Aude Bouquine

Blog littéraire

« Léonie » est le troisième livre de Marlène Charine. En trois romans, Marlène s’est fait sa place dans le paysage de la littérature de genre et s’impose parmi les voix féminines qui comptent. « Léonie » est un roman choral. Trois voix pour trois récits. Celle de Léonie d’abord, la voix phare, le cœur de l’intrigue. Enlevée par Raymond presque six ans plus tôt lors d’une soirée, elle vit ses dernières heures de séquestration au début du roman. Son kidnappeur s’écroule, victime d’une crise cardiaque. La liberté est à portée de main, il n’y a qu’à franchir la porte de cette maison qui l’a retenue captive si longtemps. Parallèlement, autre voix de femme, autre problématique, celle de Diane, vétérinaire. Six ans plus tôt, alors que son frère Loïc devait être dépêché sur l’affaire de la disparition de cette jeune femme, celui-ci a été victime d’un accident de parapente qui l’a laissé d’abord dans le coma, puis hémiplégique. Quel est le lien entre ces deux femmes ? Enfin, la voix de Jonas, nouveau flic en charge de l’affaire, se présente un peu comme un trait d’union entre Léonie et Diane. 

« Léonie » alterne les chapitres et les retours en arrière pour donner des clés sur certains événements tels que ceux de l’accident ou de l’enlèvement. Les chapitres en italique concernent des péripéties du présent puisque de nouvelles disparitions secouent les esprits et replongent Jonas et Loïc dans une affaire frustrante, car non résolue. L’alternance des chapitres donne un rythme intéressant et permet au lecteur de plonger totalement dans l’histoire pour profiter d’un parfait moment de détente. 

Je voudrais revenir sur la notion de « vraisemblance » et de dites « incohérences » que j’ai pu lire dans quelques retours de lecture. Détenue presque 6 ans, libre de franchir la porte de sa geôle, Léonie ne part pas. De nombreuses tergiversations entre l’ange Léonie et le démon Léonie ont lieu, tergiversations dont nous sommes les témoins. Se succèdent plusieurs réflexions : la peur d’une accusation pour non-assistance à personne à danger (Léonie n’est pas venue en aide à Raymond), la peur de l’inconnu « Bien à sa place. Comme elle et Newton. Ici, à l’intérieur. En sécurité. », le poids de l’emprise psychologique du bourreau envers sa victime « Six ans qu’elle ne rêve que ça, de se retrouver dehors, de quitter cet endroit. Six ans, et voilà qu’elle se trouve incapable de réaliser ce seul et unique objectif. Même plus besoin de cette petite voix intérieure et détestable. Bravo, Raymond. Beau boulot de destruction mentale. ». Tout cela est parfaitement expliqué par l’auteur qui plonge son lecteur au cœur des pensées de son personnage principal afin de tracer, le mieux possible, le chemin psychologique que traverse Léonie. Outre la nouvelle enquête qui rajoute de l’intérêt au roman, nous sommes bien dans un thriller psychologique dont la source part d’une séquestration puis d’un enfermement long. Dans ce cas précis, difficile de ne pas penser à de grandes affaires similaires qui ont eu lieu dans la « vraie vie », et de mettre en perspective la réalité et la fiction. J’ai lu qu’il est invraisemblable de penser qu’enfin libre, Léonie ne parvient pas à franchir le seuil de cette maison, qu’il relève de l’évidence qu’une fois son bourreau mort, elle part en courant. Revenons deux minutes à la vraie vie. Que penser alors de Natascha Kampusch qui vit aujourd’hui dans la maison de son tortionnaire ? Peut-on concevoir qu’il est thérapeutique pour elle d’être capable de vivre dans cet endroit qui a vu périr son enfance ? Est-on capable de se pencher un instant sur les souffrances psychologiques à long terme qui engendrent des actions parfois incompréhensibles pour celui qui n’a pas vécu de telles atrocités ? Je trouve que Marlène Charine a parfaitement posé le contexte afin que son lecteur puisse se faire une place dans la tête de son héroïne et que l’accuser d’invraisemblances relève à lui faire un mauvais procès.

Pour le reste, je ne peux que vous encourager à découvrir « Léonie ». C’est un personnage attachant qui malgré son vécu possède une très forte humanité, une profonde envie de venir en aide aux autres, et une empathie exacerbée. Quant à l’enquête développée ici, l’auteur prend un malin plaisir à brouiller les pistes tout en sachant parfaitement où elle va. La fin peut plaire ou non, mais elle est inédite et originale. Moi, elle m’a fait du bien au moral, et c’est assez rare dans un thriller pour être souligné. 

4 réflexions sur “LEONIE, Marlène Charine – Calmann-Lévy, sortie le 23 mars 2022.

  1. laplumedelulu dit :

    Il est chez mon dealer de livres. Merci à toi, Aude. Chronique qui donne envie une fois de plus. 🙏😘

  2. Merci beaucoup pour cette chronique Aude, car si le synopsis de ce livre m’intéressait beaucoup, je n’étais pas sûre de vouloir me lancer rapidement dans cette lecture, justement suite à ces remarques sur l’invraisemblance de la situation. Je suis donc ravie de découvrir un autre point de vue, et il va remonter en haut de ma wishlist.

    1. Aude Bouquine dit :

      D’une certaine façon, j’ai voulu rééquilibrer la balance entre mon ressenti et ce qui a été écrit ou dit sur ce livre. Si tu le lis, je suis intéressée de connaître ton avis.

  3. Marlène Charine est ma belle découverte de 2021 et j’ai donc hâte de rencontrer Léonie !

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