Lors de la sortie de « Persona » en février 2020, j’avais écrit ceci dans ma chronique : « Donnez-nous au moins un personnage à aimer, nous vous le rendrons bien. » Un personnage à aimer… une demande si simple, mais pourtant si compliquée à créer dans un monde gouverné par les GAFAM, thématique principale du premier roman de Maxime Girardeau. Allez savoir si cette requête est arrivée jusqu’à l’auteur, ou si, simplement, dans ce texte « Ego » dont les prémices existaient déjà avant « Persona » l’écrivain a compris que ses lecteurs avaient besoin d’attachement, de sentir que les protagonistes devaient être aimés pour être mieux compris. C’est chose faite à travers cet « Ego » dans lequel Maxime Girardeau révèle à la fois l’humanité de ses personnages, tout en développant leurs émotions intimes au travers de leurs failles, et en tissant un lien ténu avec son précédent roman.
« Ego » débute de la plus douce des façons : un grand-père qui se réjouit de revoir sa petite fille, dernier lien qu’il possède avec son fils trop tôt disparu. Tout en préparant la liste des choses à faire avant de la récupérer à la gare, au milieu de la liste de courses, il note « transport du paquet ». Il ira bien chercher ce paquet, sans s’enquérir de ce qu’il transporte vraiment, sans regarder ni devant ni derrière, sentant simplement plusieurs paquets que des hommes cachent sous la banquette arrière de sa voiture. Sur la route de la livraison, un terrible accident se produit, éparpillant sur la chaussée ces paquets qui permettaient au vieil homme d’arrondir ses fins de mois. Autre temps, autre heure, Ariane, brillante mathématicienne tente de venir en aide à son amie Elga. Sa mission est de l’aider à retrouver Nicolas Kergan, mystérieusement disparu. C’est Ariane qui a créé DIVA, un programme, sorte de traqueur numérique capable de compulser toutes sortes de données en passant « en revue les immenses terres numériques ». Malgré la vitesse et l’intelligence de ce programme, Nicolas demeure introuvable. C’est d’autant plus inquiétant qu’il a intégralement créé EGO, avec son ami et associé Anatoli, alors qu’ils étaient encore tous deux étudiants…
Qu’est-ce dont qu’EGO ? A priori, « une boîte qui récoltait des informations sur les individus à travers des questionnaires, des jeux-concours, les réseaux sociaux, puis réalisait des études qu’elle revendait à des groupes privés ou publics. EGO, comme tous ses concurrents se targuait de comprendre l’humain par les mathématiques. » Comme dans « Persona », le lecteur pénètre ici dans d’autres sphères. L’auteur, lui, continue son « travail » informatif de décryptage d’un milieu qu’il connaît bien, celui d’internet. C’est sur cela que je souhaite insister davantage. J’ai lu des centaines de thrillers, romans noirs, polars depuis l’ouverture de mon blog, et comme pour d’autres lecteurs, j’ai besoin que, en plus des personnages, en plus d’une intrigue à tiroirs bien ficelée, l’auteur saisisse cette formidable opportunité qu’offre la littérature de genre pour pousser les curseurs en développant une vraie thématique de société. D’abord, parce que je trouve cela passionnant, ensuite parce que cela provoque de vraies réflexions de fond sur le monde dans lequel nous vivons. « Ego » explicite le fonctionnement de grandes entreprises dont les activités sont basées sur la conception et l’utilisation de programmes lancés sur internet qui collectent toutes les informations que nous y laissons pour organiser ensuite toutes sortes de conditionnements : achats, création d’envie par la publicité par exemple. Le programme EGO lui, va plus loin. Il fonctionne comme un « super psychologue », dresse un profil d’une grande profondeur et d’une réelle précision, et tout ça par écrit pour éviter que la personne analysée n’enfile son « Persona », son masque social.
Ce choix thématique est à mon sens la grande force des livres de Maxime Girardeau. Loin de rendre le sujet barbant, il le place au centre de son roman, puis le nourrit en faisant graviter à proximité une intrigue passionnante et bien ficelée que des personnages viennent dénouer. De plus, il ne sombre pas dans la facilité, car « EGO » n’est pas un récit linéaire. À chaque chapitre sa voix, à chaque voix son espace-temps. Un véritable exercice de funambule pour ne pas tomber dans trop de répétions (chaque voix finit effectivement par se retrouver au même point d’impact), mais aussi un véritable jeu avec le lecteur déjà au courant de certains faits, en passe d’en découvrir de nouveaux, sous une autre perspective et grâce à d’autres yeux. J’ai senti un véritable travail de fond sur le choix de la construction narrative pour maintenir son lecteur dans une forme de dépendance affective. Cela fonctionne à merveille ! J’ajoute que l’auteur prend des risques. Le lecteur attentif saura déceler quelques pensées plus personnelles placées dans la bouche des personnages, constats cyniques du monde qui nous entoure, et plus précisément de comportements nauséabonds qui pullulent : la psychose collective, la jungle urbaine, la dégradation du vivre-ensemble, la curiosité malsaine, les économies parallèles entre autres exemples. L’écriture est raffinée, tantôt tendre, tantôt mordante, souvent cynique. Les allégories déployées sont très pertinentes, pour accabler, ou au contraire pour apaiser les situations ou les personnages. La qualité de la plume est un vrai plus qui rend l’ensemble totalement réjouissant à lire. L’introduction d’un personnage atypique au vécu lourd est un coup de génie, il vient enrichir encore un texte déjà dense aux multiples ramifications.
En conclusion, j’ai vraiment adoré « EGO ». Parce que c’est un roman différent, parce que chaque chapitre, chaque personnage, chaque étape a été mûrement réfléchi. Parce que Maxime Girardeau m’a donné des personnages à aimer. Parce qu’il m’a aussi offert des sujets à méditer et qu’il l’a fait en peaufinant chaque phrase et chaque idée. Et enfin, parce que « EGO » a ce petit côté visionnaire, pragmatique dans son approche, un peu lanceur d’alerte, et tellement réaliste. J’ai été conquise tant sur la forme que sur le fond.
PERSONA, Maxime Girardeau – Mazarine, sortie le 12 février 2020.
Et allez. Un de plus sur ma whislist. Voire deux puisque je n’ai pas encore lu le premier qui doit sortir en poche prochainement, si ce n’est déjà fait.
Merci à toi Aude. 🙏😘
Il tombera un de ces jours dans mon panier, tu ne fais que me le confirmer 😉
Superbe chronique sur un polar qui le mérite bien 😉
Vraiment une excellente surprise !
Je l’ai beaucoup apprécié aussi, et cette technologie est malheureusement plus que crédible…