« Le démon de la colline aux loups » est un chant, une ode, une voix qui s’élève dans les ténèbres, celle de l’enfant qui ne connaît pas son nom. « Ça paraîtra bizarre à vous tous mais au commencement on n’avait pas de noms. À quoi ça aurait servi on n’avait pas besoin de s’appeler alors on ne s’appelait pas. On se trouvait comme une évidence. » Il survit dans un nid, une tanière, collé à ses frères et sœurs mélangés à des chats pour se repaître de leurs odeurs, il vit en boule, calfeutré, caché, sans avoir connaissance du monde, de la lumière, du dehors. Il n’a pas conscience d’exister, il ne pense pas, il ne parle pas, l’apprentissage des mots viendra plus tard lorsqu’il nous racontera son histoire, le récit de ce démon qui rôde et prend possession des âmes. C’est lorsqu’il se rend à l’école que l’enfant apprend son prénom : Duke. Il y apprend aussi le début des mots dans leur signification la plus primitive. Hors de la tanière, il devient un être à part entière, témoin du monde qui respire et conscient de la manière dont les autres le voient.
« Le démon de la colline aux loups » c’est la voix de l’innocence qui raconte l’horreur absolue. Les mots sombres, terrifiants, révoltants qui relatent cette existence effroyable sont littéralement illuminés par la candeur de Duke. Cette pureté de l’enfance salie, piétinée, vient embraser les pages d’une lumière saisissante appuyée par des phrases sans ponctuation dans lesquelles sont insérés des dialogues parmi les idées développées. Un style littéraire singulier pour un roman singulier. La simplicité du ressenti enflamme l’horreur et ce sont des milliers de flammèches qui s’abattent alors sur vos yeux, dans votre cœur, dans vos tripes. Entre révolte sourde, empathie fulgurante, désir de vengeance puissant qui demande du sang et des larmes, le lecteur est pétrifié de douleur, il supplie et agonise, saigne par tous les pores de sa peau, et voudrait qu’on lui offre la possibilité de se retirer le cerveau.
Mais pour comprendre, il faut savoir, sortir du refuge d’une image mentale imaginée pour permettre la respiration, retourner dans l’arène des souvenirs et accepter d’écouter l’histoire jusqu’au bout. « Je crois que c’est ma souffrance qui m’a tué depuis longtemps je ne crois pas que je suis vivant autrement que par mes fonctions biologiques mais dedans je suis mort. Et cette mort profonde c’est elle qui est en train de monter en moi et de conquérir tous mes organes je le sais je ne peux que l’accepter et c’est ainsi. Et c’est aussi sans doute ma souffrance qui a fait le lit du démon. (…) » Tout est là. Parfois, le démon change de corps ou est trop profondément ancré dans l’ADN pour espérer s’en débarrasser. Le démon se sustente du sang, des larmes, de la sueur, se repaît des blessures de l’âme et du corps, croît, s’épanouit, outrepasse toutes les règles. Duke raconte : son enfance, sa vie en prison, et son récit, admirable va – et-vient entre passé et présent, éclaire son vécu. De cette existence martyrisée où les supplices endurés défient l’entendement, il pose des mots simples, presque naïfs qui permettent au lecteur de prendre la mesure du chemin parcouru. Des phrases qui crèvent le cœur et font monter une terrible envie de vomir. « Ce qui est étrange avec la fin de mon enfance et la disparition du nid c’est que ça m’a beaucoup intéressé de faire le parallèle parce que c’était l’horreur mais au fond c’était notre paradis et rien n’a été mieux que cela. »
« La Colline aux loups c’était déjà une prison bien pire que tout imaginez-vous sous l’eau depuis le jour de votre naissance à retenir votre respiration en attendant une bouffée d’air qui ne vient pas ma vie c’est ça. » Et pourtant… de cette enfance brisée, Duke aura espéré une échappatoire, conscient de la nécessité de se débarrasser de cet héritage écrasant. Être une victime, ne pas devenir un bourreau, briser les paliers qui permettent d’aller de l’un à l’autre, carboniser le démon, le réduire en cendres, l’anéantir. « Je sentais bien que j’avais à l’intérieur une trace qui ne partait pas c’était la déchirure de l’enfance c’est pas parce qu’on a mis un pont au-dessus du ravin qu’on a bouché le vide. »
Dimitri Rouchon-Borie est journaliste, spécialisé dans les affaires judiciaires. Voilà sans doute une piste à creuser pour expliquer la justesse de ce premier roman. S’il est nécessaire de savoir écouter, il faut aussi avoir le don de retranscrire, d’infuser les émotions sans tomber dans l’excès du pathos. « Le démon de la colline aux loups » est un texte d’une remarquable justesse, un texte touchant dont personne ne sort indemne et qui marquera chaque lecteur au fer rouge. Un premier roman déchirant, dérangeant, intimiste dont la plume incandescente éclaire les coulisses des ténèbres. Ne le ratez pas.
C’était plutôt non avant de te lire et d’en discuter avec toi. C’est plutôt oui, maintenant 😉
Il va te heurter je le sais, mais si tu choisis bien le moment…
Qui m’explique la fin?