Aude Bouquine

Blog littéraire

En garde de Amélie Cordonnier Sorties littéraires août 2023

« En garde » est le dernier roman d’Amélie Cordonnier, sorti pour cette rentrée littéraire d’août 2023. Une interjection qui fait penser aux films de cape et d’épée pour parer les coups et éventuellement attaquer, le corps tendu vers la menace. Prends garde, Amélie, une personne de ton entourage ne te veut pas du bien…« En garde » est tiré d’une expérience personnelle vécue par l’écrivaine : une dénonciation. Elle avait promis à sa famille de raconter dans un livre ce qui leur était arrivé (voir prologue)… Tout commence par un courrier émanant des services de protection de l’enfance alertés par un appel anonyme pour maltraitance. Un rendez-vous programmé aux susnommés services avec mari et enfants est organisé pour enquête. Il faudra prouver que l’on aime ses enfants et que rien de « dramatique » ne se passe dans ce foyer même si, comme dans toutes les familles, on hausse le ton de temps en temps… D’autant que la France entière sort d’une période de confinement, ce qui a rendu les relations familiales encore plus compliquées…

« En garde », c’est d’abord un choc, celui de la délation, de la calomnie et des insinuations dégradantes. « Fusil bien ajusté, œil sur le viseur avec nous quatre en ligne de mire. »  Qui pourrait penser que les enfants de cette famille sont maltraités ? C’est la tête basse et avec des pieds de plombs que la famille entière compte se rendre à cette injonction de rendez-vous. Mais comment « préparer » les enfants ? Gabriel, 14 ans et Lou, 7 ans ? Un mot malheureux de la petite peut faire basculer la famille dans la tragédie. Alexandre, le père, voudrait la briefer… Mais la briefer pourquoi ? Cet acte ne pourrait-il alors être perçu comme une tentative d’intimidation ? Que faire exactement ? Que diront les enfants ?

Lors de l’entretien, c’est avec stupéfaction que la famille apprend alors que l’appel de dénonciation ne date pas d’hier. « Il a été passé il y a trois mois, en mars, durant le confinement, c’est la seule chose que daigne divulguer Mme Trajic. » Madame Trajic (tragique) porte un nom presque tragi-comique pour une situation de cette ampleur.

Dans « En garde », une seule question plane : qui ? Qui a dénoncé cette famille ? Le roman décrypte très bien la différence de réaction entre homme et femme. Quand Amélie ne pense qu’à ça, Alexandre son mari n’a que trois mots à la bouche : « Ça va aller. Ça va aller ça va aller ça va aller ça va aller ça va aller. Voilà onze jours, je les ai comptés, que cette malheureuse phrase danse dans ma tête. Alexandre n’arrête pas de me le dire et me le redire, sur tous les tons. » Pour l’un la vie s’arrête, pour l’autre elle continue… jusque dans la chambre à coucher. C’est toujours fort intéressant de constater les différences majeures de comportement entre hommes et femmes, quand chez les premiers l’optimisme l’emporte, et chez les secondes l’impossibilité de penser à autre chose prend toute la place de cerveau disponible. « Je me suis demandé comment le désir pouvait se frayer un chemin en lui quand l’angoisse prenait toute la place en moi. Oui, comment peut-il avoir envie de s’envoyer en l’air après une soirée pareille ? Moi, l’air me manque. Panique. Infernale. » Amélie Cordonnier décortique fort bien les angoisses, les conséquences éventuelles, les questionnements concernant la personne qui a dénoncé, les émotions des parents, puis des enfants, et enfin les différentes phases du rendez-vous qui risque de changer leur vie. 

« En garde » est un récit très réaliste qui comprend des procédures minutieuses, des émotions décryptées, des interrogations méthodiques. Qu’attend exactement le lecteur en commençant le roman ? Savoir qui a passé cet appel, savoir comment la famille va s’en sortir, savoir par quel moyen elle va pouvoir se reconstruire après de telles accusations. Ce n’est pas le parti que va prendre l’auteure et c’est sans doute là qu’Amélie Cordonnier m’a perdue. 

Un personnage très particulier va pénétrer le quotidien de cette famille. Sans prénom, surnommé le cousin par tous les membres de la famille, il va avoir un rôle très subjectif : il est envoyé par la Mairie de Paris pour une enquête de proximité. Lorsqu’il se présente à la porte du domicile, tout sourire en exposant les objectifs de sa mission, la narratrice nous dit : « La conversation se fait sans moi. Je ne suis pas là. J’ai mis le mode avion. »  À partir de là, je n’ai plus compris le récit et j’ai remis en cause tout ce qui avait été développé précédemment. « En garde » prend alors un virage différent : le lecteur passe d’une réalité crue à une fiction complètement farfelue où aucun membre de la famille ne semble réagir par des actes précis à cette irruption dans leur quotidien du fameux cousin, et laisse faire sans sourciller. Alors soit ! On peut imaginer que le cousin est une personnification des services sociaux, qu’il n’est pas vraiment présent si ce n’est dans la tête de la narratrice (et encore, il faut avoir beaucoup d’imagination, car les actions du cousin sont bien concrètes).

Que cherche exactement à nous dire Amélie Cordonnier dans « En garde » ? Le début était assez limpide, une expérience personnelle douloureuse subie après la période du Covid. Le choc reçu par la famille, le fonctionnement des institutions, l’attente du verdict. Je n’ai rien à redire là-dessus. Par contre, quid de la seconde partie ?

Si le roman est réaliste, on peut espérer que l’auteure nous emmène jusqu’au bout du processus administratif en remuant ciel et terre pour savoir qui est ce gars qui se pointe là, sans avoir été invité ni annoncé. Si le roman est une fiction, l’auteure ne peut pas écrire à la fin qu’il s’agit là d’un fait réel vécu. Le mélange des genres dans « En garde » est terriblement déroutant. Il en découle un manque total de crédibilité dès la seconde partie, et désolée de le dire, mais Amélie Cordonnier perd alors son lecteur. Il y a moult exemples dans cette seconde moitié où agir était la chose à faire. Or, ledit cousin squatte l’appartement familial pendant six mois. Imaginez-vous un peu six mois avec un inconnu qui campe chez vous, LITTÉRALEMENT, dont personne n’a jugé utile de vous informer de la présence, qui se pose là, comme l’oncle d’Amérique, babille avec les enfants, les aide à faire leurs devoirs, fait la cuisine, écoute aux portes, range des choses qui ne le concernent pas, et pénètre dans l’intimité de cette famille sans aucune retenue. « Honte au carré d’avouer ici qu’il régule alors jusqu’à notre façon d’uriner. Mais le pire, c’est qu’il vérifie que j’ai bien pris ma pilule. » et la narratrice d’ajouter : « Incarcérés tous les quatre à domicile. Et pourtant aucun grillage, aucun cadenas, pas un barreau ne nous retenait. » La lectrice que je suis a eu envie de hurler : alors, FOUTEZ-LE DEHORS !!! 

Je n’ai pas de conseil à donner, juste un ressenti a rédiger. Pour moi, il manque un « avertissement », au moment où le récit bascule d’un fait réel vécu à une fiction. Le personnage du cousin n’est pas crédible, donc l’histoire lue auparavant apparaît elle aussi abracadabrante. Résultats ? Certainement quelque chose que l’auteur n’a pas souhaité : j’ai remis en doute tous les faits réels vécus, qui je pense, étaient la base du roman (l’intention était précisée dans le prologue). Par extension, je n’ai pas ressenti l’empathie que j’aurais dû ressentir puisque je ne croyais plus en ce que je lisais. Il n’empêche que l’écriture d’Amélie Cordonnier reste élégante dans l’expression des émotions, comme c’était le cas dans « Pas ce soir », et engagée, tel que je l’ai découverte dans « Trancher ».

PAS CE SOIR, Amélie Cordonnier – Flammarion, sortie le 12 janvier 2022.

TRANCHER, Amélie Cordonnier – Flammarion, sortie le 29 août 2018

L’avis de Joëlle du blog leslivresdejoelle

6 réflexions sur “EN GARDE, Amélie Cordonnier – Flammarion, paru le 23 août 2023.

  1. laplumedelulu dit :

    J’ai du mal avec cette auteure. Merci à toi pour la chronique 🙏 😘

  2. Matatoune dit :

    Je ne lis pas en entier cette chronique….je reviendrai après ma lecture !

  3. Bruno dit :

    Mêmes impressions. Pourquoi pas construire le roman sur 2 modes très différents, c’est plutôt intéressant, mais on n’est vraiment pas préparé au basculement et surtout, cette sorte de passivité incompréhensible des personnages… quelle frustration pour le lecteur. Enervant.

  4. Karine dit :

    Bonjour,
    Je viens de terminer le livre et j’ai exactement le même ressenti ! La 2eme partie m’a beaucoup ennuyée et je m’y suis perdue…..

  5. Aude Bouquine dit :

    Ce mélange réalité/fiction ne fonctionne pas. C’est mon avis. La seconde partie est totalement dingue . On n’y croit plus du tout. Du coup, les émotions de la première partie sont avalées. Disparues !

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Aude Bouquine

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading

En savoir plus sur Aude Bouquine

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading

Aller à la barre d’outils