La vie de Paul est une succession de dates clés : 13 janvier 1984, 23 mai 1984, 14 juillet 1984, 17 mai 2003.
En ce 17 mai 2003, Paul épouse Ana, LA femme de sa vie, celle qui comble tous ses vides et toutes ses attentes. En ce jour béni, où joie et émotions prennent toute la place, une surprise tellement bien intentionnée lézarde les murs de cette bâtisse émotionnelle si patiemment construite. Les années 1983 et 1984 reviennent tapisser les émotions enfouies de Paul… et avec elles, le beau qui touche au sublime, mais aussi le tragique qui tutoie le funeste. « Paul écoute le chant surgissant du passé. Quelque chose d’indéfinissable l’atteint et écrase la lueur du moment. Il pense à ces jours vécus ensemble, ces jours uniques parce qu’ils ne reviendraient plus. »
Paul grandit dans une famille dysfonctionnelle. Le père va et vient tel un étranger, montre peu d’intérêt pour sa famille, trompe sa femme allègrement et ne supporte pas cet enfant, ce « Daumas dénaturé » au corps frêle et à la parole tremblotante. Paul est bègue. Sa mère, Blanche, passe plus de temps devant la télé ou enfermée dans un bureau à boire qu’à s’occuper de ses enfants. Elle a des circonstances atténuantes, la mère… Pour grandir et pousser droit, il faut aimer et être aimé. Ce n’est pas dans le cercle familial que Paul trouve cet amour. C’est ailleurs, dans un lieu laissé volontairement à l’abandon dans sa mémoire. Un moment, hors du temps, hors de l’espace, en 1984. Ce moment est raconté dans la première partie du roman, « Here Comes the Sun ». Déployer ses ailes pour grandir. Surmonter son adolescence, dominer ses peurs, « tuer le père » (et la mère), s’affranchir de ce que les autres pensent. Le programme de toute une vie.
Cette adolescence troublée n’empêche pas Paul de trouver le bonheur. Les grands évènements de ces années 1983 et 1984 semblent digérés, Paul a poussé à peu près droit, a trouvé son roc. La seconde partie « The Last rose of Summer » raconte ce qui se déroule après le mariage, après la surprise qui a de si lourdes conséquences, quand les barricades tombent, que les émotions ressurgissent encore plus fortes, que rien ni personne ne peut les empêcher d’exploser. « La jeune femme ne sait pas que c’est du temps déguisé, que son époux est en train de leur ériger des barricades, que dans ses nuits il lui cache un territoire entier. Paul est en train de réaliser avec douleur qu’il est faux de dire que le passé, c’est le passé. En réalité, les souvenirs contiennent déjà l’avenir ; ils s’y diluent et, de leurs yeux rouges et mouillés, le colorent. L’avenir n’est pas une page blanche. » Quelqu’un a fait jadis le siège de son cœur et y réside toujours.
L’insoutenable et le sublime. Deux mots qui définissent la plume de Sophie de Baere. Lentement, elle raconte Paul. Son adolescence, cet été si particulier, les conséquences des premiers émois. Elle le fait de telle manière que son lecteur devient Paul, il pénètre dans sa chair, dans son cœur, dans ses pensées. Il devient lui. Il souffre avec lui, il espère avec lui, il aime avec lui. L’adolescence et ses enjeux sont très justement traités. Il ne suffit pas d’être différent pour susciter la haine, être différent c’est simplement la cerise sur le gâteau. « La jeunesse peut être une guerre silencieuse, un champ de bataille où les enfants d’à peine quinze ans sont capables de tuer à bout portant leurs camarades. Et cela, sous les yeux des adultes qui censés les protéger. » La guerre silencieuse de Paul se déroule à l’école. C’est de l’école qu’il doit survivre. De l’école et de ce quelqu’un qui prend toute la place. Je ne souhaite pas classer ce roman dans une case et développer ici ses thématiques. Juste vous dire qu’il s’agit d’une magnifique histoire d’amour entre deux « presque » enfants qui traverse les années. J’en ressors avec cette idée qu’avoir quelqu’un dans la peau, c’est pour la vie. Aucun évènement, aucune brimade, aucun bonheur ne peut changer cela. Malgré les imperfections des deux protagonistes, car il y en a, la résilience de l’un, la lâcheté parfois de l’autre, il subsiste cette attente, ce désir intact, cet espoir indestructible. Cette idée selon laquelle tout ce qui est profondément enfoui, caché, réglé croit-on, peut ressurgir en un regard, comme un feu mal éteint, et s’embraser de nouveau. « Le souvenir de leur histoire ne le brisait plus ; ce qui le brisait encore, c’est tout ce qui restait à inventer, tout ce neuf que (X) et lui auraient pu encore fabriquer. Il n’était plus qu’une attente. » Quand l’autre fait le siège de votre cœur, il n’y a ni raison ni raisonnable.
L’écriture de Sophie de Baere, juste, sensible, émouvante, et si poétique dans la radiographie des émotions est parfaite pour raconter ces « ailes collées » qui ne demandent qu’à se déployer. J’ai une admiration profonde pour celles et ceux capables de nous faire ressentir de telles émotions. Paul c’est toi, Paul c’est moi…
Wooowwww. De bon matin tu me cueilles comme ça, wooowwww. Merci à toi Aude. 🙏❤️
les ailes collées très belle lecture