« L’eau du lac n’est jamais douce », la vie non plus. Direction l’Italie, autour de Rome, dans la région du lac de Bracciano qui reste le témoin principal de cette histoire. Ce récit poignant met en scène Antonia, la mère courage de la famille. Tellement courageuse qu’elle est en oublie d’aimer. Il n’y a pas de temps pour aimer puisqu’il faut toujours se battre pour sortir de sa condition, pour échapper à une vie de pauvreté. D’une main de fer, elle dirige sa famille. C’est elle qui inculque les vraies valeurs à coups de martelages incessants dans l’esprit de ses enfants. C’est encore elle qui fait rentrer l’argent qui sert à vivre, puisque le père, victime d’un accident du travail, ne peut plus travailler. Inflexible, insensible, dure, pas maternelle pour un sou, Antonia représente la lutte au quotidien. Une lutte contre les injustices, où sa hargne frôle le sublime, une lutte perpétuelle qui consiste à sauver à tout prix l’avenir de ses enfants.
« L’eau du lac n’est jamais douce » raconte réellement l’histoire de Gaia, la fille d’Antonia, mais il est difficile de parler de la fille sans évoquer la mère. Nous suivons Gaia de ces jeunes années sous le joug d’Antonia à son passage vers l’âge adulte. Elle est le réceptacle de tous les espoirs maternels, car c’est par elle que la famille peut espérer sortir de sa condition. Gaia doit être la meilleure à l’école, chaque année. Elle doit pouvoir choisir les meilleures écoles supérieures. Gaia porte le poids de sa condition sociale, et des espérances de sa mère avec laquelle elle a une relation très conflictuelle. Mais Antonia reste sa mère, elle tente donc par tous les moyens de la satisfaire. Gaia a une relation fusionnelle avec l’un de ses frères, Mariano, une relation de pitié envers son père, « l’handicapé », traité comme un moins que rien sous son propre toit puisqu’il ne sert à rien.
Alors, au plus profond de Gaia, ça gronde. Gaia est un volcan en menace constante d’éruption, un tsunami capable de tout arracher sur son passage. On pourrait donner son prénom à une tempête de force dix, tellement elle peut être dure, violente, sanguine, et explosive. Elle vomit son milieu, réprouve les actions et les ordres de sa mère, mais reste pour un temps, exactement ce qu’on attend d’elle : très bonne élève, disciplinée, dure à la tâche, capable de montrer une force de travail exceptionnelle. Sous les charges scolaires qui lui incombent, les exigences d’Antonia, les réprimandes quotidiennes, parce que ce n’est « jamais assez bien », le cœur de Gaia hurle silencieusement. Et plus elle grandit, plus la colère gronde, tant et si bien qu’elle finit par prendre totalement possession d’elle.
« L’eau du lac n’est jamais douce », car la fureur de Gaia, déesse de la terre nourricière s’abat sans prévenir sur celui qui la provoque d’un peu trop près. Après s’être construit une carapace où ses émotions ne peuvent plus être atteintes, Gaia peut laisser la rage être son moteur. Et cette colère devient de plus en plus forte, de moins en moins contrôlable. Gaia est une enragée, une révoltée, une jeune femme qui n’avance que grâce à cette violence intérieure qui cannibalise tout son être, une furie qui prend possession de son corps tout entier. Un moteur. La satisfaction perpétuelle des ambitions de sa mère la rend dure, cynique, et, croit-on, désémotionnalisée.
Florine Orphelin, la lectrice de la version audio, incarne à merveille ce personnage a priori peu aimable et parfois même très antipathique pour laquelle j’ai eu une affection et une empathie immense. Le récit à la première personne permet de se glisser sous sa peau. Florine est devenue Gaia. Je suis devenu Gaia. Je me suis tellement retrouvée en elle : remplir tous les contrats et toutes les attentes pour finalement décevoir, obtempérer à la seconde, s’effacer pour laisser apparaître quelqu’un de fondamentalement différent, et surtout être perpétuellement en colère. Une rage, qui, plus qu’un levier devient une raison de vivre, un gouvernail qui permet de naviguer même en pleine nuit. Un caractère irascible que peu de gens apprécient, mais qui pourtant a un cœur en or, cadenassé pour éviter qu’on le lui vole. Le passage vers l’âge adulte, magnifiquement interprété par Florine Orphelin met en lumière les difficultés adolescentes et les drames. Il offre aussi un regard dur, et, sans concession sur l’éducation reçue, réfute les choix, car sortir de son milieu demande beaucoup d’abnégation et de sacrifices.
J’ai trouvé que la voix de Florine Orphelin tempérait un peu cette fureur, et laissait entrevoir toute la beauté et la douceur de la vraie Gaia, celle qui se cache sous son armure. Même dans les passages où elle se venge, où elle explose, où plus rien ne peut l’arrêter, Florine Orphelin dit le texte avec une certaine compassion, cachée, comme si une petite voix cherchait à nous dire, « mais tu sais bien pourquoi elle est comme ça, tu sais bien qu’on peut finir par devenir ce que l’on déteste, tu sais bien qu’au fond, Gaia a les mêmes colères et le même besoin de justice que sa mère ». Alors, la narratrice fait appel à toute notre humanité envers ce personnage exalté et exaltant. La version audio apporte un peu de lumière dans ce récit assez sombre, et révèle la face cachée de Gaia, sa capacité à ressentir les choses de façon exponentielle, alors qu’on lui a toujours appris qu’éprouver c’est être faible, qu’éprouver c’est décevoir.
« L’eau du lac n’est jamais douce » est un roman d’apprentissage et un roman social qui se déroule dans la région de Rome, dans les années 2000. L’écriture saisissante, au scalpel de Giulia Caminito, est très largement valorisée par la version audio qui lui offre un bel écrin. Si le roman met en scène de beaux portraits de femmes, qu’on les aime ou non, il met aussi en lumière la perte des illusions de la jeunesse et le passage difficile dans la vie d’adulte. Fascinant !
En lice pour le prix Audiolib 2023.
Chronique de Caroline, blog le murmure des âmes livres
Autres titres en lice pour le prix Audiolib 2023.
Chronique de SA PRÉFÉRÉE, Lu par Lola Naymark – Audiolib, paru le 19 janvier 2023.
Chronique de ON ÉTAIT DES LOUPS, Lu par Thierry Hancisse – Audiolib, paru le 24 août 2022.
Très belle chronique Aude ! Une très bonne écoute pour moi aussi, mais il faut dire que j’adore ce type de récit.😊
J’aime beaucoup aussi. Je trouve que l’audio s’y prête vraiment bien. J’ai été captivée par cette histoire.
Wooowww. Ça donne envie. Merci à toi Aude. 🙏😘
J’avais beaucoup aimé à sa sortie, la fureur, la colère qui habitent Gaia et les mots incisifs acérés de Giulia Caminito
C’est amusant parce que je n’ai pas du tout fait attention au prénom de la narratrice et je ne le retrouvais pas en écrivant mon billet !! Mais voilà qui est résolu en lisant ton billet !