Aude Bouquine

Blog littéraire

Dans « Les dents de lait », le lecteur pourrait faire un parallèle vers une fable, ou un conte. On pourrait également placer le récit dans un futur proche, presque post-apocalyptique. Focus sur une région plongée dans le brouillard, où la terre n’est que sécheresse, une région qui semble presque morte. Une communauté vit sur ces terres, en totale autarcie. Personne n’entre sur son territoire, personne n’en sort. Elle s’est assurée de cet état de fait en faisant sauter le seul pont susceptible d’amener un étranger jusqu’à eux. «Imagine si tout le monde faisait ce qui lui passe par la tête sans réfléchir une seconde à l’impact que ça a sur les autres et aux conséquences que ça entraîne. Dans la région, on s’aligne sur les autres, on s’adapte, c’est comme ça. C’est la seule raison pour laquelle on s’en sort encore relativement bien. Ici, on ne pense pas d’abord à soi, on pense à la communauté, à la région.» Cette communauté se protège du reste du monde tout en restant prisonnière d’elle-même, une forme d’incarcération volontaire où l’Autre représente forcément un danger. Jusqu’au jour où, Skalde découvre une enfant aux cheveux roux dans la forêt et la ramène à la maison. Cette petite fille, qui a toutes les caractéristiques d’une sorcière, déclenche la peur, puis la haine de tout le village. Comment est-elle arrivée là ? Que veut-elle ? D’où vient-elle ? À travers elle, ce sont de multiples certitudes qui s’effondrent, un combat entre celles qui se prennent à rêver d’un ailleurs et ceux qui prônent l’inertie et le maintien du repli sur soi.

Edith et Skalde vivent dans ce village, mais n’ont jamais été bien acceptées, encore moins intégrées par les premiers qui vivaient là. La première est la mère de la seconde, mais entre elles, les relations sont difficiles, tendues, indigestes. C’est d’abord cette relation mère-fille, singulière, fragile, violente qu’Helene Bukowski a décryptée. « Les dents de lait » est un roman féminin où les rapports entre les femmes virent parfois au supplice et où la fille doit rapidement se séparer de sa mère pour prendre possession d’elle-même et devenir autonome. L’indépendance grandit grâce à l’irruption de Meisis dans leurs vies. Dans cette communauté pétrie de superstitions, cette enfant est un « changelin », c’est-à-dire un leurre laissé par les fées, les trolls, ou les elfes à la place dans nouveau-né qu’ils enlèvent. 

Dans cet univers où une communauté entière est dépendante de la bonté ou au contraire de la cruauté de la nature, rien n’est laissé au hasard, et surtout pas l’arrivée inopinée d’une enfant qui sort de nulle part. Malgré l’union relative des personnages féminins, les hommes, eux, apparaissent tels des ogres, des êtres dont il faut se méfier et éviter à tout prix. «Débarrasse-toi de l’enfant dès ce soir. Fais comme ma mère, elle noyait les chats errants dans la citerne. La seule chose dont tu as besoin, c’est d’un sac rempli de pierres, et que l’eau soit suffisamment profonde. Crois-moi, en faisant ça, tu lui rends service, à la petite.» Lorsqu’un drame vient secouer la communauté, la responsable ne fait pas de doute : Meisis doit mourir. 

Et pourtant, ce village psychologiquement endormi où l’on fait les choses mécaniquement, où l’on ne pense pas, semble se réveiller grâce ou à cause de l’arrivée de cette enfant qui ouvre un champ des possibles aux yeux des protagonistes féminines. Et si, quelque chose d’autre existait au-delà de la communauté ? Et si l’on pouvait fuir ? Vivre autrement ? Rêver ? Cette enfant, synonyme d’espoir et de renouveau agite le cœur et l’esprit des femmes. La peur de l’autre diminue et laisse entrevoir une audace nouvelle, une confiance originelle que peu ont connues. 

Après ces points positifs, je dois aussi soulever quelques points qui m’ont gênée et confèrent à cette lecture un avis mitigé. 

D’abord, et sûrement à tort, je ne peux séparer le nom de la maison d’édition Gallmeister à mes souvenirs de Betty et de Turtle. J’attendais un attachement particulier pour une nouvelle héroïne forte que je n’ai pas eue, malheureusement. De cela découle une absence totale d’empathie face aux événements que les personnages féminins ont à affronter, et plus généralement, un manque d’émotions. Je n’ai rien ressenti. On peut apprécier un texte, lister les points positifs et il y en a dans « Les dents de lait», mais l’absence d’émotions est un élément bloquant en ce qui me concerne. 

D’autre part, je suis restée sur le bord de la route en refermant le roman avec une multitude de questions restées sans réponse. Si je reprends l’idée du conte que j’évoquais au début de ce billet, en imaginant le faire lire à un enfant, il en ressortirait avec 1000 et une questions. J’ai 1000 et une questions à poser et ce flou imposé au lecteur, ce vide artistique, cette froideur face à mes interrogations m’a laissée frustrée et déçue. 

« Les dents de lait » est un récit atypique et poétique qui peut trouver son public. Un premier roman prometteur avec de belles idées développées, mais qui questionne plus qu’il offre de réponses. Je vous recommande de vous faire votre propre avis. 

Je remercie les éditions Gallmeister de leur confiance. 

2 réflexions sur “LES DENTS DE LAIT, Helene Bukowski – Gallmeister, sortie le 19 août 2021.

  1. Yvan dit :

    Oui on peut faire consensus sur la qualité de l’écriture.
    Après, les choix de narration et les portes grandes ouvertes, ça passe ou ça casse. Moi j’adore ça, quand j’ai compris que c’était le sel d’un livre. C’est le cas de celui-là, qui ne raconte pas vraiment une histoire, mais des tranches.
    Je peux donc comprendre ton ressenti même s’il est différent du mien. C’est
    D’ailleurs une richesse, avec de beaux avis comme les tiens.

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