Aude Bouquine

Blog littéraire

« True story » est le roman d’une rumeur concernant une agression sexuelle qui se serait déroulée à l’arrière d’une voiture, perpétrée par deux étudiants sur une jeune fille prénommée Alice. Les deux garçons concernés par cette affaire, très populaires au sein de leur équipe de Lacrosse se vantent d’avoir abusé d’elle. Alice se retrouve alors montrée du doigt, moquée, parfois défendue, mais elle est surtout totalement perdue, car elle ne se souvient de rien. Que s’est-il réellement passé dans cette voiture ? Sur une période de 15 ans, et à travers de nombreux supports narratifs différents, Kate Reed Petty retrace les tranches de vie de ses protagonistes concernés par la rumeur, mais aussi celles de personnages satellites impliqués de près ou de loin dans cette affaire. Dans notre société, et dans les écoles américaines (puisque c’est ici le lieu de l’action), les affaires de viol sont rapidement étouffées, surtout lorsqu’elles mettent en cause des garçons sportivement doués et promis à de brillantes carrières, ou carrément tues.L’auteur s’efforce de dénoncer cette « culture du viol » dans les lycées, ces attitudes qui normalisent ou encouragent le viol. Sa manière de le faire est singulière.D’abord, elle utilise un schéma narratif peu commun en utilisant tous les « genres » littéraires à sa disposition. Ainsi, vous trouverez par exemple dans « True Story » une partie du récit flirtant avec du fantastique, des brouillons de candidature pour entrer à l’université, des morceaux de pièces de théâtre écrites durant l’adolescence. L’auteur joue avec les temps, les lieux, les personnages et les styles. Cet assemblage de genres narratifs qui peuvent laisser le lecteur un peu perplexe durant la lecture finit par créer un vaste patchwork. Une fois les pièces assemblées, le lecteur entrevoit, petit à petit, ce qui se rapproche le plus de la tangibilité des faits laissés d’abord à sa libre appréciation, puis de l’authenticité des conduites pour aboutir à LA vérité crue et sans fard. 

Kate Reed Petty emmène progressivement son lecteur vers la réponse à la question suivante « Que s’est-il réellement passé ce soir-là ? » en utilisant un espace-temps d’environ 15 ans durant lequel le lecteur découvre ce que sont devenus les protagonistes. Elle exploite le sujet de différents points de vue : la façon dont on se voit, la façon dont les autres nous perçoivent, les choses dont on se persuade soi-même et ce que les autres disent de nous. Toutes ces « stories » nous définissent et sont susceptibles de changer notre futur. (C’est l’auteur qui exprime son point de vue dans une interview et je reprends ici ses propos pour expliciter mon ressenti) La fin du roman, ce moment tant attendu où enfin toutes les pièces du patchwork sont assemblées en est d’ailleurs un magistral exemple. Dans les affaires de viol, ici sur campus, chaque membre de la communauté a un rôle à jouer. Il doit porter sa part de responsabilité pour secourir une victime potentielle ou en protéger une autre. Lorsqu’un maillon de cette chaîne est défaillant, c’est toute la chaîne qui s’écroule. On ne sait plus distinguer le vrai du faux. Or, dans cette affaire, les apparences sont trompeuses. Les garçons considèrent ce qu’ils ont fait comme un faire-valoir, Alice ne peut qu’avoir honte lorsque l’école entière la considère comme une fille facile. Haley, son amie, en prenant sa défense est elle aussi harcelée, presque considérée comme une folle hystérique, féministe à outrance. 

J’ai beaucoup aimé le mélange des genres dans ce roman, même si j’avoue avoir été songeuse sur le chemin pris par l’auteur, m’interrogeant sur ce qu’elle cherchait à nous dire, comment elle nous le disait, pour quelle finalité. Pour parvenir à assembler toutes les pièces du puzzle, il faut lire le roman jusqu’au bout. Je dois dire que la fin m’a scotchée (et il en faut pour réussir encore à me surprendre !) et que forte d’avoir toutes les cartes désormais en main, j’aurais pu recommencer ma lecture du début pour rechercher les indices laissés délibérément par l’auteur. Oui, dans cette lecture, il faut rester zen et savoir se laisser porter. Ne pas chercher à tout comprendre, tout de suite. Patiemment écouter ce que cherche à nous dire l’auteur, la laisser nous emmener jusqu’au bout du chemin. Cela prend un peu de temps et d’indulgence, mais le final en vaut la peine. J’ai particulièrement apprécié la partie sur les dissertations écrites par Alice pour ses candidatures dans diverses universités. Le sujet était d’écrire à propos d’une « expérience importante qui a eu un impact sur moi ». Alice doit donc parler d’elle et ce n’est pas si aisé. Cette partie, précisément, engage l’avis du lecteur sur ce qui est écrit. Ainsi, il donne silencieusement son avis sur le texte, devient partie prenante de l’exercice et c’est par ce biais que l’auteur permet au lecteur de plonger intégralement dans l’existence d’Alice. Alice est passionnée de films d’horreur (évocation du « silence des agneaux ») et l’une des pistes envisagées pour parler d’elle est de parler de cette passion. Le résultat des nombreux brouillons qu’elle produit, et des commentaires de sa professeur est passionnant. 

« True Story» est un texte exigeant parce que le récit a l’air de partir dans tous les sens. Or, l’auteur sait exactement où elle va. Comment se construire après une rumeur ? Dans quelle mesure cette rumeur nous définit-elle ? Peut-elle orienter notre avenir ? Un premier roman magnétique et audacieux. 

Je remercie les éditions Gallmeister de leur confiance. 

7 réflexions sur “TRUE STORY, Kate Reed Petty – Gallmeister, sortie le 19 août 2021.

  1. laplumedelulu dit :

    Arg. Je le veux. Je le veux. Merci Aude. 🙏😘

    1. Aude Bouquine dit :

      Allez ! Direction librairie 😉

      1. laplumedelulu dit :

        Faut que je le trouve. Celui de Sophie Loubiere, j’ai cherché partout. Pas trouvé. Vais les atomiser.
        Bisous à toi 😘

  2. Yvan dit :

    on est assez en phase, en fait 😉

    1. Aude Bouquine dit :

      Sur celui-ci oui 😉

  3. Sylvie Gasq dit :

    Je l’ai commencé hier soir car, après son passage à la Grande Librairie, l’autrice m’a séduite avec cette histoire et les 50 premières pages ne me déplaisent pas pour l’instant.

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