Il y a des romans qui vous émeuvent.
Il y a des romans qui vous émeuvent et vous blessent.
Il y a des romans qui vous émeuvent, vous blessent, vous révoltent et vous terrassent par la justesse et la force des mots.
Une histoire romanesque, mais tellement réelle qu’elle pourrait raconter votre propre vie, ou celle de l’une de vos amies.
C’est la grande force d’Amélie Antoine, et cela depuis le début. Ce que j’aime le plus chez elle : devoir me rappeler à chaque chapitre qu’il s’agit là d’un roman, pas de la réalité, même si c’est bien une réalité susceptible d’être vécue par nous tous qu’elle raconte. Amélie Antoine est une auteur singulière, dotée d’une sensibilité exacerbée qu’elle met au service de l’écriture. Son phrasé est capable de susciter un tel panel d’émotions que cela relève du génie et d’un soupçon de magie. Entrer dans son univers c’est accepter de ne pas en sortir tout à fait indemne, de rouvrir des plaies qu’on croyait fermées, de s’écrouler face à une situation déjà vécue. Elle a une façon bien à elle de vous assommer, généralement en milieu de roman, en dévoilant une information que vous n’avez pas vue venir et qui vous laisse sans voix.
« Le jour où » ne fait pas exception à cette règle. C’est un roman extrêmement douloureux qui décortique l’amour déçu, la perte, la reconstruction et la résilience. Je pense que ce qui m’a le plus terrassée dans ce récit c’est le postulat selon lequel on ne connaît jamais totalement la personne avec laquelle on vit, même si on vit avec elle depuis très longtemps. L’autre, ami depuis des années peut devenir votre pire ennemi. Un ennemi d’autant mieux armé qu’il vous connaît mieux que vous-même et qu’il sait exactement sur quel bouton appuyer pour vous faire le plus de mal possible. Une idée effroyable ? Non un fait attesté, une terrifiante réalité.
Dans ce roman flotte une douleur sourde. Peut-être pas celle qui est décrite… Une autre, encore plus profonde, de celle qu’on ne peut révéler et qu’on transforme dans une histoire pour l’apprivoiser et tenter d’en guérir. « Songe à quel point les mots étaient cruels et aiguisés de la manière la plus précise possible pour la mettre à terre. » Louis et Rébecca se connaissent depuis l’adolescence. C’est tout naturellement qu’ils vont faire leur vie ensemble. Être ensemble est une évidence. Avoir un enfant, une suite logique pour Louis qui se montre très insistant alors que Rébecca n’est pas prête. Finalement, elle finira par accepter l’idée et par être enceinte. Sauf que… le carrousel de la vie est parfois bien versatile. Il tourne dans un sens, puis dans l’autre sans jamais révéler sa direction au préalable. Parfois, il nous éjecte, parfois il nous laisse bloqués, harnachés sous ses sangles de protection, parfois il nous fait tomber de haut. C’est grâce ou à cause de ce carrousel que Rébecca va rencontrer Benjamin dans un cimetière parisien. Chacun a sa raison d’être là, aucun ne souhaite en parler. Au premier regard pourtant, quelque chose se joue. Ensemble, pas à pas, avec beaucoup de prudence et mille précautions, ils vont tenter de s’apprivoiser. Mais est-ce si facile d’évacuer ses démons, de se laisser prendre par la main et d’espérer à nouveau quelque chose de beau de la vie ?
Amélie Antoine dissèque les émotions comme personne, ici c’est le couple qui est sa proie. Elle démontre comment, au début d’une relation, toutes les indications de l’avenir de la future union sont déjà présentes. C’est comme une signature invisible sur un contrat secret. Parfois, l’un des deux choisit de ne pas les voir, ou ne peut pas les voir. Mais il sait. Au fond de lui, niché au creux de ses entrailles, il sait. Une indifférence devant la détresse de l’autre, des paroles blessantes, une insensibilité chronique, un rôle joué, il y a multiples possibilités de se refaire le film après un drame. Mais d’autres fois, l’un des deux se transforme, se métamorphose en un bourreau culpabilisant qui ne sait se repaître que de la souffrance de l’autre. « Ce ne devrait pas être permis de mentir avec autant d’aplomb ». Non, cela ne devrait pas être permis que sa moitié devienne son pire opposant et que la vie soit si injuste.
« Le jour où » rapproche deux écorchés de l’existence, deux êtres en souffrance qui n’imaginent pas pouvoir renaître de leurs cendres. Dans un contexte très sombre, moralement éprouvant, deux êtres ayant perdu leur lumière vont tenter de se rallumer l’un l’autre. Peut-être, y a-t-il là, une forme de message d’espoir qui permet de croire que même au plus profond de la nuit, l’étincelle de vie présente en chacun de nous ne s’éteint jamais tout à fait, et qu’il suffit d’une brise, même légère pour faire repartir le feu. Amélie ne m’avait pas habituée à cet optimisme, mais j’imagine que l’écriture de ce livre a constitué une forme de thérapie. Cet éclair, cette petite lueur qu’elle nous laisse entrevoir dans son écriture lui va bien, même si je ne suis pas certaine que cela fasse partie de son ADN littéraire. Je lui laisse le mot de la fin, ce mantra qu’il faudrait pouvoir appliquer tous les jours :
« On devrait toujours faire les choses au moment où l’on a envie de les faire, sans tergiverser, sans vouloir être raisonnable, sans remettre à plus tard. Parce qu’on ne sait jamais s’il y aura un “plus tard”, en réalité. Et il suffit d’un minuscule grain de sable pour que le “plus tard” se transforme en “trop tard”, pour que l’espoir se métamorphose en regrets. La pire erreur qu’on puisse faire, dans la vie, c’est d’être raisonnable. De temporiser, de douter, d’attendre. Au lieu de se contenter de vivre. »
Je remercie les éditions XO de leur confiance.
Une chronique délicieusement longue ;-). Et très juste, tout autant que touchante.
Vraie, comme l’est Amélie Antoine
Faut croire que je n’arrive pas à raccourcir 😂
C’était bien ça ne suffit pas ??
J’adore Amélie Antoine ❤️
c’est parfait 😉
Je le termine ce soir en apnée
Je comprends tellement !!! Bonne fin de lecture ❤️