Aude Bouquine

« Le clan des Belen » raconte l’histoire de Nora Leroy qui fuit précipitamment son ancienne vie et une séparation difficile. Elle emmène sa fille Alice vers le village de Hauterive, dans les Ardennes pour tout recommencer. Après une « route à lacets qui s’enfonce dans la forêt et débouche sur une clairière », elle retrouve la maison de son enfance, une maison en pierre aux volets bleus qui semble s’être figée dans le temps. Julia Castel entraîne son lecteur dans une ambiance de conte de fées où une certaine magie vient envelopper ce lieu comme si un enchantement quelconque avait été mystérieusement déposé sur la région… et sur la maison « De nuit, la maison prend ses airs de conte de fées. Le toit est légèrement enneigé, les fenêtres se dorent de lumière, et la cheminée souffle sa fumée jusqu’aux étoiles. »

Nora est vétérinaire. Même si elle s’occupait principalement d’animaux de compagnie, il devient urgent de se former aux besoins de la campagne tels que le vêlage. Cependant, elle n’avait pas imaginé que son premier patient serait un loup retrouvé sur le bord de la route… et que les loups sont persona non grata dans la région. Le conte de fées bascule progressivement vers une atmosphère plus noire, Nora devient la cible de tout un village qui lui reproche de sauver des loups plutôt que les tuer…

Seul le « Le clan des Belen » qui vit au coeur de la forêt au milieu des loups semble être redouté par les habitants. « Anselme Belen! Retenez bien ce nom, Belen. Une foutue malédiction. Lui, c’est le grand gourou, le patriarche. Il vit avec ses fils dans la forêt. Ses fils, et ses putains de loups ! » Dans ce village isolé, pétri de traditions et de croyances ancestrales, la communauté marche d’un seul pas. Ceux qui pensent ou agissent différemment de la meute humaine sont systématiquement exclus. Pourtant, la famille Belen est aussi respectée que crainte, car elle est « connue pour participer activement à la réintégration des loups dans les Ardennes. » 

C’est par ce biais que Julia Castel transforme le réalisme magique du début du roman, en un récit oppressant et angoissant où sortilèges et surnaturel se côtoient. Elle exploite avec brio les légendes ensorcelantes autour des loups : de la bête du Gévaudan aux créatures fantastiques et fantasmées des croyances populaires et des contes pour enfants « qui font peur ». Car, dans « Le clan des Belen », les loups ressemblent à des monstres fantastiques tels que nous ne les avons jamais connus : plus grands que les loups de nos forêts, pouvant atteindre cent kilos, dotés d’une telle force de cisaillement des incisives qu’ils possèdent une puissance extraordinaire de la mâchoire. « Le Canis dirus se serait éteint à l’ère du Pléistocène, il y a dix mille ans. »

Si le roman se destine à un public jeunes adultes, il est très intéressant d’observer de plus près comment l’auteure s’y prend pour créer à la fois cette atmosphère effrayante tout en captivant son lecteur, petit ou grand. Certes, le symbolisme autour des loups en est le point central et contribue grandement à aiguiser un intérêt collectif à la lecture. En insérant des évènements qui interrogent comme une disparition, des incidents qui divisent et des occurrences qui touchent à l’intime, Julia Castel vient chatouiller le lecteur adulte. En effet, le lieu, Hauterive, fait remonter des sensations, puis des émotions, puis des souvenirs d’enfance, et enfin des réminiscences d’adulte. « L’angoisse s’insinue en moi comme la gangrène, m’intime de me taire, de ne rien faire, de me cacher dans un coin. La petite fille craintive revient, celle qui se rendait malade pour ne pas aller à l’école, celle qui avalait chaque jour des anxiolytiques pour ne pas sombrer. Je reconnais son regard, ce matin, dans le miroir. Et je déteste la revoir. » 

Et là, « Le clan des Belen » devient vraiment très intéressant pour un lecteur un peu plus aguerri. Nora est une femme tourmentée qui s’est volontairement caché beaucoup de choses à elle-même… À mesure que l’on avance dans ses pas, que l’on débroussaille avec elle les secrets du village et des mystères concernant ses origines, que les barrières de la mémoire tombent, on se rend bien compte que le roman est aussi l’histoire d’une femme en métamorphose. Et c’est bien parce qu’elle revient sur les lieux de son enfance que des volets s’ouvrent et des portes claquent. Julia Castel lui associe d’ailleurs une petite fille Alice qui est diamétralement l’opposé de sa mère : une enfant positive, gaie, à l’imaginaire intense et passionné. La relation mère-fille, en plus d’être très touchante, met la lumière sur les ombres qui hantent Nora. 

Dans « Le clan des Belen », il y a une alchimie parfaite entre l’ambiance du lieu, les Ardennes, l’imaginaire collectif autour du loup, des évènements suffisamment intriguant pour faire avancer l’histoire et le personnage de Nora. Entre conte de fées et conte horrifique, Julia Castel s’adresse aussi bien aux adolescents pour la recherche de sensations fortes qu’aux adultes pour le côté plus psychologique. 

Avant de le refermer, n’oubliez pas de mettre une pièce dans votre poche au cas où vous croiseriez le meneur de loups… Cela pourrait vous sauver la vie !

Je vous recommande chaudement ce roman si vous avez envie de frissons et d’évasion dans ce mois de novembre fort déprimant !

Publié chez Scrineo le 28 septembre 2023

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L’interview de Julia Castel par Jérôme Vincent via BePolar