« La colère » de S.A Cosby raconte la quête de vérité de deux pères après l’exécution de leurs fils Isiah et Derek mariés et pères d’une petite Arianna. Le père d’Isiah, Ike est noir et n’a jamais accepté l’homosexualité de son fils. Le père de Derek, Buddy Lee est blanc et n’a jamais accepté l’homosexualité de son fils. Après l’enterrement, il pleut des Razorblade Tears, littéralement des larmes de rasoir (titre original du roman) et une énorme culpabilité frappe les deux pères. Deux mois plus tard, lorsque la pierre tombale des défunts est vandalisée, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. « Et comme si ça ne suffisait pas, les vandales avaient ensuite inscrit par-dessus les noms leur point de vue sur l’homosexualité et les relations interraciales à la bombe vert fluo. Un nègre pédé. Un suceur de nègre pédé. » Ike et Buddy Lee se lancent à la recherche du ou des meurtriers de leurs fils. Malgré leurs différences, ils vont devoir apprendre à composer avec l’autre, se comprendre et s’apprivoiser.
Voilà un roman qui tire son épingle du jeu ! S.A Cosby met en scène deux êtres que tout oppose, unis par un but commun : retrouver l’assassin de leurs fils alors que l’enquête de police piétine. L’auteur affirme que son thriller est basé sur le concept de « masculinité toxique ». Effectivement, « La colère » s’appuie sur une dose de testostérone maximale et développe deux thématiques centrales : le racisme et l’homophobie. Ike et Buddy Lee ont tous les deux fait de la prison. Ils ont évolué dans un univers de violence durant des années. Une fois sortis, ils se tiennent à carreau, mais les exécutions de leurs fils respectifs ravivent des instincts primaires.
Dans le titre français « La colère », on perçoit très aisément les notions de vengeance, de revanche et de violence. « C’était le problème avec la violence : quand on la cherchait, on la trouvait, mais elle vous prenait aussi souvent au dépourvu. » L’enquête les amène très rapidement à côtoyer un groupuscule appelé « Les Sang pur » (cela en dit long sur leurs appétences) qui baigne principalement dans le trafic d’armes et de méthamphétamine. Les interactions avec ce groupe nous emmènent très rapidement sur les terres de la série Sons of Anarchy où l’on retrouve les prospects et la fameuse table où sont prises les décisions. Je suis une fan absolue de cette série et autant dire qu’en faisant le choix d’installer ce type d’ambiance, S.A Cosby a immédiatement retenu toute mon attention.
Dans le titre anglais « Razorblade Tears », la dimension de larmes, donc de chagrin, de douleur, d’amertume prend davantage de place. Si Ike et Buddy Lee organisent une vendetta en mémoire de leurs enfants, ils cherchent aussi une forme de rédemption qui se rapproche du pardon. Ni l’un ni l’autre n’a jamais réussi à accepter l’homosexualité de son fils. « Ike ne comprenait pas. Comment Isiah pouvait-il ressentir la même chose pour Derek que lui pour Mya ? » Même la mère de Derek, remariée, tient des propos qui vont dans le même sens. « Notre fils avait choisi un mode de vie dépravé et malsain que ni mon mari ni moi ne pouvions tolérer sous notre toit. Alors oui, je l’ai mis dehors, mais je ne l’ai jamais frappé, moi. »
« La colère » se déroule en Virginie du Sud, dans une ville éloignée de tout. Les deux protagonistes passent énormément de temps en vase clos, en voiture notamment, un espace confiné d’où il est impossible de s’échapper et qui oblige à terminer les conversations, même en cas de désaccords ou de sujets délicats. Cela donne lieu à des joutes verbales nerveuses où les choses sont dites parfois de manière extrêmement brutale. Ne pas pouvoir s’échapper oblige l’autre à écouter, mais aussi à réfléchir sur les sentiments de celui qui parle. Ainsi sont abordés l’homosexualité de leurs enfants et les regrets de ne pas avoir su l’accepter, mais aussi les problèmes d’Ike liés à la couleur de sa peau. D’une certaine manière, il ouvre les yeux de Buddy Lee sur ce qu’il risque tous les jours dans sa peau d’homme noir. « Je pense que pour la première fois, tu découvres à quoi ressemble le monde pour ceux qui n’ont pas la même tête que toi. » Ces deux hommes que rien n’aurait emmenés à faire front commun, se révèlent capables de confronter leurs différences pour démêler le nœud de la haine facile ou héréditaire. « J’ai jamais affirmé que t’étais raciste. T’es juste un péquenaud qui n’a jamais réussi à se soucier de ce que traversaient ceux qui n’ont pas la même couleur de peau que toi. »
Enfin, « La colère » traite du prix de la vengeance. Est-elle nécessaire ? Jusqu’où et à quel prix ? Ike et Buddy Lee vivent dans une culpabilité sans fin qu’il est impossible de racheter autrement que dans le sang. Avant l’intention de retrouver les meurtriers de leurs enfants, il y a l’intention de se racheter vis-à-vis d’eux-mêmes. « On fait un truc pour nos gosses. Enfin. Et pour la première fois depuis une éternité, j’ai pas l’impression d’être le pire père de la terre. » Il m’a semblé qu’à travers ses deux personnages qui deviennent de plus en plus attachants, il restait un petit espoir auquel se raccrocher dans le grand maelström de notre intolérance collective et notre propension à juger l’autre très rapidement. Si deux vieux « rednecks » parviennent à faire preuve d’un minimum de réflexion et d’intelligence, tout devient possible ! « Mais j’imagine que si, un jour, on se rend compte qu’on a été un sale con, ça veut dire qu’on peut s’améliorer. » Tout à fait Monsieur ! Alors certes, cela se fait dans le sang, ambiance vieux western, mais avec gros calibres, dans des courses poursuites dignes des meilleurs films de genre, grâce à des scènes où l’on prend plaisir à voir les « méchants » se faire décalquer la tronche, mais que cela fait du bien de voir au milieu de tout cela deux hommes qui parviennent à se comprendre et à se respecter.
« La colère » de S.A Cosby est un roman fort, très abouti autant sur la forme que sur le fond. L’empathie monte crescendo vis-à-vis des deux justiciers, malgré leurs failles, leurs paroles parfois détestables, parce qu’il y a au fond d’eux une véritable intention de devenir meilleurs. « On n’a pas été de très bons pères, mais peut-être qu’on sera de meilleurs grands-pères. » Cela me redonne un peu de foi en l’espèce humaine.
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Quelle belle chronique encore une fois. Merci à toi Aude. 🙏😘 Il est dans ma pal
Faut le sortir 😉
Je me doute bien que c’est un peu le principe 😂 il est là, c’est déjà ça. Il fait écho à ma dernière lecture, ” America [s] où on explique à la jeune Amy que tout les gens ne sont traités avec égalité en ce bas monde.
Je vais attaquer le dernier de Virginie Grimaldi, ou pas. Mais j’ai bien retenu ta chronique. Merci à toi 🙏😘
Je note ce livre !
Merci pour cette belle critique 🙏📘🖊️
Des thèmes très forts, pas faciles à traiter sans tomber dans le cliché. On dirait que c’est réussi ici…
Je savais qu’on serait en phase sur ce livre et que tu allais apprécier ce qui se dégage de cette histoire et de ces personnages. Tu rends un très bel hommage à l’auteur et à sa manière épatante d’avoir mené cette affaire, sacré roman !
J’ai vraiment adoré !!! Et pourtant, c’était pas gagné ! Mais quel délice !! Sacrée plume