Aude Bouquine

Blog littéraire

« L’horizon d’une nuit » aborde l’histoire d’une famille recomposée. Maria et son fils Vincent, Samir et sa fille Yasmin. Une famille dans laquelle règne l’harmonie, où les différences culturelles et confessionnelles sont acceptées dans le plus grand respect de l’autre. Une famille que l’on jalouserait presque tant elle semble naviguer entre les écueils.Tout se déroule merveilleusement bien jusqu’à la disparition de Yasmin, une nuit d’hiver près de la falaise. Une enquête est ouverte, le vernis de la famille parfaite se craquelle peu à peu jusqu’à l’apparition de soupçons dirigés sur le père. L’harmonie est une notion toute relative. Le bonheur trop éblouissant cache souvent des zones plus sombres. Qu’est-il réellement arrivé à Yasmin ? Pourquoi son corps n’a-t-il pas été retrouvé ?

Camilla Grebe a construit son roman sur plusieurs voix qui vont se succéder dans la narration. Chacune apporte des détails supplémentaires, mais aussi une nouvelle vision des faits grâce ou à cause d’un angle différent et d’un ressenti intime. Ce n’est sans doute pas un hasard si « L’horizon d’une nuit » commence par la voix de Maria. C’est elle qui pose le récit, raconte la rencontre, le mariage, le début de la vie à quatre. C’est elle aussi qui instille les petites graines du doute, ce terrible doute qui change les forces en présence, doutes qui ne vont que croître lors de l’enquête. À mon sens, ce que l’auteur développe formidablement bien c’est la difficulté de la famille recomposée sur le point précis de l’éducation. Chaque « duo » arrive dans le couple avec son bagage émotionnel familial, mais aussi avec ses propres idées sur la manière d’élever les enfants. « J’avais tenté d’expliquer que Yasmin, comme tous les adolescents, avait besoin de règles. Des règles non négociables, nécessaires parce qu’elles représentaient une limite rassurante et stable définissant ce qu’est un comportement acceptable. Des règles qui étaient des murs, pas des chevaux d’arçons qui pouvaient être déplacés sur le terrain que Yasmin avait dessiné.» La difficulté d’une famille recomposée se situe précisément là, et les incidents qui en découlent, légers au début, mais prenant de plus en plus de place deviennent des puces qui démangent. L’accroche du roman qui consiste à dire qu’on ne connaît jamais réellement les personnes qui partagent nos vies est tout à fait pertinente, surtout dans une famille composée de toutes pièces. Ainsi, Samir d’origine française, mais de confession musulmane (même s’il est non pratiquant) est celui sur qui tous les regards sont braqués. L’auteur rajoute le facteur de la différence dans l’équation. Par la religion d’abord, puis par l’autisme de Vincent. Les portraits que l’on croyait figés se font de plus en plus flous et entraînent forcément des questionnements. 

Autre point qui ne me semble pas anodin c’est justement de débuter le récit avec Maria, celle qui doit survivre à l’enquête et au délitement de sa famille, comme si elle avait une parole de vérité par ce rôle qui lui est donné. Pourtant, plus l’histoire avance, plus elle se rend coupable d’avoir vu ou senti des choses sur lesquelles elle n’a pas agi. Délibérément ? Par volonté de ne pas s’en mêler ou par lâcheté ? J’ai aimé ce choix narratif qui consiste à mettre en doute celle qui « a le beau rôle », celui de la « victime » des apparences. Chacun avait quelque chose à cacher, une personne à protéger, un secret à taire. Tous auraient pu vouloir se débarrasser de Yasmin perturbant l’harmonie familiale.

« L’horizon d’une nuit » génère bien des surprises dans le traitement de l’enquête. D’abord, cette succession de voix qui apporte chacune une pierre supplémentaire à l’édifice de la vérité, mais aussi un bond de vingt ans dans l’espace-temps lorsque l’enquête est réouverte à la suite de la découverte d’un cadavre. Avec la voix de Gunnar, les squelettes sortent peu à peu du placard, et avec eux, les révélations. De nouvelles interactions sont créées, un regard inédit est posé sur l’affaire tout en insérant des thématiques de société comme le racisme qui gangrène la Suède ou les violences faites aux femmes. Pourtant, l’histoire n’a rien de fou ni d’alambiqué, elle se base principalement sur des personnages dont les portraits psychologiques sont minutieusement dépeints, avec leurs forces et leurs failles, leur place dans la cellule familiale, leur vie personnelle et intime naviguant entre réalité de leurs existences et secrets. Je ne sais pas comment fait Camilla Grebe pour leur donner autant de substance, autant de vie et d’authenticité, mais le résultat est bluffant. La fin tait jusqu’au bout ses secrets et n’est pas sans rappeler un tome 1 d’une autre œuvre. L’idée des multiples facettes de nos proches me fascine, leurs zones d’ombre, leurs petits arrangements avec eux-mêmes. Le traitement que Camilla Grebe en fait est tout à fait fascinant et remarquablement bien exploité ici. J’ai été happée par ce roman jusqu’à la dernière page, hypnotisée par la dextérité de l’auteur. Soigner ses personnages c’est susciter une énorme empathie et ça, Camilla Grebe l’a très bien compris. 

Je termine sur ce passage à méditer : «Les racines sont ton enfance. Sans racines solides, tu n’emmagasineras pas assez d’énergie pour croître et te développer. Le tronc, ce sont tes actions, les choix que tu fais, l’expérience que tu te fabriques – il peut être épais et puissant, ou grêle et faible, à toi de voir. Mais sur les troncs malingres ne poussent pas de branches fortes. Les branches sont les rêves que nous portons. Elles s’étirent vers le ciel, elles ne savent rien faire d’autre.» 

4 réflexions sur “L’HORIZON D’UNE NUIT, Camilla Grebe – Calmann-Lévy, sortie le 9 février 2022.

  1. J’aime ton ressenti et ce passage à méditer.

    1. Aude Bouquine dit :

      Merci 🤩

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