Aude Bouquine

Blog littéraire

La vie heureuse de David Foenkinos Bilan lecture de janvier 2024

Avec un titre pareil, « La vie heureuse », David Foenkinos a su piquer ma curiosité. Aurait-il trouvé la recette du bonheur et souhaite-t-il la partager ? Éric travaille depuis plusieurs années chez Décathlon. « Il avait quarante ans; il était encore jeune pour être vieux, mais l’avenir lui paraissait sans surprise. » Après une progression plutôt constante dans l’entreprise, Éric s’ennuie. C’est à point nommé qu’Amélie Mortiers, nouvelle nouvelle directrice de cabinet du secrétaire d’État au commerce extérieur, le contacte pour intégrer son équipe. Enfin, un nouveau challenge, capable de réveiller Éric qui passe son temps à regarder par la fenêtre pendant ses réunions commerciales ! L’arrivée d’Éric au ministère se passe plutôt bien, même si Amélie constate rapidement un manque d’enthousiasme ou en tout cas une absence de passion.

Éric a été marié, il est père d’un garçon prénommé Hugo. Dans ce nouveau rôle qui lui est attribué, et même si les premières années sont douces, Éric ressent très vite une forme de lassitude. «La vie heureuse » n’est donc pas si facile à établir dès lors que la routine familiale s’installe, comme dans la vie professionnelle. Éric et Amélie se sont rencontrés durant leurs études. C’est elle qui le retrouve sur les réseaux sociaux. Cette prise de contact, puis le fait de travailler ensemble aiguisent la curiosité de l’un et de l’autre qui cherchent à se connaître par l’intermédiaire de quelques clichés « de bonheur » postés sur les susdits réseaux. Éric n’est pas dupe de ce bonheur qu’il juge factice. « Éric commençait à percevoir dans cet incessant étalage du bonheur la promesse d’un précipice. » Fin janvier, un déplacement professionnel pour rencontrer le patron de Samsung à Séoul est organisé, un voyage qui va tout changer…

David Foenkinos nous entraîne à la découverte de l’Asie, plus particulièrement de la Corée, avec quelques expériences qui m’ont franchement fait sourire, comme celle du fonctionnement de la douche « Il y avait dans la modernité comme une volonté inconsciente de vous compliquer l’existence. », ou de la cuisine « Tout ici était un combat contre l’épice ». Ses notes en bas de page sont toujours aussi drôles, si vous avez déjà lu Foenkinos, vous savez de quoi je parle. On pourrait dire que tout ce qui se passe à Séoul reste à Séoul… Sauf que… Un évènement précis va complètement métamorphoser la vie d’Éric. Le chemin vers «La vie heureuse » est en marche, et pour cela, il s’offre l’expérience d’un concept singulier, très en vogue en Corée qui permet de lui redonner goût à la vie, concept dont je ne vais évidemment rien dire pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte. 

Lorsque j’ai fermé «La vie heureuse », je n’étais pas entièrement convaincue par cette lecture. J’ai trouvé un petit goût de réchauffé dans ce nouveau roman de David Foenkinos. J’ai même pensé que franchement il ne s’était pas foulé… D’ailleurs, je n’avais pas prévu de le chroniquer ne sachant pas réellement quoi dire. Mea culpa, car, depuis, les thématiques abordées dans ce livre trottent dans ma tête, et que, bizarrement, je pense souvent à cette vie heureuse. Au-delà de l’expérience phare que connaît Éric à Séoul et qui va redéfinir sa vie, il y a dans ce texte des réflexions très pertinentes sur notre époque, et sur la vie en général qui me taraudent. Par exemple, à l’heure où j’ai mille et une interrogations sur l’essence et l’utilité des réseaux sociaux, Foenkinos dépeint à travers le personnage d’Amélie ce qu’est une vie « instagrammable ». À force de poster des photos d’instants de bonheur éphémères et factices, Amélie ne réalise pas à quel point sa vie personnelle, sa famille, son couple sont en train de s’écrouler. Obsédée par la réussite sociale, au détriment de tout, semblable à un hamster courant dans une roue, ce personnage symbolise les injonctions sociales de réussite, mais aussi d’obligation au bonheur communiquée aux yeux de tous.

A contrario, Éric, qui n’est pas l’incarnation de la joie de vivre, finit par comprendre qu’il faut mettre un terme à cette obligation de vivre à tout prix «La vie heureuse » en luttant contre ces mêmes injonctions sociales. Vivre heureux, c’est d’abord vivre en paix avec soi-même. Ce n’est pas si aisé, car on est si souvent fatigué de soi-même… À Séoul, Éric se met sur pause. Il cesse de courir, il a besoin de lenteur. Ce qui est fascinant en Asie, et pour l’avoir expérimenté au Japon comme touriste, et non comme actif (parce que là, la situation est très différente), c’est comme si la quiétude ambiante rejaillissait sur vous. En conséquence, ce genre de voyage est souvent propice à une totale remise en question. C’est précisément ce qui arrive à Éric : « Il ne voyait tout simplement plus le sens de ce qui lui apparaissait comme une épuisante comédie. » Il est temps pour lui de s’interroger sur les directions prises et de redonner du sel à sa vie, de cesser d’« être absent au monde », et de devenir plus fort d’avoir été si fragile. 

David Foenkinos possède un don certain pour aborder les étapes de la vie avec une réelle simplicité, tout en venant régulièrement tarauder l’esprit de son lecteur. Ce n’est pas parce qu’il ne fait pas montre d’artifices qu’il n’y parvient pas. La preuve, avec mon expérience de lecture. Donner un sens à son existence, y réfléchir, poser les cartes de la vérité sur la table demande du temps. Il faut éprouver « ce besoin viscéral de vivre sa vie et non plus de la subir. » « La vie heureuse » ressemble à une lycoris radiata. Elle pousse sur le chemin qui mène aux enfers, et promet la réincarnation des défunts. En attendant cette heure, à défaut, elle permet au moins de réinventer sa vie…

lycoris radiata dont on parle dans « La vie heureuse » de David Foenkinos

NUMERO DEUX, David Foenkinos – Gallimard, sortie le 6 janvier 2022.

La Grande Librairie émission du 17 janvier 2024 en replay

Lien vers le Podcast Tant qu’il y aura des hommes où David Foenkinos était invité

6 réflexions sur “La vie heureuse, David Foenkinos

  1. Warlop dit :

    Tu m’en avais parlé à la fin de ta lecture. Et effectivement quand un livre revient nous hanter, c’est que finalement il nous a marqué. C’est un peu le cas pour moi pour « des murmures ».

    « ce besoin viscéral de vivre sa vie et non plus de la subir. »
    J’aime cette phrase. Et ma première semaine de janvier je me suis posée tant de questions, je vais essayer de ne plus subir mais de vivre …même en fauteuil changer les choses c’est un challenge difficile mais nécessaire sinon à quoi bon. Mais je garde tout cela pour moi, peur de ne pas réussir.
    Alors tu me donnes finalement très envie de lire Foenkinos, moi qui n’étais pas conquise.
    Merci

  2. laplumedelulu dit :

    Rien de tel qu’une lecture qui sème une petite graine qui éclot sans que l’on s’en aperçoive. Mission relevée pour ce livre donc. Merci à toi pour la chronique 🙏 😘

  3. Aude Bouquine dit :

    C’est assez magique je dois bien le reconnaître 😘

  4. Ce n’est pas un livre qui m’attire, cela dit, tu n’étais pas emballée plus que ça et pourtant il t’a assez marqué pour que tu y repenses. Alors je vais quand même me le noter.

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