Aude Bouquine

Blog littéraire

Les vallées closes de Mickaël Brun-Arnaud

L’ambiance des « vallées closes » est celle des campagnes, petit village où tout le monde se connaît, et où les ragots vont bon train. Mickaël Brun-Arnaud décrypte le drame social qui se joue dans ces petits bourgs de campagne où l’intolérance fait rage, où les cœurs sont verrouillés, et la parole est barricadée derrière les portes fermées à double tour. Ces vallées closes résonnent par leur silence, des âmes enfermées entre des montagnes, comme si elles ne pouvaient s’échapper, condamnées à errer parmi les murmures de ceux qui ne vous veulent pas du bien. 

Dans ce roman choral, plusieurs personnages prennent la parole à différentes époques : les voix de Claude, Enzo et Paul-Marie se succèdent. On comprend très vite que Paul-Marie est caché dans le grenier de sa mère Claude, qu’il est adulte, travaillait comme comptable à la mairie. Que fait-il là ? De quoi a-t-il peur ? Et surtout de qui se cache-t-il ? Un troisième personnage, le jeune Enzo vient épaissir l’histoire.

Il est difficile de parler de la thématique de ce roman sans spoiler. Je ne vous dirai pas de quoi parle vraiment « les vallées closes », je peux simplement vous en donner une idée. Par exemple, c’est un roman sur la différence, la visible et l’invisible, dans tous les cas, la dérangeante. De ces différences qui font dire à Enzo « Dis, m’man, tu crois pas que c’est parce que tu trouves le sexe dégueulasse que t’as fait un enfant raté ? », et à Daniel « Comme il avait toujours su que pour survivre, il fallait s’endurcir, Daniel savait que son frère ne s’endurcirait jamais ; et il assistait chaque jour, impuissant, aux délicatesses insensées de Paul-Marie qui, en se promenant sur les chemins de terre, vérifiait sans cesse où il posait le pied pour ne pas écraser les fourmis ou abîmer les fleurs. Comment ce monde incolore avait-il eu la cruauté, l’impertinence, la folie, de faire naître en son sein, un garçon en couleur ? »

C’est aussi un récit qui parle de maternité sous le prisme de deux femmes : Claude, mère de Paul-Marie et Geneviève, mère d’Enzo. L’une en a vu de toutes les couleurs, mais cache ses souffrances aux yeux du monde, l’autre compose avec le handicap visible de son fils et a une nette tendance à l’étouffer. Ce qui les rapproche incontestablement est l’amour qu’elles vouent à leurs enfants même si elles l’expriment très différemment.

Malgré les sujets graves traités ici, Mickaël Brun-Arnaud fait montre d’un sacré humour qui permet au lecteur de souffler un peu, et de prendre de grandes respirations. « Enzo avait parfois un peu de mal à reconnaître les gens quand ils changeaient de vêtements, ou qu’il les voyait pas au même endroit ; sa psychologue disait qu’il avait une mémoire contextuelle, ce qui était sans doute un autre moyen d’éviter de lui dire qu’il était con quel que soit le contexte. »

Lors de nombreux passages, j’ai parfois eu l’impression de me retrouver dans un roman de Franck Bouysse. L’endroit d’abord, la campagne profonde, les hommes taiseux, les descriptions extrêmement poétiques. Car s’il y a de beaux passages poétiques, il y a aussi des scènes d’une grande brutalité. « Les vallées closes » est un roman d’apprentissage où l’auteur utilise des mots très directs après des passages d’une vraie beauté lyrique. Les mots employés sont crus, très, trop, explicites et contrastent très abruptement avec l’impression générale. J’ai eu l’impression d’être giflée, plusieurs fois, puis caressée et re-giflée encore. Je n’ai pas aimé cette sensation-là. Je ne savais jamais sur quel pied danser ni ce qui m’attendait dans le paragraphe suivant… et ce qui m’attendait était souvent rude, voire vulgaire. En ce qui me concerne, ce fut immensément déstabilisant, et parfois à la limite du supportable. L’auteur ne nous laisse pas deviner les choses, il les décrit avec force et en détail. On sent les odeurs, on voit se dérouler le film, on ressent les douleurs. C’est d’autant plus inattendu que la quatrième de couverture ne parle absolument pas de cela. Je rappelle que Mickaël Brun-Arnaud a écrit un premier roman jeunesse, « La mémoire de la forêt » qui traitait de la maladie d’Alzheimer. « Les vallées closes » est clairement un roman d’adultes pour adultes, à ne pas mettre entre toutes les mains.

Alors oui, je suis un peu déçue. Déçue parce qu’il y a de très belles choses dans ce roman, de belles émotions, de belles réflexions, de belles relations entre les êtres qui sont, pour moi, souvent gâchées par ces scènes décrites sans filtre.

D’autres critiques du roman sur Babelio

5 réflexions sur “LES VALLÉES CLOSES, Mickaël Brun-Arnaud – Robert Laffont, paru le 19 janvier 2023.

  1. laplumedelulu dit :

    Alléluia. Ma whislist te remercie et moi aussi par la même occasion. Yessss. Je ne note pas. Merci Aude. 😊😘

  2. Tu sais que pour l’instant je n’ai pas envie d’y aller même s’il y a du Bouysse, même s’il y a la poésie

    1. Aude Bouquine dit :

      Je sais et je comprends

  3. Ce roman est dans ma liste d’envies. L’ambiance que tu décris m’attire. Une ambiance que j’imagine très aisément car je la côtoie au quotidien et ce n’est pas toujours facile. Je n’ai pas lu son roman jeunesse, mais j’ai prévu de le faire car j’ ai vu de magnifiques retours.

    1. Aude Bouquine dit :

      Je vais lire son roman jeunesse car le tome 2 sort bientôt. Je suis assez mitigée sur ce titre là, si tu le tentes, fais-moi signe 😉

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