Pennsylvanie, au milieu de nulle part, dans une petite ville appelée Buell… Chaque minute s’égrène avec lenteur, chacun se connaît puisque chacun a vécu avec « l’autre » depuis la nuit des temps. Le temps du plein emploi est terminé, il ne reste que de la rouille, rust, signe des bâtiments industriels jadis féconds laissés à l’abandon. Restent la misère, les bars où s’épanchent ces pauvres hères, les paradis artificiels pour rêver à d’autres cieux. Découragement, amertume, désolation, désespoir. Poussière, délabrement, avenirs nébuleux. Dans ce climat sombre, sans le moindre espoir de sortir de sa condition, une amitié improbable lie deux êtres : Isaac English et Billy Poe. Pour échapper à leur avenir sombre, ils décident de quitter la ville ensemble. L’un pour fuir un père malade, l’autre son addiction aux bagarres qui lui servent à oublier sa carrière sportive ratée. Mais, Buell ne laisse pas s’échapper ses habitants aussi facilement… Avant leur départ, ils se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment. L’escalade de drames qui va en découler touche plusieurs personnages de cette communauté, dans leur chair, dans leurs âmes, mais aussi dans les liens qui les unissent.
Dans « American Rust », Philipp Meyer brosse le portrait d’une Amérique en perdition. Pas celle des grandes mégalopoles, celle des bourgades où les gens crèvent, où pour oublier, ils s’adonnent à toute sorte d’addictions. Le travail existe à peine, et lorsqu’il existe, ce ne sont que quelques dollars grappillés çà et là qui n’offrent aucune échappatoire. En faisant le focus sur cette ville gangrenée par la pauvreté, les maigres subsistances, il met la lumière sur un pays qui se renie. Ce reniement passe par les personnages et à travers eux, par des relations humaines gangrenées. Lorsque le drame surgit, chacun doit sauver sa peau, et pour se faire, est prêt à tout, parfois jusqu’à renier ses propres convictions ou sa propre morale. Il faut s’adapter. Ainsi, Harris, le shérif local, censé représenter la loi va franchir de nombreuses lignes rouges. Ainsi Grace, mère de Billy sera prête à tout pour sauver son fils. Ainsi Lee, sœur de Isaac demandera l’impossible à son ancien amant. Chaque personnage, profondément enraciné dans le sol poussiéreux de Buell, viscéralement abîmé par cette ville qui lui a tout pris, devra se débattre avec sa propre conscience. Les relations amicales sont durement mises à mal. Les relations familiales oscillent entre attachement et dépendance indomptable. Les relations amoureuses sont truffées de mensonges, de non-dits et de tromperies. Les relations humaines vacillent entre droit et devoir, justice et illégalité.
« American Rust » a été publié pour la première fois en 2009. Il devait alors faire partie des précurseurs du genre roman noir sociétal. Depuis, d’autres ont abordé la thématique de cette Amérique qui se meurt, et dont la destruction programmée provient de ses propres entrailles. Nous sommes bien loin du rêve américain, mais plus le temps passe, plus ce pays réceptacle de tous les rêves s’écarte de ses idéaux par le biais de ses propres dissonances et de ses propres choix. Chacun porte ici une croix qu’il ne parvient même pas à décoller du sol, s’engluant dans la lenteur du temps qui s’égrène, dans l’avenir sombre qui se profile à l’horizon. Et pourtant… Philipp Meyer parvient à faire jaillir la lumière sur la jeune génération, celle qui peut encore s’en sortir, telle Lee. Comme si, sous des couches de poussière et de rouille, il était encore possible de faire jaillir une source de vie, d’espérance et de foi en l’avenir. Ce roman choral est touchant par ses multiples vérités et entre dans la lignée des grands romans américains qu’il faut avoir lus afin de se faire sa propre idée sur ce pays en constante mutation, qui brille par ses idéaux en laissant les pauvres sur le bord de la route. L’écriture de Philipp Meyer, réaliste et poétique n’empêche pas la visualisation, à mon avis, d’une Amérique à la mort programmée.
Il est sur ma wish list pour 2022 😊
J’avais beaucoup aimé Le fils du même auteur. Je note celui-ci. Merci