Aude Bouquine

BLOG LITTÉRAIRE

Souvenez-vous… En janvier 2019, Sarah Vaughan publiait « Anatomie d’un scandale » dont je vous avais déjà parlé sur le blog. Le roman parlait de consentement sexuel et de justice à deux vitesses. Dans « Autopsie d’un drame », changement de registre, l’auteur s’attaque aux violences faites aux enfants dans le cadre familial et développe plus généralement la thématique de la maternité. Liz est pédiatre. Lorsque l’une de ses amies Jess débarque aux urgences avec sa fille Betsey âgée de dix mois, c’est tout naturellement qu’elle prend l’enfant en charge. En effet, les deux femmes se connaissent depuis de nombreuses années, alors qu’elles suivaient des cours d’accouchement pour leurs premiers enfants. Sauf que… après une batterie de tests, il s’avère que Betsey souffre d’un traumatisme crânien et qu’incontestablement, il s’est passé quelque chose de terrible dans ce foyer que la mère ne dit pas. Comment envisager qu’une amie proche ait pu faire du mal à son enfant ? 

Sarah Vaughan construit ici un roman avec alternance des voix. L’histoire sera principalement racontée par Liz, Jess, mais aussi Ed le mari de Jess. Le même procédé est utilisé pour les retours dans le passé afin de revenir sur des rencontres, mais aussi des faits marquants qui permettent de faire avancer le récit au présent. Cette double temporalité permet de mieux appréhender les questionnements, mais aussi de cerner les personnages au plus près. Le récit ne repose pas simplement sur la question, Jess est-elle coupable de maltraitance ou pas ? Sarah Vaughan a pris un chemin bien plus psychologique, plus profond qu’il n’y paraît au préalable de la lecture. J’avoue avoir eu quelques craintes quant à lire un roman qui ne reposerait que sur cette thématique, mais à chaque fois que j’ai ressenti un certain essoufflement, l’auteur a su me remettre sur les rails en ajoutant de la matière et des sujets de réflexion.

Je laisse volontairement de côté l’aspect coupable ou non coupable dans cette chronique, vous découvrirez vous-même ce qu’il en est. Je veux simplement saluer la volonté de l’écrivain à aller creuser au-delà des apparences, en remontant aux origines des maux par un suspense très bien dosé. 

« Autopsie d’un drame » aborde le sujet de la maternité dans sa globalité, de la grossesse à la naissance, en passant par l’accouchement en lui-même et les premiers mois de vie avec un nourrisson. Je voudrais mettre l’accent sur un point dont on parle peu, mais qui est bien réel : celui des violences gynécologiques. Un accouchement est toujours une question de vie ou de mort et on a parfois tendance à l’oublier. Faire naître l’enfant et sauver la mère obligent parfois à des gestes brutaux, pas forcément expliqués, ni compris, que l’on n’oublie pas. (non, on n’oublie jamais ses accouchements une fois le bébé dans les bras, ne rêvez pas !) «L’expression de l’obstétricien pendant qu’il fourrageait à l’intérieur d’elle avec une agressivité telle qu’elle s’était sentie violée. La douleur. La douleur pure et dévorante.» La différence abyssale qui existe entre l’idée qu’on se fait de la mise au monde et la réalité d’une salle d’accouchement est parfaitement analysée ici. Celles qui ont accouché le savent. «Elle s’était imaginée donner naissance entourée de bougies à la lavande, avec le mouvement lent du concerto pour deux violons de Bach en fond sonore, les cordes la guidant vers l’apogée des contractions. Quelle naïveté…» Il peut résulter de ce moment un potentiel stress post-traumatique, mais qui commence par une dépression post-partum. Le monstre se cache discrètement dans les tripes, mais tourne en tâche de fond dans le cerveau reptilien et peut conduire à l’apparition de phénomènes singuliers. Sarah Vaughan en fait une parfaite démonstration. Rajoutez à cela les réminiscences de votre propre relation avec votre mère qui remonte à la surface, et l’absence du conjoint qui se persuade que vous avez le temps de vous reposer puisque vous êtes à la maison, et vous obtenez une belle bombe à retardement qui ne demande qu’à exploser. Je dois dire que le personnage de Ed m’a bien mise en colère, entre fuite et déni total, il est un parfait exemple de l’époux qui ne voit pas ce qu’il a sous le nez ! Ses abandons conjugaux reflètent assez justement une vision claire des changements qui s’opèrent chez sa femme, mais qu’il préfère ignorer. 

Ce que j’ai trouvé très intéressant dans ce roman c’est la façon habile dont l’auteur s’y prend pour faire comprendre le malaise ressenti par Jess à travers les yeux de Liz, sa propre histoire avec sa mère, son métier de pédiatre, et de petits indices laissés comme des petits cailloux blancs dans leur histoire commune qu’elle finit par rassembler. Une belle place est laissée aux paroles politiquement incorrectes que les mères pensent toutes, mais n’osent pas dire. «Oui, c’est bon de ne pas être une maman vingt-quatre heures sur vingt-quatre», «…mais parfois j’ai besoin de faire une pause. Ils sont usants. (….) J’ai l’impression de devoir constamment être en alerte. ( …) Il y a tellement de choses à envisager. Il faut toujours penser à tout en permanence. À tout ce qui pourrait tourner mal.»

En résumé, ce roman correspond bien à la réalité terrain d’une femme mère de plusieurs enfants. Il aborde des thématiques profondes de manière juste et pertinente en suivant le fil rouge de ce bébé aux urgences. Il permet aussi de déculpabiliser les mères en libérant la parole «(…) or on se sent rarement aussi seul que lorsqu’on est à la maison avec un bébé inconsolable et un esprit en déroute.»Je ne peux que vous en recommander la lecture si le sujet vous intéresse. 

#Autopsiedundrame #NetGalleyFrance

7 réflexions sur “AUTOPSIE D’UN DRAME, Sarah Vaughan – Préludes, sortie le 10 mars 2021.

  1. Mimi21 dit :

    Je suis dans la lecture de ce livre et j’aime beaucoup comme tous les romans de cette autrice.

    1. Aude Bouquine dit :

      Je n’ai pas lu le tout premier mais les deux que je cite sont vraiment bien ! Bonne fin de lecture 📖

  2. CaLyEnOl dit :

    Jamais lu cette auteure,bien envie de la découvrir !

    1. Aude Bouquine dit :

      Oui 👍, franchement j’aime beaucoup ce qu’elle propose.

  3. C’est un très beau roman. Ta chronique est belle et j’y souscris totalement. Sarah Vaughan a une finesse rare dans son analyse psychologique d’un sujet dont il est important de parler. Merci Aude 😊

  4. Votre chronique me donne envie de lire ce livre, même si le sujet fait froid dans le dos.

    1. Aude Bouquine dit :

      Le sujet est bien plus complexe qu’il n’y paraît c’est ce que j’ai beaucoup aimé. Bonne lecture si vous le tentez 😉

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