Aude Bouquine

Blog littéraire

Après minuit de Gillian McAllistair

« Après minuit » défie le temps et les espaces. Ceci est vrai autant pour le lecteur que pour le personnage principal, Jen, qui remonte dans son passé afin d’empêcher un crime dans le présent. Le premier est suspendu à son livre, la seconde s’applique à sauver son fils. Nous sommes le 30 octobre 2022 et Jen attend le retour de son fils Todd, 18 ans. Lorsqu’elle distingue sa silhouette par la fenêtre, il n’est pas seul. Il poignardera l’homme à ses côtés quelques secondes plus tard en bredouillant « J’étais obligé. Pas le choix ». Cataclysme familial. Rien ne présumait ce gamin si doux à commettre une telle atrocité. Tout parent placé devant un tel niveau d’incompréhension chercherait à comprendre, à connaître le mobile précis d’un tel acte. C’est l’intention de Jen. Mais, le lendemain, lorsqu’elle se réveille, Todd est dans la cuisine avec son père et il n’a tué personne. Jen se rend alors compte qu’elle est à J-1, le 29 octobre 2022… 

Qu’est-ce dont que cet ovni ? Un thriller domestique ? Réducteur. Un roman fantastique ? Pas vraiment. Un roman noir d’anticipation qui va à rebours ? Pourquoi pas ! Même si « Un jour sans fin » est évoqué dans le roman, nous sommes bien loin de cette œuvre cinématographique où le héros, souvenez-vous, revit inlassablement la même journée. Dans « Après minuit », Gillian McAllister n’arrête pas le temps. Au contraire. Il se déploie à l’infini, mais toujours dans le passé, car ce passé semble détenir des clés pour changer du présent. 

Après J-1, le voyage de Jen ne va pas s’arrêter là, la boucle temporelle continue à l’emporte à J-2, J-3, etc. Que cherche à lui dire le passé ? Peut-elle changer le cours des événements du présent en allant déterrer des secrets passés ? C’est tout l’enjeu de « Après minuit ». Au fur et à mesure de son voyage, Jen note des détails qu’elle n’avait pas vus, des attitudes de son entourage qu’elle n’avait pas noté, et des comportements du quotidien passés sous son radar. Le diable se niche dans les détails et ceux-ci échappent souvent à notre vigilance. La mission de Jen consiste à revivre des instants précis, mais totalement aléatoires du passé, afin de pouvoir agir sur le meurtre commis par son fils. 

Cependant, le passé est facétieux. Dans les tranches de vie revécue par Jen, il faut débusquer des indices qui tels de petits cailloux blancs sont laissés au bord du chemin. Charge à elle de reconstituer un puzzle grandeur nature de l’histoire de sa famille. Car, « Après minuit » est un roman construit grâce à tous les codes du thriller, tout en plaçant en son centre l’histoire d’une famille, de ses liens, de son quotidien. Connaît-on tout à fait ceux qui partagent nos vies ? Quelles sont leurs parts d’ombre et de lumière ? Un sujet fascinant qui m’a toujours interpellé et que Gillian McAllister traite avec dextérité. Jen a une très bonne mémoire de sa vie personnelle, sa rencontre avec son mari, leurs premières années ensemble, la naissance de leur fils, et pourtant, dans chaque espace temps, elle doit trouver l’indice qui lui permettrait éventuellement de changer le présent. Pour ce faire, elle devra revivre les grandes émotions de sa vie et avoir le courage de poser un regard critique et sans voile sur ses ressentis, notamment son statut de mère et l’arrivée tonitruante dans sa vie de son fils. 

Alors, Gillian McAllister profite de l’occasion pour parler de la maternité, du rôle de mère, des doutes et des convictions qui animent le coeur de celles qui prennent ce chemin. Sans phares, elle dévoile ce que la maternité a catalysé en elle. « Personne ne l’avait mise en garde contre l’accident de voiture qu’était un accouchement. À un moment, elle avait été sûre, et certaine de mourir, et cette certitude ne l’avait jamais véritablement quittée, même une fois rétablie. Elle n’en revenait pas que les femmes subissent une chose pareille. Qu’elles décident de remettre ça. Qu’une telle douleur existe pour de vrai. » Elle raconte l’amour parfois difficile au début, l’inquiétude permanente, la culpabilité omniprésente, la remise en question perpétuelle en résumant parfaitement sa relation avec son fils : « Ils sont, mère et fils, les deux parties d’une fermeture Éclair qui se sépare lentement au fil des ans. » La force du lien explique peut-être cette ouverture, cette faille dans l’espace temps durant laquelle Jen doit collecter des détails de sa vie passée en les revivant, ce qui lui permet de poser les yeux sur des micro détails passés totalement inaperçus.

En s’appuyant sur des personnages forts, des relations familiales solides, et ces mystérieux retours dans le passé, Gillian McAllister happe immédiatement son lecteur. « Après minuit » séduit par l’idée de base, mais aussi par le rythme que la romancière donne à son texte. De plus, le roman n’est pas sans rappeler le fameux « Replay » de Ken Grimwood… Gillian McAllister tisse habilement des ponts entre passé et présent et séduit par les surprises de l’enquête. Il y a des fausses pistes, des révélations et des retournements de situations qui agrippent le lecteur sans plus jamais le lâcher. Dans la sphère familiale, et c’est sans doute pour cette raison que la thématique m’attire tellement en littérature, personne n’est jamais tout à fait qui il dit être : petits secrets bien gardés, actions qui n’incitent pas à l’admiration, masques divers portés dans certaines situations.

La densité des personnages est un autre point fort de « Après minuit ». Jen est présentée comme une mère dévouée, mais aussi comme une femme tourmentée par les doutes et les remords. Son voyage dans le passé lui permet de revisiter des moments clés de sa vie, confrontant ainsi ses propres failles et ses propres peurs. Les relations familiales sont explorées en profondeur, mettant en lumière les tensions et les conflits qui marquent chaque famille.

« Après minuit » est un voyage fascinant à travers le temps et l’espace dont j’ai dévoré chaque page. L’idée de base est brillante, la façon dont Gillian McAllister s’y prend pour mener l’intrigue à son terme est non seulement remarquable, mais aussi tout à a fait bluffante. Tout se tient parfaitement sans jamais tomber dans l’invraisemblance. L’écrivaine a une main mise totale sur son schéma narratif, sans jamais se perdre ou se compromettre avec des argumentations « moyennes » ou tirées par les cheveux. Ce réalisme associé à la densité des personnages permet au lecteur une immersion totale et provoque évidemment, c’est tout l’intérêt, de multiples émotions. 

Plaisir de lecture garanti ! Interrogations personnelles assurées ! « On pense toujours aux malheurs qui nous arrivent plutôt qu’à ceux auxquels le destin nous fait échapper. » Et vous ? Dans quels moments de votre passé aimeriez-vous remonter ?

Traduction : Clément Baude

Replay, Ken Grimwood

Les éditions Sonatine sur Lisez.com

4 réflexions sur “Après minuit, Gillian McAllister

  1. Yvan dit :

    Une idée brillante mais tellement casse-gueule. L’autrice s’en sort avec brio, sans copier, toujours au plus près de ses personnages.
    La créativité sert à ça, parler des autres, parler de nous.
    Une lecture formidable, comme tu le dis bien !

  2. laplumedelulu dit :

    Yvan valide. Merci à toi pour la chronique 🙏 😘

  3. Un roman que j’ai dans ma wishlist et qui m’intrigue beaucoup.

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