« L’île de Yule » est le cinquième roman de notre Marseillaise expatriée au pays des Vikings. En retournant s’installer en Suède, Johana Gustawsson découvre cette petite île appelée Storholmen, entièrement piétonne et appartenant à l’archipel de Stockholm. Autant dire que la romancière trouve là un terrain de jeu formidable et inattendu. Ne pas l’exploiter aurait été bien dommage ! « L’île de Yule » devient le théâtre d’une histoire effrayante, à double temporalité, où le lecteur navigue entre 2012 et 2021. Cette manière de procéder est très chère à Johana et fonctionne redoutablement bien. Grâce à ce procédé narratif, elle fait monter la tension, capte son lecteur, le ferre et ne le lâche plus. L’essayer c’est l’adopter ! À titre tout à fait personnel, je me souviens de ces vacances où sur la plage, j’ai englouti en quelques jours trois de ses livres, « Block 46 », « Mör » et « Sång ». À cette époque, mon blog n’existait pas, sinon je n’aurais pas manqué de vous parler de cet ovni qui a accaparé mes journées et quelques-unes de mes nuits.
Dans « L’île de Yule », l’écrivaine imagine, un scénario flippant, teinté de mythes et légendes vikings. Un délice de poésie où la tradition du sacrifice du vivant prend toute son ampleur. Emma Lindahl, experte en art, doit se rendre sur la petite île pour expertiser les collections de la famille Gussman. Un travail a priori pas très stressant s’il ne s’agissait de mettre les pieds à l’endroit où l’on a retrouvé « la pendue ». Lors de cette expertise, elle fait tomber une brosse à cheveux dans laquelle elle découvre un message : « Aidez-moi, je suis enfermée ici. » Dans ce manoir, Emma ne croise jamais personne, l’ambiance y est fantomatique, les horaires imposés par la famille pour sa venue sont contraignants. L’atmosphère est de plus en plus pesante, et Emma se sent de moins en moins à l’aise… lorsqu’une jeune femme est découverte morte dans la mer, comment ne pas penser à cette fameuse pendue retrouvée neuf ans plus tôt. Il faut dire que ce cadavre avait fait parler, à cause de la manière dont la jeune fille avait été tuée, et des objets qui figuraient alors sur la scène de crime. Comment ne pas faire le parallèle entre ces deux crimes ? Comment garder son calme, et surtout comment appréhender ce nouveau crime, lorsque l’on est personnellement touchée par un passé qu’on préfère garder secret ?
D’abord, je voudrais mettre en avant l’atmosphère de ce roman. Le lecteur est totalement immergé dans ce petit coin de Suède, isolé, peu accueillant, témoin d’une horreur qui s’est déroulée en son sein. Johana Gustawsson a ce don de retranscrire, par des mots, des photographies imprimées sur ses rétines. Le lecteur voit avec précision ce qu’elle décrit et c’est comme s’il y était transporté. « L’île de Yule » est à elle seule un personnage central du roman, à la même hauteur que Emma, ou Karl. Ajoutez à cela, une légende viking sur de sombres festivités, ancêtres de notre fête de Noël, des morts-vivants que l’on appelle des « draugr », une obsession pour le chiffre neuf, des crimes rituels, des paires de ciseaux savamment placés, et des corps suspendus aux branches d’arbres, et vous obtenez un cocktail de frissons détonnant. Personnellement, j’ai beaucoup aimé ce mélange lieu/atmosphère/légende qui apporte un vrai supplément d’âme à l’enquête. Les aller-retour entre passé et présent permettent au lecteur d’assembler petit à petit les pièces d’un puzzle qui s’avère au départ bien compliqué…
Un autre point a attiré mon attention, et il revient assez souvent dans les livres de Johana. Elle aborde souvent le thème de la maternité (elle est elle-même maman), mais ici, à travers les meurtres de ces jeunes filles, elle développe le thème du deuil d’un enfant. Il y a ceux qui partent, les enfants, et ceux qui restent, les parents et éventuellement les frères et sœurs. Ceux-ci doivent apprendre à continuer de vivre. « Pourtant, rien ne m’arrache plus le cœur que la mort d’un enfant. Les parents meurent toujours avec lui, comme si cette disparition les déracinait. Ils crèvent de chagrin, même s’ils en ont d’autres à faire vivre. Et il ne faut pas croire que c’est une douleur propre aux mères. Parfois les pères perdent pied les premiers. Ils s’oublient et oublient ceux qui restent ; ceux qui sont condamnés à rester après cette sœur ou ce frère qui n’a jamais été aussi vivant que dans la mort. » Le thème de la parentalité, les doutes, la peur de mal faire, la sensation parfois de ne pas avoir fait ce qu’il faut semble faire partie de ses obsessions, au-delà de son statut d’auteur. Comme je la comprends !!! Et comme cela me touche ! Nous, parents, nous mettons nos enfants au monde, puis il est de notre devoir de les laisser grandir, même s’ils choisissent des voies que l’on n’avait pas espérées pour eux. « Malgré tout l’amour et le soin de leurs parents pour qu’ils ne manquent de rien, les enfants prennent parfois des chemins de traverse qui les conduisent droit dans le mur. » Et souvent, il nous appartient ensuite de consoler, et éventuellement de réparer.
Comme dans tous les romans de Johana Gustawsson, il y a une intrigue très bien ficelée, un puzzle géant à recomposer, une maîtrise totale des codes du thriller à double temporalité, mais il n’y a pas QUE ça. Il y a beaucoup plus de sujets abordés qu’il n’y paraît au premier abord et c’est sans doute ce qui me plaît toujours encore dans ses romans et dans son écriture. Vous l’aurez compris, vous passerez un excellent moment de lecture avec « L’île de Yule », dépaysant, énigmatique, peut-être même ésotérique… Qui sait ?
Oui, l’atmosphère du roman est épatante ! Une vraie immersion suédoise.
Et concernant ses sujets de prédilection (ses obsessions), ils ne peuvent que toucher, surtout quand le talent d’écriture est bien là.
Je pense que ton billet devrait terminer de convaincre ceux qui n’ont pas encore plongé dans l’univers de l’autrice !
J’espère 🤞
Ah la tentatrice 😍. Et Yvan qui en rajoute une couche. Vous formez un beau duo tous les deux. Et Nadia également.
Merci à toi pour la chronique Aude. 🤗😘
J’assume d’être la tentatrice 😉
Je suppose que les autres aussi 😅
Je vais finir avec un pal débordante, mais sans rein ni foie 🤣🤣