Aude Bouquine

Blog littéraire

Le pitch de « Numéro deux » est assez simple : à quoi ressemble la vie de celui qui n’a pas été choisi pour incarner Harry Potter au cinéma ? C’est donc un roman qui traite à la fois de la déception, mais surtout de l’échec et des retombées de cet échec sur la construction de soi et les choix à faire durant son existence. Cela revient à poser la question de la réussite : qu’est-ce que réussir sa vie ? Martin est le fils d’un accessoiriste présent par hasard « au bon moment et au bon endroit », du moins le croit-il au début du récit. Alors que toute l’Angleterre cherche désespérément le visage de celui qui incarnera Harry Potter, Martin est assis là, avec ses lunettes rondes achetées récemment parce qu’il n’y avait plus d’autres paires disponibles (comme quoi le destin ne tient qu’à un fil parfois). Pour David Heyman le producteur, aucun doute possible : Harry Potter c’est lui. Mais avant de croiser Martin Hill, il s’était intéressé à un autre enfant, Daniel Radcliffe dont les parents étaient plus difficiles à convaincre que l’est le père de Martin. Les deux candidats feront des essais, l’un sera l’élu à cause d’un petit truc en plus, l’autre le « Numéro deux ». La déception de Martin, qui s’y voyait déjà, est immense. « La vie humaine se résume peut-être à ça, une incessante expérimentation de la désillusion, pour aboutir avec plus ou moins de succès à une gestion des douleurs. Mais pour le moment, Martin avait juste onze ans. C’était insurmontable. La promesse d’une aventure merveilleuse venait de lui être retirée.» Lui qui n’avait rien demandé, lui à qui l’on avait fait des promesses, laissé sous-entendre qu’il pourrait incarner à l’écran le visage d’un héros adulé par la planète entière, lui qui s’était permis de rêver, se retrouve être le non-élu. «Est-ce toujours ainsi? Toute vie humaine est, à un moment ou à un autre, gâchée par une autre vie humaine.» Comment se remettre sur les rails de son existence, comment se reconstruire lorsque l’on a l’impression d’avoir raté sa vie ?

Un phénomène mondial qui valait bien un roman… La vague Harry Potter qui ne cesse de déferler dans les librairies et sur les écrans continue de torturer Martin bien en peine à garder fermer les yeux et les oreilles pour éviter de se retrouver face à son rival. Celui qui lui a volé sa vie est partout. L’échec silencieux, puisqu’ignoré de tous, place Martin devant l’éternel miroir d’une vie qui aurait pu être la sienne. Un cauchemar éveillé que rien ne semble pouvoir arrêter, qui l’empêche de respirer. Les décisions futures ne se font pas par choix, mais pas désir d’évitement. Comme cet emploi dans les salles sombres du Louvre pour éviter « l’autre » qui prend trop de place. Parfois, le hasard ne fait pas si bien les choses… La première partie du roman m’a laissée dubitative… Ce que raconte David Foenkinos est le reflet exact du reportage visible sur Salto « Harry Potter 20th Anniversary: return to Hogwarts » où chaque protagoniste, des acteurs aux producteurs, en passant par les réalisateurs et les scénaristes narre la genèse de cette folle aventure. Sans doute fallait-il cela pour permettre la suite, une entrée méthodique et détaillée dans la psychologie de Martin. 

Si Martin pratique la stratégie de l’évitement, difficile d’évoluer dans un monde où Harry Potter est partout. La façon dont Foenkinos raconte ce chemin de croix est plutôt réussie, autant sur l’aspect psychologique de Martin que sur l’aspect du divertissement. On plonge vraiment avec délice dans les coulisses de ces pérégrinations romanesques. L’empathie pour ce garçon est immédiate et le ressentiment envers ceux qui sont venus le chercher sans se préoccuper de ce qu’il allait devenir en l’évinçant de l’aventure également. A-t-on seulement idée du séisme que vit Martin lorsque le succès devient si énorme que le nom Harry Potter se retrouve sur toutes les bouches ? Peu à peu, les hasards de la vie, foutus hasards, conduisent Martin à vivre une existence parallèle où chaque évènement est comparé à un passage du livre, amenant Martin à affirmer « Je suis en train de devenir Harry Potter». Ces moments de la narration sont assez remarquables, jusqu’à la fin de la deuxième partie où l’auteur ose une entrée dans un « Poudlard parallèle ».

J’ai aimé l’idée de raconter le destin de ce « Numéro deux » tout en gardant l’ambiance des romans de JK Rowling, d’oser des parallèles, de construire des chemins de vie opposés qui se recoupent malgré eux parfois. L’aspect psychologique, voire psychiatrique de Martin est captivant, même si David Foenkinos aurait pu pousser les curseurs encore plus loin. (c’est mon petit regret) Martin, personnage confronté en permanence à ce qu’il a raté doit trouver un chemin pour réparer une souffrance. Cette voie, explorée par son créateur amène des réflexions intéressantes comme : « Qu’était finalement le succès? Et l’échec? Sa frustration avait pris source dans le fantasme d’un autre destin qui paraissait meilleur. Mais que connaissait-il réellement du quotidien de l’Autre? Pas grand-chose, à part ce que racontaient les médias et l’industrie du rêve.» La vie offre toujours des moyens de se réinventer, de survivre à une douleur ou à un échec malgré le sentiment que nous avons tous à regarder le bonheur des autres partagé sur les réseaux sociaux. Mais, « On vit toujours sous la dictature du bonheur des autres. Ou, en tout cas, leur bonheur prétendu… » 

Dans la vie, il y a toujours un moment où l’on est le numéro deux et savoir gérer cet échec-là est essentiel. 

2 réflexions sur “NUMERO DEUX, David Foenkinos – Gallimard, sortie le 6 janvier 2022.

  1. Yvan dit :

    le pitch est original en tout cas, j’aime bien l’idée ! Du coup, pourquoi pas, à te lire ça donne envie

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