Dix-septième roman de Franck Thilliez et c’est toujours avec le même délice que je m’y plonge sans vraiment savoir de quoi il parle la plupart du temps.
Il fait partie de ces auteurs dont j’achète les livres automatiquement.
Une chance pour lui me direz-vous, pas besoin de beaucoup de promo. Pas forcément puisqu’il faut que le roman soit à la hauteur, meilleur que le précédent et la logique veut qu’une fois qu’on est au sommet, on ne peut que redescendre : c’est logique !
Sauf que rien n’est tout à fait logique dans les bouquins de Thilliez, ni dans le succès qu’il peut avoir car loin de se reposer sur ses lauriers et sur des ficelles éprouvées qui fonctionnent, il se renouvelle sans arrêt et nous surprend encore à chaque fois.
En quelques mots, sans m’attarder pour ne pas dévoiler trop de détails importants du bouquin, voici en très très gros de quoi il parle (sachant que le résumer relève de l’impossible) :
Léane Morgan est une auteur de thrillers à succès qui écrit sous le pseudo de Enael Miraure.
Un jour, sa fille Sarah disparait et son mari est sauvagement agressé.
Parallèlement, la police de Grenoble retrouve dans le coffre d’une voiture le corps d’une femme extrêmement mutilé.
Pour le reste, à vous de le découvrir.
Ce que j’aime chez Franck Thilliez c’est la rapidité avec laquelle il nous emporte dans ses délires littéraires. Avec force détails, travail documenté et précis (il doit passer ses nuits dans des morgues ou en chambre de dissection), son récit devient extrêmement crédible et ce, dès les premières pages. Il provoque ainsi une véritable addiction.
Les arcanes de l’intrigue ont certainement été longtemps pensées en amont pour proposer au lecteur un véritable jeu de piste. L’intrigue est construite sous forme de tiroirs et c’est au lecteur de recouper les informations données au compte-gouttes, d’éliminer les fausses pistes, de trier le vrai du faux et l’utile de l’inutile pour comprendre où il veut vraiment en venir. Et Dieu sait qu’il noie le poisson Franck ! Même la personnification de la nature, sombre et effrayante contribue à asseoir l’ambiance de “fin du monde” du bouquin.
Tout est savamment calculé, du plus petit détail qui n’a l’air de rien, aux descriptions morbides qui vous font hurler et cauchemarder.
L’alternance des chapitres mettant en lumière les différents personnages permettent de garder le suspense à son apogée dans le but d’encourager le lecteur à poursuivre sa lecture. Les dialogues sont percutants et apportent à l’histoire une vraisemblance supplémentaire.
On pourrait s’attarder également sur la profondeur des personnages, mais si vous avez déjà lu Thilliez vous savez que c’est l’une de ses grandes forces.
Dans chacun de ses livres, Franck Thilliez choisit d’aborder une thématique qu’il développe au fur et à mesure. Quelques-une ici sont réellement passionnantes et dignes d’un travail de journaliste/scientifique tant il va dans le détail. Pour exemple, on pourrait citer l’hypermnésie, l’amnésie, et tous les troubles inhérents à la mémoire.
On y trouve également une belle mise en abîme du métier d’écrivain avec de nombreux questionnements sur l’acte d’écrire, (Vous avez remarqué d’ailleurs combien cette question obsède nos écrivains en ce moment ?) la fiction rattrapée par la réalité à moins que cela ne soit le contraire…
Tout cela fait la force de l’écriture de Franck Thilliez.
Ce qui m’amène à mon second point, un peu plus discordant celui-là.
L’impossibilité pour le lecteur de lâcher son livre, cette addiction à tourner les pages les unes après les autres peut également avoir des répercussions plus négatives.
Pourquoi ? Le livre étant très dense au niveau narratif, il ne faut pas en perdre une miette et si on perd le fil, on ne suit plus. Si on lit le soir en étant un peu fatigué, et que notre cerveau ne capte plus tous les mots (après 437 pages, ça se comprend), on compromet sérieusement sa capacité à suivre le récit.
Pour moi, cela aura été une lecture avec prise de notes, notamment noms et rôles des différents protagonistes qui arrivent au gré des pages, pour pouvoir me souvenir de qui fait quoi. Cela demande donc une lecture attentive et très participative.
De plus, un peu à la façon du Petit Poucet, Thilliez sème de petits cailloux blancs à travers les pages. Cailloux qui ont une fonction d’indice. Relevez-les tous, vous pourrez faire le puzzle à la fin. Ratez-en un, vous ne comprenez pas comment il en est arrivé là.
Si l’évolution de son lectorat pouvait se comparer à un objet, je l’associerai à un entonnoir : pas par rapport au nombre de ses lecteurs qui ne cesse d’augmenter, mais par rapport au nombre de gens qui sont susceptibles de décrypter tous les codes cachés de ce qu’il a voulu dire, tous les sous-entendus, tous les indices cryptés.
Avec beaucoup de franchise, je dirai que je ne suis plus sûre d’appartenir à cette catégorie de lecteurs là, celle qui parvient à tout décoder. Je pense vraiment que ce que je comprends du livre est peut-être la moitié de ce qu’il a réellement cherché à me faire comprendre.
Que ça mériterait sans doute une seconde lecture (et pourquoi pas une troisième) pour asseoir les certitudes ou au contraire toutes les virer.
Ces romans sont à la fois construits comme des casse-tête mais aussi comme des puzzles et c’est avec beaucoup de curiosité que j’aimerai en débattre avec ceux qui ont déjà lu le “Manuscrit Inachevé” pour comprendre leurs hypothèses et le cheminement de leur pensée.
Surtout ne nous méprenez pas, j’adore Thilliez, je le suis depuis le début.
Je dis simplement que ses romans deviennent de plus en plus confidentiels, destinés à une “catégorie” de lecteurs qui doivent être capables de saisir le second niveau et peut-être même le troisième niveau de ce qu’il a voulu transmettre.
Cela nécessite d’être prêt à entrer dans un labyrinthe dont on ne sait pas vraiment si on va pouvoir en sortir en ayant compris la logique du chemin emprunté. Vous me suivez ?
Je ne porte aucun jugement de valeur sur ce choix, je dis simplement qu’en ce sens, il est très différent des autres auteurs de thrillers.
Ca en fait un auteur singulier qui n’a pas fini de nous surprendre.
Vous avez certainement entendu parler des controverses concernant la fin du livre.
Me concernant, ce n’est qu’une version parmi de multiples autres possibilités que nous a livrée Franck Thilliez et après tout, ce n’est pas lui qui l’écrit : c’est le fils de Caleb Traskman, auteur du “manuscrit inachevé” dont Franck ne se fait que le porte-parole.
En explorant le roman encore une fois, en relevant de nouveaux indices, il est sans doute permis au lecteur de construire une autre fin ….