« Les somnambules » a été publié en juillet 2019 aux éditions Del Rey. Son auteur Chuck Wendig, né en 1976 est auteur d’œuvres de science-fiction, de fantasy, de thrillers horrifiques, de quoi vous donner un aperçu assez précis de son imagination fertile. Vous pouvez le suivre sur son blog « Terribleminds » qui allie pensées, conseils d’écriture et actualités personnelles. Les éditions Sonatine publient son roman en mars 2021, et je peux vous dire qu’elles ont rudement bien fait ! 2019, le monde tourne toujours à peu près rond… mais Chuck Wendig, lui, imagine qu’un mystérieux virus plonge les États-Unis dans le chaos. « Le virus s’est déjà propagé à grande échelle ; il ne s’est pas encore montré au grand jour. » Ce virus frappe tout le monde, homme ou femme, jeunes ou vieux, sans distinction de race. Il se manifeste comme un gros rhume, puis une vilaine grippe. Pour le détecter, des tests sont pratiqués à l’aide d’écouvillons que l’on pousse au fond du nez. 2019, le monde tournait encore à peu près rond, mais l’auteur lui s’était lancé dans la rédaction d’un texte visionnaire, prophétique, annonciateur d’un fléau colonisateur des corps et des esprits… Début 2020, la réalité dépasse la fiction : le monde est placé en quarantaine, frappé par un virus qui tue, oblige à des choix impossibles, restreint les libertés, et touche tous les pays sans distinction de race ni de sexe.
Dans « Les somnambules », seul un petit groupe de personnes semble épargné. On les appelle les marcheurs. Nessie est la première à se mettre en marche. Le même jour, ils seront dix à la rejoindre, le lendemain 22. Elle sera suivie par d’autres, et le troupeau grossira. Personne ne parvient réellement à comprendre ce phénomène. Quel est le but du troupeau ? Pourquoi marchent-ils ? Vers où ? Ont-ils un problème d’ordre spirituel ? Comment ont-ils été « choisis » ? Ils marchent sans s’arrêter, sans parler, sans boire, sans manger, sans dormir. Rien ne semble pouvoir les faire dévier de leur route… Certains ont essayé et se sont frottés à leur système de défense bien étrange… Les familles de ces marcheurs comprennent rapidement qu’ils sont en danger et qu’il faut les protéger : ils deviennent alors leurs bergers. C’est ensemble qu’ils parcourent des milliers de kilomètres. Autour d’eux, le lecteur devine une société en perdition, une nation entière sur le point de s’éteindre. L’atmosphère de fin du monde se répand alors que le virus gagne du terrain. La progression de cette « nouvelle peste somnambulique » interroge, fascine et inquiète.
Zoomons un peu sur le corps du roman parce qu’il y a beaucoup de choses à en dire.
Tout d’abord, « Les somnambules » constitue un essaim fourmillant de personnages, dont certains apparaissent comme par magie, mais pas sans raison. Si j’ai eu du mal à m’attacher à eux dans les premières pages, tout en dévorant pourtant ce pavé de 1165 pages avec enthousiasme, c’est tout simplement à cause d’un réflexe stupide d’autoprotection. La thématique du livre m’angoissait. Or, à la lecture, j’avais l’impression de ne rien ressentir, de rester en dehors de l’histoire. En réalité, je ne ressentais pas rien, j’avais peur. Toute ressemblance avec des faits ayant existé serait purement fortuite, vous voyez l’idée ? S’attache-t-on facilement à des protagonistes qui vivent les mêmes impasses que vous ? Non.
Une fois cette problématique identifiée, je leur ai ouvert les portes. Ce fut un déchaînement d’émotions. Chaque personnage apporte un plus au récit, prend une place singulière, contribue non seulement à l’étoffer, mais aussi à développer des thématiques chères à l’auteur. Ainsi, j’ai eu une affection particulière pour Matthew Bird pasteur en lutte avec lui-même, Ozark Stover, car il est l’archétype du Red Neck à l’esprit étriqué et sectaire dont les idées nauséabondes me font réfléchir sur la direction que prend l’humanité, Marcy Reyes, flic complètement cabossée par la vie au sens propre comme au sens figuré, Benji lanceur d’alerte déchu, trafiquant d’informations et de chiffres pour ameuter la conscience collective sur des pratiques infectes. C’est lui qui sera l’interlocuteur du mystérieux Black Swan que je vous laisse découvrir.
Le roman est un outil parfait pour faire le pont vers une analyse précise des problématiques sociétales et politiques de notre temps. Si Donald Trump n’est pas précisément nommé dans le texte, c’est bien de son idéologie dont Chuck Wendig parle. « Aujourd’hui les fausses informations — ou, plus exactement, la désinformation — semblaient partout, elles se répandaient dans l’atmosphère comme le pollen au printemps. » Les fake news fleurissent et sont mises en exergue, de même que les paradoxes véhiculés par certains hommes politiques américains. « Mais, là aussi, il y avait chez Creel une bonne dose d’hypocrisie : il claironnait à quel point il était pro-vie, mais soutenait la peine de mort avec autant d’énergie. »
Le racisme intrinsèque d’une partie de la population y est décortiqué par l’intermédiaire du personnage d’Ozark et permet de comprendre comment pensent certains : « Vous voyez, révérend, ça fait un moment que les choses n’avancent plus dans ce pays, avec tout un tas d’abrutis qui sont aussi heureux que des cochons en train de baiser dans la boue, ignorant totalement que le moteur est en train de se gripper. Les Latinos qui arrivent du sud, ces putains de bougnoules qui veulent nous faire exploser, faire s’écraser nos avions, faire foncer leurs voitures sur les gens. Et puis il y a les négros, ces prétentieux, qui pensent mériter quelque chose à cause du rôle qu’ils auraient eu dans la construction de cette nation… ils s’imaginent en avoir été les maçons… Ils ne comprennent pas qu’ils n’en étaient que la maçonnerie. Vous avez les Latinos qui piquent tous les boulots dans la cueillette, les bridés qui volent tous les bons métiers… Et quand vous appelez un service client, vous avez un Paki dans un pays qui se trouve à l’autre bout du monde où les gens boivent l’eau du fleuve dans laquelle ils chient et meurent. Les gens comme nous ne reconnaissent plus le monde qu’ils ont sous les yeux. Mais ça peut changer. Parce que maintenant, le moteur n’est plus grippé. Il est cassé. »
Le discours « America first » déclenche une forme de paranoïa de la population pour atteindre un paroxysme inquiétant dans la peur de l’autre. « Les somnambules » dont on ne comprend pas les intentions, dont on soupçonne d’être les auteurs d’une future attaque à grande échelle de l’Amérique exacerbe cette peur panique et contrecarre toute forme d’analyse. « J’ai plutôt l’impression que c’est une attaque contre le peuple américain sur le sol américain. Il n’y a pas d’autres troupeaux dans le monde. On ne trouve ces gens que chez nous, ici, et ces gens sont des armes. Des bombes humaines. » Ce ne sont ici que quelques thématiques que Chuck Wendig développe tout en confrontant les opinions par l’intermédiaire de ses différents personnages.
Vous l’aurez compris, « Les somnambules » est aussi riche par son contenu que grand par sa taille. La force des personnages, l’empathie du lecteur à leur encontre donnent l’impulsion au partage des émotions. Si le roman narre la fin de l’humanité, l’Humanité en est indubitablement le cœur, par la création de personnages clés, profonds, sagaces et lumineux. L’interaction des relations humaines en fait tout le sel malgré le déclin de l’espèce. Les références culturelles, l’insertion des technologies modernes telles que nous les connaissons posent l’image d’une société dans sa globalité. Au niveau de la narration, le mélange des genres, thriller, roman contemporain sociétal et science-fiction est un choix courageux et oh combien pertinent. L’affrontement entre les forces du mal et du bien permet le questionnement sur des thématiques fortes, essentielles et primordiales.
Il y a de quoi se réjouir puisque l’auteur doit sortir une suite qui devrait s’appeler « Wayward » attendue pour 2022. Cette suite aurait pour objectifs de dresser le portrait des somnambules « face à un gouvernement autoritaire en pleine ascension, dans une Amérique brisée par la maladie et les extrémismes politiques. Ils devront se frayer un chemin vers un avenir plus prometteur. » Les droits ont déjà été achetés pour une série télé. Nous n’avons pas fini d’en entendre parler et de mon point de vue, c’est amplement mérité.
Il est dans ma pal grâce à Yvan. Quelle belle chronique. Merci à toi Aude. 🙏😘
🥰
Et grâce à notre Anne-Sophie of course. 😘😘
Eh bé ! Si je ne l’avais pas déjà lu… :). C’est très intéressant de suivre ton cheminement de lecture, comprendre quand et pourquoi tu as eu le déclic envers les personnages.
Je sais que je vais le lire, juste que je ne sais pas encore quand 😏
J’ai lu les 300 premières pages et j’adore !
Une de mes lectures préférées cette année ❤️
Pour moi aussi 🙂 Bon weekend Aude