« Parcourir la terre disparue » de Erin Swan est un remarquable premier roman, commencé en 2014. Il est sorti aux États-Unis en mai 2022 sous le titre « Walk the vanished earth ». Il est aujourd’hui publié en France aux éditions Gallmeister. Il aura donc fallu six ans à Erin Swan pour écrire, puis peaufiner ce récit en parallèle de son travail de professeur. Six ans pour construire un roman d’une densité exceptionnelle, porté par des personnages tous issus de la même lignée. « Parcourir la terre disparue » s’étend sur deux siècles et met en scène sept générations, des États-Unis à la planète Mars. L’écrivaine a fait le choix de planter le décor uniquement aux États-Unis, car le rêve américain n’est plus tout à fait ce qu’il était. Roman dystopique, « Parcourir la terre disparue » navigue dans les temporalités et les lieux, principalement des plaines du Kansas à La Nouvelle-Orléans pour nous amener au projet « Étoile Rouge », la colonisation de la planète Mars.
Résumer ce roman est un exercice un peu compliqué, mais je peux vous donner quelques clés, au moins sur les temporalités et les personnages phares rencontrés.
En 1873, Samson, chasseur de bisons, parcourt les plaines du Kansas.
En 1975, Bea parcourt les mêmes plaines que son ancêtre.
En 2027, Paul construit une ville flottante après de nombreuses tempêtes ravageuses sur les côtes américaines. Il est accompagné de sa fille Kay.
En 2073, Moon vit sur Mars avec deux oncles, elle n’a jamais connu la vie sur Terre. Elle vient d’avoir 14 ans et comprend qu’une grande mission l’attend.
Dans « Parcourir la terre disparue », la Terre telle que nous la connaissons est sous l’eau. Dans l’esprit de Erin Swan, tout a commencé par l’ouragan Katrina qui l’a fortement marquée. Elle a perçu cette catastrophe comme un avertissement. La terre avait décidé de se débarrasser de ses habitants. Dans son roman, elle utilise des faits réels comme cet ouragan ou encore les feux qui ont détruit la ville de Paradise en Californie pour axer son intrigue sur le changement climatique, et le futur qui attend la nouvelle génération.
La fin du monde c’est-à-dire la fin de la planète Terre telle que nous la connaissons est proche. Dans « Parcourir la terre disparue », l’auteure centre son récit aux États-Unis, en plongeant par exemple certains territoires sous l’eau. « La Floride n’est plus. Un tsunami l’a submergée il y a deux ans. De Miami à Jacksonville. Pensa-cola. L’État tout entier. », « Tout a été emporté. (…) La Nouvelle-Orléans a été noyée. Ce n’est pas comme Katrina. C’est définitif. », « La côte est aussi, malheureusement. L’ouest a tout de suite été ravagé. ». Elle explique que les États-Unis ont une grosse part de responsabilités dans la colonisation des territoires pour en tirer toujours plus de profit, et dénonce l’exagération de l’utilisation des ressources à outrance sans se soucier le moins du monde d’écologie. (ceux qui ont vécu aux États-Unis savent de quoi je parle : sprinklers – système d’arrose automatique des pelouses- allumés alors qu’il pleut des cordes, climatisation qui fonctionne quand les portes sont ouvertes vers l’extérieur, conduite de véhicules énormes et très polluants, maisons illuminées la nuit, etc.) La nouvelle génération est bien plus soucieuse de l’environnement, et Erin Swan l’a bien compris puisqu’elle met en scène des personnages qui héritent d’un lourd passif et doivent composer avec celui-ci pour construire leur futur.
Cette construction du futur se fait par étapes, et c’est en naviguant à travers les époques que le lecteur peut prendre toute la mesure des actions menées. Par exemple, la création d’une ville flottante pour lutter contre les inondations perpétuelles est la résultante d’une façon différente de penser l’avenir. Elle est également le fruit d’une réflexion précise et pertinente d’une situation à un instant T, quand certains ne croient plus en ce que racontent les médias. « Un ouragan. Deux. Trois. Quatre. Des orages plus intenses que jamais. Plus violents. Pendant que Paul dormait, la forme des continents a changé. New York a subi la transformation la plus remarquable. Chennai au sud de l’Inde. Les Maldives. La Nouvelle-Orléans. Personne ne parle de perte. L’événement est trop soudain, trop inconcevable. Les présentateurs n’évoquent pas l’Apocalypse. Ils refusent de prononcer ce mot, préférant parler de survie. On s’en remettra, affirment-ils. Les gouvernements envoient des provisions. De la nourriture. Des bandages. Des bateaux. Les marées reflueront. Les villes seront sauvées. La civilisation perdurera. »
Lorsque l’épopée de « Parcourir la terre disparue » arrive à son terme, que les conclusions terribles apparaissent, il devient évident pour certains qu’il faut coloniser d’autres planètes et y créer la vie. Le lecteur voyage non seulement dans le temps, mais aussi dans l’espace. Je vous laisse découvrir la vie sur Mars, le projet un peu fou de certains. J’ai aimé la façon dont l’auteur traite le sujet de la vie sur Mars, à la fois comme un espoir que cela fonctionne pour permettre à l’humanité de continuer, mais aussi une forme d’espérance que la colonisation échoue. L’Humanité mérite-t-elle une seconde chance ? À n’importe quel prix ? En faisant fi de toute morale ? En plaçant tous ses espoirs sur les épaules d’une seule personne ?
« Parcourir la terre disparue » est un roman intimiste et introspectif où les femmes ont une place prépondérante. Elles sont les utérus du monde de demain. Pouvoir ou malédiction ? Dans ce voyage épique, les liens entre les personnages se cherchent, ils ne sont pas donnés sur un plateau. Le roman nécessite un minimum d’implication pour comprendre la mécanique et la façon dont il est construit. Rassurez-vous, ce n’est pas mission impossible ! Erin Swan a apporté une attention particulière à la construction pour que tout fasse sens. « Parcourir la terre disparue », traite de l’évolution de la civilisation, et du futur de l’humanité. Chaque personnage apporte une pierre importante à l’édifice de l’histoire, et le lecteur s’attache à chacun. Découvrir peu à peu les liens entre ascendance et descendance est tout à fait réjouissant. Dans cette saga familiale, l’héritage donné a une importance particulière pour les générations futures. Il en est de même pour les traumatismes. Évidemment, « Parcourir la terre disparue » traite majoritairement d’environnement, de catastrophes environnementales, de réchauffement climatique et de ses conséquences, de montées des eaux. Et c’est à cause des problèmes écologiques rencontrés par l’humanité, que l’auteur a pu imaginer la création de la vie ailleurs. La boucle est bouclée.
J’ai trouvé ce récit absolument passionnant. D’abord, dans sa construction un peu mystérieuse au début, puis dans la force de ses personnages, enfin dans les thématiques qui y sont abordées. C’est typiquement un roman ancré dans notre époque, même s’il est dystopique. L’auteure a puisé dans les peurs de toute une génération sur des questions d’avenir. La partie sur Mars est tout à fait fascinante, lorsque l’on comprend ce qui se joue sur cette planète, notamment à travers le personnage de Moon. « Parcourir la terre disparue » n’est pas un roman catastrophiste, il est chargé de beaucoup d’espoirs malgré l’inhumanité de l’humanité et le peu de respect que l’homme accorde à la terre qui le porte. J’aime particulièrement les pensées de Samson qui vit dans les grandes plaines du Kansas de 1873 à 1925 au regard de notre situation actuelle : « Il est traversé par la même pensée qu’alors : combien ce pays est bon et bienveillant. Cette nouvelle nation, si généreuse avec ses richesses. Elle vous donnerait les étoiles si vous les lui réclamiez. Elle vous donnerait la lune. ». Ce roman est un petit bijou d’intelligence, de pertinence et d’émotions. Coup de cœur ! Lisez-le, vous verrez…
Allez faire un tour sur le site Gallmeister, de belles pépites vous y attendent !
Pour aller plus loin, lisez SIDÉRATIONS, Richard Powers – Actes Sud, sortie le 22 septembre 2021.
Tu t’en doutes, après un tel avis, impossible pour moi de ne pas le lire ! C’est tout ce que je recherche dans un livre !
Il t’attend 😉
Comme Yvan, ta chronique donne absolument envie, et cela tombe bien je pars en librairie aujourd’hui 🙈.
J’aime les sagas familiale, l’avenir de la Terre m’angoisse, le futur me paraît s’amenuise, quand à l’homme je suis pessimiste, en vouloir toujours plus est dans sa nature alors quand à sa survie…
Ce roman est vraiment très prenant si on se laisse le temps de rentrer dedans. Je pense que tu aimeras ♥️
Librairie aujourd’hui ? Danger 🤣