. laplumedelulu dit :

    Dans ma pal. 😊

  5. Celui-ci je l’i noté ! Très intriguée je suis 😉

  6. Un vrai coup de cœur, me concernant, pour cette fin… tu n’as peut-être pas tort sur une exploitation qui aurait pu être plus importante mais de mon côté, j’ai aimé ce traitement par dose dans un thriller qui reste réaliste !

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