Aude Bouquine

Blog littéraire

Et c'est ainsi que nous vivrons de Douglas Kennedy Sortie 1er juin 2023

« Et c’est ainsi que nous vivrons » est le second roman de Douglas Kennedy qui s’inscrit dans son analyse du futur des États-Unis. Après avoir abordé le sujet du droit à l’avortement dans « Les hommes ont peur de la lumière », l’écrivain pousse les curseurs en plaçant son roman en 2045. Une nouvelle guerre de Sécession a redessiné les frontières des états. D’un côté, la CU, Confédération Unie ressemble à un régime théocratique où douze Apôtres autoproclamés gouvernent avec une Cour Suprême confédérée. De l’autre, la RU, République Unie gouvernée par Morgan Chadwick selon un mouvement sécessionniste. Les côtes Est et Ouest prônent une liberté totale, mais la population est en surveillance constante grâce à des implants de puce électronique couplés à des montres connectées. Les états du centre prêchent des valeurs où avortement, divorce, changements de sexe sont interdits et où les valeurs chrétiennes font loi. Alors ? Si vous deviez choisir ? État théocratique gouverné par des fous de Dieu ou État totalitaire déguisé en démocratie ? Il existe une zone neutre dite ZN. « La ville autrefois connue sous le nom de Minneapolis, aujourd’hui divisée en deux : une moitié contrôlée par la CU, l’autre par nous. La ZN représente un peu notre Berlin. » C’est précisément grâce à cette zone neutre qui facilite le passage vers la Confédération Unie que doit se rendre Samantha Stengel, agence des services de la République pour une mission très spéciale. 

« Et c’est ainsi que nous vivrons » est la vision d’un New-Yorkais sur l’avenir de son pays, et ce détail a une certaine importance, car New York n’est le reflet d’aucune ville américaine. C’est une mégalopole à part, cosmopolite. New York, ce n’est pas l’Amérique. Cela n’empêche pas Douglas Kennedy d’imaginer à quoi pourrait ressembler demain, après les années Trump et Biden. « Aujourd’hui, les chercheurs en histoire contemporaine désignent toujours 2016 comme le moment où tout a basculé, où les divisions grandissantes au sein de la population américaine sont devenues irréparables. C’était l’année où le pays a élu comme président un gangster de l’immobilier, dont la renommée nationale reposait sur une émission de télé-réalité. Donald Trump était un idéologue prêt à tout pour accroître sa célébrité et son pouvoir : il parlait le langage rude et sans filtre de l’homme blanc soi-disant marginalisé. Son slogan de campagne, “Make America Great Again”, “rendre sa grandeur à l’Amérique”, était aussi creux que spécieux. Les évangélistes lui doivent une fière chandelle : trois juges de leur obédience nommés à la Cour suprême pendant son mandat, et des dizaines de juges fédéraux tout aussi conservateurs. » Le constat est amer, mais donne une excellente base de travail, crédible et tangible pour parfaire la photographie de la suite. Dans un pays extrêmement divisé, au bord de l’implosion, on n’a aucun mal à imaginer des exécutions publiques par combustion pour tous ceux qui ne rentreraient pas dans le rang idéologique. 

Douglas Kennedy imagine un futur qui fait froid dans le dos… certainement parce que les prémices de cette société en déliquescence sont déjà présentes : aggravation des inégalités sociales, traitement des minorités, impunités de sanctions, discours fondamentalistes, etc. « Et c’est ainsi que nous vivrons » ? Surveillés en permanence, interdits d’exprimer une opinion ou de faire preuve d’humour sur certains sujets sensibles comme la religion, si associés à des minorités raciales ou au mouvement LGBTQIA+ donc sévèrement réprimés ? Il faut bien avouer que l’histoire actuelle du pays en prend le chemin… L’écrivain a une imagination prolifique. Ses idées sur la société qu’il sera de bon ton d’établir, la technologie inventée pour y parvenir, le modèle assez puant « travail, famille, patrie » qu’il met en place a de quoi nous rappeler les heures les plus sombres de notre histoire… en plus noires encore ! Dans ce climat anxiogène au possible, l’enquête menée par Samantha vient offrir au lecteur une respiration bienvenue, sans trop l’éloigner de cette atmosphère « Orwelienne. » 

Si j’ai aimé le postulat de départ, l’imagination débridée, mais qui fait sens, le côté très manichéen de « Et c’est ainsi que nous vivrons » m’a un peu gênée…et encore, manichéen supposerait qu’il y ait un « bon » et un « mauvais » côté dans cette société « dystopique ». Or, il n’y a aucun bon côté. Pour Douglas Kennedy, les Etats-Désunis courent à leur perte et n’ont aucun moyen de changer le train des choses déjà lancé à grande vitesse. Entre brûler les blasphémateurs, faire régner la loi de Dieu et fliquer l’autre partie de la population, il y a peut-être un juste milieu… voire un espoir ? Néanmoins, il me semble salutaire qu’un Américain ait une vue critique sur le pays dans lequel il vit en observant le dépérissement des valeurs humaines, la décadence du système politique, l’appauvrissement des populations, et, d’une certaine manière l’agonie d’une démocratie. D’ailleurs, après avoir fait des recherches sur le titre original « Fly over » sur des sites littéraires américains, quelle ne fut pas ma surprise de constater que le roman n’a pas été publié aux États-Unis… Boycotté ? Trop politiquement incorrect ? Trop dérangeant pour la nouvelle génération ? Cela revient à penser que Douglas Kennedy exprime une part de vérité très dérangeante dans sa vision de l’avenir… donc potentiellement réaliste !

« Et c’est ainsi que nous vivrons » est un roman très dense qu’il vous faudra découvrir seul afin de vous faire votre propre idée sur le sujet. J’ai pensé que politiquement, il était écrit par un Américain pour des Américains, mais il semblerait que j’ai été un peu prompte au jugement. Il est écrit par un New-Yorkais pour tous les peuples qui vivent dans l’ombre de ce géant capable de s’auto-terrasser, tout seul comme un grand, opinion que je partage. Les prochaines élections donneront le tempo !

Ma chronique de LES HOMMES ONT PEUR DE LA LUMIÈRE, Douglas Kennedy – Pocket, paru le 1er juin 2023.

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18 réflexions sur “ET C’EST AINSI QUE NOUS VIVRONS, Douglas Kennedy – Belfond, paru le 1er juin 2023.

  1. Yvan dit :

    Je découvre qu’il n’est pas publié dans son pays… ça me laisse sans voix.

  2. Aude Bouquine dit :

    J’ai vraiment cherché sur tous les sites que je connaissais…

  3. Aude Bouquine dit :

    Merci ☺️

  4. François dit :

    Et du coup, il n’est pas possible de le lire en VO ?

  5. Aude Bouquine dit :

    Peut-être en Angleterre ? Ou dans d’autres pays anglophones ? J’imagine bien qu’il a écrit en anglais, c’est sa langue maternelle. En tout cas sur les sites US, je n’ai rien trouvé. A voir si ça sort plus tard éventuellement…

  6. François dit :

    Pas trouvé, j’ai posté la question sur la page Facebook de l’auteur. Je continue à chercher…

  7. Aude Bouquine dit :

    Avez-vous eu une réponse ? Car la question m’intrigue beaucoup…

  8. François dit :

    Bonjour, aucune réponse de l’auteur. Je vais essayer de lui envoyer un message via messenger pour voir s’il remarque ma question

  9. Aude Bouquine dit :

    Je me demande si ce n’est pas un sujet sensible pour lui…

  10. François dit :

    J’ai envoyé un message sur son site Douglas Kennedy books, on va voir la suite…

  11. Aude Bouquine dit :

    Vous ne lâchez pas 😉

  12. François dit :

    Pas mon genre

  13. Anonyme dit :

    J ai cherché moi aussi et fouillé sur tous les sites ou fora, impossible de trouver FLY OVER. C ‘est vraiment bizarre ! Il a bien dû être publié en VO.

  14. Aude Bouquine dit :

    Sans doute … mais pas aux US …

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