Aude Bouquine

Blog littéraire

Étrange et fascinant que le titre singulier de ce roman « Gamine Guerrière Sauvage ». Trois mots, noms ou adjectifs selon les interprétations pour décrire Maud, son héroïne, trois parties pour brosser un tableau précis et fidèle de son existence. Maud est née un jour sombre…. 11 septembre 2001 au moment où le monde entier a les yeux rivés sur des écrans télé quand les tours jumelles s’écroulent. « Je n’intéresse personne, ma naissance est un effondrement et ce n’est même pas le mien. » Maud vit à Tulle entre un père ex-champion d’athlétisme et une mère ex-championne de body-building. Son frère Alban incarne l’espoir sportif de toute la famille et porte sur ses épaules les regrets de carrières arrêtées trop tôt. Maud possède un signe distinctif : une main droite tranchée, dont la famille tait les origines, mais elle est aussi dotée d’une forme d’intelligence supérieure. En sus de ses résultats scolaires exceptionnels, elle possède des aptitudes uniques dans le domaine de l’informatique. Elle se fond sur le net tel un fantôme, sans jamais laisser de traces.Maud est également reine d’un territoire reculé, propriétaire de 1 km2 de terre en Antarctique, léguée par son arrière-grand-père. « Un kilomètre sur 1 kilomètre. Une part de rêve, la possibilité d’un espoir. Celui d’une terre sans maître. »

Cette famille devrait avoir un mental de gagnant. En raison d’un passé sportif commun, mais aussi en raison de l’éducation reçue par le grand-père notamment. Or, elle croule sous les dettes, peine à finir les fins de mois. Lorsque le père est arrêté et perd son emploi au sein d’une fabrique d’armes, c’est l’annonce d’une ruine assurée. Le massacre des 99 pendus de Tulle le 9 juin 44 plane sur la ville, comme il plane sur la famille. Une forme de déterminisme social est installée dans les esprits : rien ne sert de se battre, c’est perdu d’avance. Curieux lorsqu’on est élevé avec ce mantra «(…) il n’y a ni bonnes ni mauvaises armes. Au bout du compte, une seule chose importe. Rendre les coups.»

À 15 ans, Maud a une imagination prolifique, elle ne s’impose aucune limite, aucun carcan. Le monde entier est son territoire. Elle est la figure forte parmi les faibles fréquemment humiliés. Elle suit le credo « La vie, c’est comme la guerre, ma petite Maud, les seuls vainqueurs sont ceux qui survivent. », et survivre c’est dans ses cordes. Elle prend donc naturellement la main au sein de cette famille qui ne sait pas vraiment s’aimer, mais qui s’aime vraiment. Entre une Robin des bois version féminine et une Lisbeth Salander, Maud sauve la famille du gouffre financier où elle se trouve. « Je découvre que je suis prête à tout pour être en haut du haut de l’échelle sociale et de la chaîne alimentaire. » Hacker de génie, elle cherche, débusque et s’approprie l’argent dormant en mettant à contribution toute sa famille. Maud devient maîtresse en son royaume, régnant sur les terres familiales, pièce d’échec essentielle de toutes les parties à jouer lorsqu’elles sont gagnantes. Autour d’elle, sa famille se soude : elle forme désormais une seule et même entité, œuvrant de front pour le bien commun. 

Seule une ado de 15 ans aux idéaux plus vastes qu’elle-même peut se lancer ainsi dans une lutte contre une mauvaise distribution des cartes à la naissance. Voir ses parents courber l’échine, envisager une seule minute ce déterminisme social lui donne des ailes. « (…) je découvrais que le courage n’avait pas de sexe. » La guerre contre ce qu’elle considère comme des injustices est déclarée. Comment gravir les marches de l’échelle sociale lorsqu’on est « mal né » ? En détectant les failles du système. Il n’y a qu’une gamine de 15 ans pour croire qu’elle a le monde à portée d’un clic. Délicieusement dérangeant, un brin immoral, « Gamine Guerrière Sauvage » décrit à merveille la soif de plus de justice sociale, la construction de soi par la révolte et la détermination. « — Non ! Ce qui fait mal, c’est pas de tomber, c’est de ne pas pouvoir se relever. » À travers les yeux de Maud, il subsistera cette idée de croire que tout reste possible, et surtout ce qui semblait impossible… Un roman qui nous redonne des ailes, malheureusement souvent coupées par le sérieux de l’âge adulte et la fin des rêves d’adolescence. 

Je remercie les éditions Plon de leur confiance. 

5 réflexions sur “GAMINE GUERRIÈRE SAUVAGE, Éric Cherrière – Plon, sortie le 18 mars 2021.

  1. Dans ma pal je trouve la couverture Hypnotisante.
    Joli ressenti

    1. Aude Bouquine dit :

      La couverture est magnifique ❤️ et tu verras le bouquin assez singulier.

  2. Yvan dit :

    Voilà une chronique qui parle à merveille de ce que propose ce roman atypique et qui franchement laisse des traces !

    1. Aude Bouquine dit :

      Tu m’avais déjà bien donné envie de le lire 😉

      1. Yvan dit :

        Je trouve l’interview qu’il m’a accordé absolument passionnante et fascinante

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