Aude Bouquine

BLOG LITTÉRAIRE

Il est des livres qui font remonter des réminiscences douloureuses… des souvenirs de silence, d’interdiction de pleurer, de musellement de la parole, d’absence totale du droit à la guérison. Il est des êtres meurtris dans leur chair aux cicatrices visibles, et des êtres meurtris dans leur âme aux balafres dissimulées par des sourires de façade. Il est des êtres qui portent le visible et l’invisible parce qu’ils font partie d’eux. C’est l’été, l’heure des retrouvailles dans la maison de famille. Chacun y vient avec son bagage émotionnel. Chacun médite sous le vieux mûrier. Chacun se souvient du bal qui a changé sa vie, d’autres vont vivre le bal qui va changer leurs vies. Entre les souvenirs et la vie qui s’apprivoise, Diane Peylin ouvre les boîtes des non-dits pour tendre la main vers la guérison. Robin a souffert dans sa chair et se remet lentement d’une longue maladie, sa femme Suzanne cache une blessure dont il lui est impossible de parler, leur fille Jeanne tente de maintenir la tête hors de l’eau en regardant ses parents s’enfoncer en eux-mêmes tous les jours un peu plus. Rosa, la grand-mère vit dans le souvenir de son mari facétieux, le grand Alexandre, celui qui rendait la vie un peu plus belle par ses mots et ses farces et que l’on célèbre, chaque année, entre les murs de la bâtisse, la villa des ronces, qui garde tous les secrets. 

« Le bal » est un roman résolument positif où Diane Peylin rapproche les âmes fracassées par la vie, leur offre une brèche dans laquelle s’engouffrer, libère la parole même si elle est difficile et permet à un couple qui s’est aimé, mais éloigné de s’offrir une ultime tentative de rapprochement. Elle ouvre un sas de décompression où chacun peut panser ses blessures, ses cloques qui grandissent, ses escarres qui empêchent d’avancer. Au gré de la narration au présent, elle raconte le bal de chacun : celui de Robin le 15 août 1991, celui de Jeanne le 14 juillet 2018, celui de Rosa le 15 août 1964 puis celui de tous les protagonistes le 24 août 2018. «(…) dansons, le bal est fait pour ça, pour délivrer les rages indicibles et éloigner les peurs des têtes cabossées…»

Au rythme des chapitres s’égrènent des pages semblables à de vieux albums où l’on collait des photos : parfois, cette photo existe, parfois elle n’existe pas. Chacun y lira sa propre interprétation, mais la photo, visible ou invisible demeure dans l’esprit de celui qui la voit. Voilà une très jolie idée de narration imaginée par l’auteur qui nous permet à nous aussi de contempler un instant de vie, réel ou irréel, attendu ou imaginé.

L’écriture très musicale de Diane Peylin fait le reste. Elle touche à l’intime par les 5 sens. Des phrases longues, l’utilisation de nombreuses virgules permettent de toucher du doigt ce sublime silence qui ne demande qu’à s’exprimer. Quand la lumière touche les mots, c’est le corps tout entier qui s’embrase sous le feu des confidences autorisant l’apaisement des chairs et des esprits. Le cœur des hommes palpite dans cette masure riche du souvenir d’Alexandre, et de la renaissance de Robin venu « combler les carences », « camoufler les vides sous sa carcasse. » Les liens négligés reprennent peu à peu vie, les murs construits se démontent progressivement, une « aube nouvelle» illumine l’obscurité des inquiétudes restées trop longtemps tapies dans l’ombre. «Robin a quarante-sept ans. Robin laisse les flots jaillir. Robin se recroqueville et s’engouffre dans cette faille, s’y perd pour s’y retrouver, crie enfin, crie du plus fort qu’il peut, et tremble pour ne plus trembler. Ne plus avoir peur que la terre s’effondre. Être en accord avec cette révolution. Ne pas lutter contre. Se pardonner même si pas coupable. Croire au nouveau jour.»

Alors, dans ce flot de traumatismes, de plaies béantes ou cachées, les barrières tombent et je ne veux garder en moi que cette sensation de paix libératrice qui m’a envahie à la fin, cette chance d’être en vie, cette rencontre entre des mots et des émotions. « Il n’y a plus d’alibis, plus d’excuses. Les souvenirs ont perdu leur apparat et désormais tout est visible. Les éclats de rire, la folie douce, les soirées merveilleuses, l’amour véritable, la complicité qui les unissaient, tout est là, leur quatuor a bien existé, unique, monumental, passionné. » « Le bal » est un cadeau dont il faut savourer chaque mot.

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :
Aller à la barre d’outils