« Le lac de nulle part » raconte une dernière aventure, un ultime enchantement, retrouver le plaisir d’être ensemble, au cœur de la nature, celle qui a abrité les joies d’enfants, et créé les souvenirs familiaux. C’est ce que propose un père, Bill, à ses deux enfants Al et Trig. Pourtant, cette famille délitée n’a plus de contact depuis plus de 2 ans. Les parents sont séparés, les jumeaux ont chacun suivi chacun leur route. Nous sommes en novembre. L’automne au Canada, ses forêts rougeoyantes, ses couleurs chaleureuses. En cette saison, la nature est un pur ravissement. Même si la traversée des lacs en canoë en cette saison semble pure folie, Al et Trig acceptent de renouer avec leurs émotions d’enfant, conjuguent avec l’appréhension de revoir ce père, mathématicien de formation, amoureux des grands espaces. « Ensuite, la route s’enfonce dans la forêt. L’eau a beau être omniprésente, nous ne l’apercevons que par intermittence, comme si elle était tapie, à l’affût. La route se fait tunnel, les arbres se referment sur nous, la seule touche de bleu provient du ciel, un mince ruban au-dessus des arbres, une rivière minuscule. Nous ne pipons mot, des fidèles à l’église. Nous voilà perdus dans le labyrinthe des lacs. »
Dans « Le lac de nulle part », il est question de traverser plusieurs lacs, au cœur d’une nature en pleine mutation, qui passe de l’automne à l’hiver, au moment où le National Park ferme presque ses portes. L’entreprise semble totalement irrationnelle. Des chances de secours quasi nulles en cas de problème, l’absence d’autres kayakistes ne freine pas le trio. Ils ont l’habitude de vivre en pleine nature, ils ont des « réflexes » de survivalistes, ils connaissent les gestes pour assurer leur sécurité, faire du feu, emporter la nourriture nécessaire, se protéger du froid. Ce n’est pas la nature qui est à conquérir, c’est eux-mêmes, l’union familiale qui n’existe plus, la communication absente, la gêne d’être devenus des étrangers. Au cœur des grands espaces, Pete Fromm a imaginé un véritable huis clos. Il va falloir recréer des liens, se parler, s’ouvrir. Cependant, ces trois âmes laissent planer entre eux des silences qui en disent long, des regards qui signifient « on se comprend… », des rancunes non digérées. Au fil de leur périple, la nature se referme sur eux, semble les emprisonner sous sa voûte étoilée. Les arbres les enserrent, les lacs les emmurent, et l’automne laisse place à un hiver précoce. La neige étouffe progressivement le moindre son, les températures descendent sous la barre de zéro, l’eau des lacs gèle.
Merveilleuse plume de Pete Fromm qui dépeint si bien les grands espaces et les belles émotions, qui lient les hommes et la nature, les passions des uns et la toute-puissance de l’autre. Que nous sommes si petits et si insignifiants au cœur de cet environnement luxuriant ! Qu’il nous faut être humbles et savoir rester à notre place lorsqu’elle se referme sur nous ! Avec quelle facilité est-elle capable de faire ressurgir ce qu’on avait si profondément enterré… Il y a toujours eu un lien très fort entre Al et Trig. « Toi et moi contre le monde entier. » Leur enfance est commune, leurs souvenirs aussi. Ils vibrent à l’unisson, se complètent, se souviennent des mêmes mantras, « Plus tard, ç’aurait été trop tard (…) Si t’attends un beau jour, tu attends toujours. », récitent la séquence de Fibonacci pour s’endormir. Et pourtant…il y a des choses que l’on tait, des silences volontaires qui ne peuvent se dire par manque de souffle ou pour protéger l’autre, des secrets qui grignotent la parole. Dans ce trio chacun a quelque chose à cacher et chacun a bien l’intention de ne pas le révéler. Mais, la nature, bien plus forte que les hommes est capable de pousser chacun dans ses retranchements… et au pied du mur, parfois les langues se délient…
Si Pete Fromm excelle à décrire les grands paysages américains, il brille également par sa virtuosité à croquer ses personnages. Ce n’est pas seulement leurs aventures que le lecteur suit, c’est le fond de leurs âmes qu’il est autorisé à pénétrer. Certes dans « Le lac de nulle part » , la nature est au cœur du roman, mais c’est bien la famille qui donne au texte son ombre et sa lumière : les jumeaux qui veulent se reconnecter, le père impénétrable et renfermé, la mère absente de l’aventure, mais très présente dans le texte. Cette famille jadis si unie, victime des outrages du temps et des vicissitudes de l’existence, s’est perdue sans jamais se retrouver. La traversée des lacs doit leur permettre de retrouver cette cohésion perdue. Des retrouvailles froides du commencement à la véritable aventure, de la chaleur du feu aux morsures du froid, de l’infiniment grand aux non-dits qui crèvent le cœur, l’écrivain nous fait entrer en totale fusion avec son roman. Tout le savoir-faire de Pete Fromm réside ici : un récit de voyage qui se transforme en roman noir, une affection intime pour ses personnages, une plume subtile, perspicace, parfois pétillante par ses traits d’humour dans la narration, un conteur délicat qui dit des choses essentielles.
Il est pour moi l’un des grands auteurs actuels de la littérature américaine. « Le lac de nulle part » est un véritable enchantement littéraire.
Lien vers le site Gallmeister/ Totem
Autre genre, autre style, un de mes coups de coeur de l’année chez Gallmeister
Mon frère est un fan absolu. Merci pour ta chronique enchantée littérairement 🙏😘
Il m’en reste à lire et ça c’est chouette ♥️
Très joli cri du cœur, très convaincant !
J’avais naturellement beaucoup aimé mon désir le plus ardent mon préféré,
la vie en chantier aussi, lu chinook également et j’en ai d’autres ds ma pal naturellement