Aude Bouquine

BLOG LITTÉRAIRE

Thanatea de Sonja Delzongle Editions Fleuve Noir

« Thanatea » de Sonja Delzongle fait penser au nom d’une île polynésienne. Même si les activités qui sont pratiquées sur cette île sont quelque peu « terre à terre », on y trouve tout de même des rites dédiés aux morts, et un respect certain pour les corps sans vie (comme sur les îles polynésiennes). Car oui, « Thanatea est le nom de l’entreprise et de l’île sur laquelle elle est implantée. » Pourquoi parler de cette entreprise ? Parce que Esther Azoulay, flic de son état, ne supporte plus son travail. Exaspérée par toutes les horreurs qu’elle voit au quotidien, elle démissionne pour prendre un poste très en dessous de ses compétences, barista à « Thanatea ». Cette décision peut sembler bien excessive, sauf que, après les années que nous venons de vivre, et le job anxiogène d’Ester, je n’ai aucune peine à imaginer que l’on puisse tout envoyer valser. 

Esther travaillait avec ses deux meilleures amies, Layla et Hélène. La première est maman d’une petite Nour, qu’elle élève seule au début du roman. La seconde vit avec Gauthier, spécialisé en jeu vidéo, bière et consommation d’herbe. Ensemble, ils ont essayé d’avoir un enfant, quand un cancer du sein de stade deux a fait son apparition. Quant à Esther, on comprend très vite qu’elle a subi un drame personnel qui lui a, entre autres, coûté sa relation avec Romain. Ce drame n’est pas la seule raison pour laquelle elle souhaite changer de vie, et l’accumulation ne peut que l’encourager à partir. « Thanatea » s’ouvre sur un enterrement où les trois amies sont présentes, sauf que l’une est mise en terre. Laquelle ? 

« Thanatea » va donc s’articuler autour de deux lieux : une île située au cœur du lac Léman, et la ville de Lyon. Sonja Delzongle va jongler entre les lieux et les personnages tout en naviguant autour d’une thématique centrale, focalisée sur la mort. Car, dans ce roman, c’est bien de la mort que l’écrivaine nous parle principalement. Elle le fait de manière plutôt habile, sous différents aspects. D’abord, et c’est une évidence, par le travail et le lieu de travail d’Esther. En effet, « À Thanatea, on aide les gens qui ne veulent plus de leur vie à réussir leur mort. » Elle l’amène intelligemment à travers le décès de Sara en abordant la douleur de la perte d’un enfant pour une mère. La mort est pour moi le personnage central du roman, elle en est aussi la thématique principale. Et, autour de cette thématique l’auteure aborde des sujets qui font débat, tels que l’euthanasie, le droit de mourir dans la dignité, la possibilité de décider du moment, les rites funéraires. « Que chaque tertre constituait une tombe et que les morts, ici, étaient enterrés sans cercueil, juste enveloppés d’un linceul, comme l’exigeait le règlement de l’île. »

La première partie de « Thanatea » est sans doute celle qui m’a le plus intéressée. Je trouve Sonja Delzongle excellente lorsqu’elle aborde des sujets de société, spécialement lorsqu’ils sont délicats, et pas forcément politiquement corrects. (Bravo pour avoir encore une fois mis en lumière les violences faites aux femmes) De plus, elle fait un excellent travail sur la présentation de ses personnages. Elle leur donne une vraie densité, une humanité très profonde, le réalisme d’existences difficiles où chacune doit régler ses propres problèmes, et une vraie sororité. Et pourtant, malgré la sororité qui les lie, chacune de ses femmes a un jardin secret qu’elle n’a pas partagé avec ses amies. Ce qui appuie le fait qu’on ne connaît jamais réellement l’autre, et que l’on n’est pas à l’abri de surprises… ce dont je suis convaincue à titre personnel. Au fil du roman, Layla et Hélène notamment, découvrent des choses totalement déconcertantes sur Esther, mais le lecteur, lui, est mis dans la confidence de petits secrets personnels qu’elles se sont bien gardées de révéler…. Chacune a quelque chose à cacher malgré l’affection énorme qu’elles se portent. 

J’étais donc conquise par ce début de roman, très riche de précision, de sujets, de réflexions, de personnages à aimer et j’étais fort confiante pour la suite. À partir de la seconde moitié de « Thanatea », les choses se corsent. Il y a un changement psychologique chez Esther dont je ne m’explique pas les tenants et les aboutissants, et qui, pour moi, rend le récit difficile à suivre. Puis, il y a les diverses thématiques abordées dans la deuxième moitié qui ne sont pas assez développées à mon sens, et tous ces trop nombreux rebondissements qui arrivent en cascade… Le nombre de péripéties est impressionnant ! S’ils servent le rythme, ils ont cassé la proximité et l’affect que je pouvais avoir avec les personnages. C’est un avis tout à fait personnel, et cela ne doit pas vous empêcher de lire « Thanatea » ou de découvrir la plume de Sonja Delzongle, mais je pense très franchement qu’elle n’a absolument pas besoin de ces « artifices » pour que ses romans soient de bons romans ou de bons « page-turner ». Sa plume se suffit à elle-même. La manière dont elle installe l’atmosphère se suffit à elle-même. La densité qu’elle apporte à ses personnages se suffit à elle-même. Les thématiques de société qu’elle ose aborder se suffisent à elles-mêmes. 

Alors, certains lecteurs aiment ce rythme effréné où chaque fin de chapitre se termine par une révélation. Cela a été mon cas pendant un certain de temps dans ma vie de lectrice. Aujourd’hui, je suis plus sensible à l’aspect « roman noir », qu’au « polar » pur et dur. J’ose même dire que ce qui m’intéresse vraiment est avant tout le contexte, l’atmosphère, la façon de poser les personnages et de les rendre attachants, les sujets de société, bien plus que l’enquête et sa résolution. C’est une question de point de vue, et non un jugement de valeur. 

J’ai trouvé dans « Thanatea » de belles qualités par rapport à ce que je recherche actuellement dans mes lectures, et c’est cela que je veux retenir avant tout. 

LE DERNIER CHANT, Sonja Delzongle – Denoël, sortie le 31 mars 2021.

L’HOMME DE LA PLAINE DU NORD, Sonja Delzongle – Denoël, sortie le 11 mai 2020.

CATARACTES, Sonja Delzongle – Denoël, sortie le 11 avril 2019.

Interview de Sonja Delzongle sur le blog EmOtionS

8 réflexions sur “THANATEA, Sonja Delzongle – Fleuve Éditions, paru le 9 mars 2023.

  1. Yvan dit :

    Je trouve comme toi la première partie formidable, et j’ai trouvé également qu’il y avait trop de rebondissements dans cette fin. Gardons le côté positif, c’est effectivement une affaire de goût 🙂

    1. Aude Bouquine dit :

      Je pense que ça peut plaire au plus grand nombre, cela tient le lecteur en haleine c’est certain !

  2. laplumedelulu dit :

    J’aime et je salue ta franchise Aude. Merci à toi 🙏😘

    1. Aude Bouquine dit :

      J’essaie de rester honnête 😉

      1. laplumedelulu dit :

        C’est tout en ton honneur 😘

  3. Il faut que je le sorte de ma PAL !

  4. Très bel avis ! De mon côté, je pense être dans une phase de transition. Avant, il me fallait de l’action, maintenant, j’aime toujours autant l’action, mais j’aime aussi l’émotion et ça ne me dérange plus que les auteurs prennent leur temps, au contraire. Alors ce mix des deux, je suis sûre qu’à moi, ça plaira beaucoup !

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