Aude Bouquine

BLOG LITTÉRAIRE

Nous sommes peu de choses… Si peu de choses… Tellement peu de choses que lorsqu’un auteur utilise le prétexte d’un roman pour remercier son mentor, je ne peux qu’adhérer. La vie est faite de rencontres, de choix, de croisées des chemins. Parfois, elle met sur notre route une personne qui va tout changer, une personne qui nous fait (re) naître, grâce à laquelle nous devenons meilleurs : plus bienveillants, plus mesurés, plus compatissants. Parfois, cette rencontre nous fait devenir ce que nous sommes réellement en dénouant le nœud que nous avons au fond de nous, en mettant en lumière une aptitude, en nous donnant la petite impulsion dont nous avons besoin pour y croire, pour nous lancer, pour faire ce premier pas qui nous coûte tant. Regardez autour de vous : cette personne est proche de vous, ou toujours là quand vous tournez la tête, ou encore présente au bon moment, quand vous n’y croyez plus vous-même. Cette petite voix qui ne vous laisse pas en paix, qui vous réveille le matin, qui vous chuchote des encouragements le soir est souvent une invitation à voir plus loin. Je dédie cette chronique à René Manzor qui est ma petite voix stimulante des matins gris.

Bernard de Fallois était cet homme-là pour Joël Dicker. L’homme qui l’a fait naître, un homme qui méritait au moins cet hommage-là : le minimum qu’un écrivain reconnaissant puisse accorder à son guide, une ultime marque de respect, d’amitié et de considération. Tout au long de « l’énigme de la chambre 622 » et sous couvert d’une intrigue immersive dont je dirai volontairement peu de choses parce que ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus ici, l’auteur disserte autour de ce métier devenu le sien après sa rencontre avec Bernard de Fallois. « Les gens considèrent souvent que l’écriture d’un roman commence par une idée. Alors qu’un roman commence avant tout par une envie : celle d’écrire. Une envie qui vous prend et que rien ne peut empêcher, une envie qui vous détourne de tout. Ce désir perpétuel d’écrire, j’appelle ça la maladie des écrivains. Vous pouvez avoir la meilleure des intrigues de roman, si vous n’avez pas l’envie d’écrire, vous n’en ferez rien. » Après la rencontre du narrateur avec Scarlett, venu à Verbier pour se remettre d’un chagrin d’amour et se régénérer, et au détour de souvenirs vécus avec son éditeur qui ne cessent de le hanter, le narrateur du roman explore non seulement sa propre condition, mais crée aussi un roman pour mieux l’expliciter. Une façon de faire originale qui comble plusieurs envies du lecteur : de la réflexion, de l’analyse, du divertissement, des réminiscences. « C’est là où le romancier entre en action : pour qu’un roman existe, il doit repousser un peu les murs de la rationalité, se défaire de la réalité et surtout créer un enjeu là où il n’y en a pas. » Au fur et à mesure du récit, les lignes deviennent plus floues entre ce qui s’est réellement passé dans cette chambre 622 tels que le relatent des témoins trouvés sur place et l’écriture même du roman… Les deux se confondent parfois. Les espaces temps fusionnent et surprennent. Le lecteur est embarqué, emporté tantôt dans les faits, tantôt dans le roman qui s’écrit. Le résultat est remarquable puisqu’en valsant entre les situations et les mots, le plaisir de lecture est intense.

Alors oui, certains pourront trouver des tournures de phrases un peu faciles, des lieux communs, quelquefois un manque d’originalité peut-être dans le pouls de l’écriture. Ce n’est pas ce que je retiens ici et cela ne m’aura pas gênée. Nous ne sommes pas dans un thriller « classique », mais dans quelque chose de plus profond, qui se lit parfois entre les lignes. Mon exemplaire est truffé de passages soulignés, d’annotations personnelles, de sourires et d’émotions. En le rouvrant, trois semaines après l’avoir lu, toutes mes émotions sont revenues d’un seul coup et je me souviendrai longtemps de ce texte avec tendresse. Vous y trouverez aussi de remarquables réflexions sur le couple. J’en dis trop déjà, à vous de tenter votre chance !

Il n’y a pas d’auteur sans grand éditeur. Je laisse donc à Joël Dicker le mot de la fin « Bernard était de ces grands hommes d’un autre siècle, faits dans un bois qui n’existe plus aujourd’hui. Dans la forêt des êtres humains, il était un arbre plus beau, plus fort, plus grand. Une essence unique, qui ne repoussera plus. »

13 réflexions sur “L’ÉNIGME DE LA CHAMBRE 622, Joël Dicker -Éditions de Fallois, sortie le 27 mai 2020.

  1. Yvan dit :

    Tes mots (et tes valeurs) sont très touchants…
    Il faut croire que beaucoup comprennent aussi ce que véhicule ce livre vu le succès ahurissant qu’il rencontre

    1. Aude Bouquine dit :

      Remercier ceux qui ont fait ce que nous sommes me semble essentiel…

      1. Yvan dit :

        c’est essentiel ! C’est pour ça que je te remercie ici en public d’être là et d’être qui tu es, avec tes valeurs. Merci

  2. Matatoune dit :

    Je suis d’accord avec cette présentation ! Une excellente lecture 😉

  3. Lord Arsenik dit :

    J’ai bien aimé malgré une enquête policière parfois abracadabrante. Un bel hommage et belle amitié.

    1. Aude Bouquine dit :

      Il me semble avoir décelé un tournant dans le livre entre l’enquête policière et le roman qui s’écrit. L’as-tu senti aussi ?

      1. Lord Arsenik dit :

        J’ai eu le sentiment que l’enquête passait au second plan, surtout elle perdait en crédibilité. Ça m’a mis la puce à l’oreille (avec le recul d’autres détails me font dire : “bon sang mais c’est bien sûr !”) sans que je puisse mettre le doigt dessus de façon précise.

  4. Très beau retour, j’aime beaucoup Joël Dicker et espère vite lire celui-ci malgré des avis mitigés.

    1. Aude Bouquine dit :

      Effectivement, j’ai lu beaucoup d’avis mitigés dont certains frôlant l’injure… à chacun de se faire sa propre opinion. Bonne future lecture 😉

  5. Merci beaucoup pour ce partage. Te lire et lire tes chroniques me fait du bien, alors merci. J’ai hâte de lire ce roman, j’adore Joël Dicker

    1. Aude Bouquine dit :

      J’aime titiller 😉

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