Aude Bouquine

BLOG LITTÉRAIRE

« Tu me penses, je te extraordinaire, je te sueur, je te langue, tu me vertiges, je te tiramisu, je te risques, tu me sexes. » C’est sur ce mode poétique, emprunté à Ghérasim Luca que Torsten séduit Marina. Marina, c’est un peu toi, c’est un peu moi… Sauf qu’elle vit en couple avec Malek un homme obsédé par son écriture qui ne veut pas d’enfant.     « Tu me bonheurs, je te rayon de soleil, je t’extraordinaire, tu me certitudes, je te miracle, tu m’étoiles filantes. » Alors, après sa rupture avec Malek, elle se laisse charmer par cet homme, retrouvé sur Facebook qui a tout pour lui : le physique, le verbe, le sourire, le magnétisme.

Car magnétique il l’est. Charismatique aussi. Son odeur qui rappelle les effluves d’une plage est envoûtante, ses gestes tendres sont addictifs, son regard est fascinant. Marina est une femme de tête. Elle exerce un métier passionnant, dirige 50 personnes, est respectée dans sa fonction. Elle prend des décisions, les met en application et son équipe la suit sans sourciller. Elle ne s’en laisse pas conter, elle n’a rien d’une femme fragile.

Pourtant, elle va tomber dans les griffes de cet homme qui souffle le chaud et le froid. Le chaud beaucoup, souvent, surtout au début jusqu’à la rendre accro. Le froid ensuite, pour la blesser, la fragiliser, la punir.

C’est toute l’intimité d’un couple qui est décortiquée ici par Eric Genetet, des papillons dans le ventre, aux plus fortes désillusions, aux incommensurables blessures. Il répond avec talent à l’expression « avoir quelqu’un dans la peau », quand la raison elle-même s’éteint et que ne subsiste que le besoin du corps, la toute-puissance d’une présence, la dépendance suprême.

Torsten est un homme torturé… torturé depuis sa plus tendre enfance par un père tyrannique. « C’est notre père qui nous a élevés, à coup de baffes dans la gueule (…) il ne fallait pas moufter. » Ses attentes sont énormes, son aptitude à dénigrer l’autre monumentale. « J’ai besoin qu’elle se montre à la hauteur de notre histoire. » Inutile de préciser que Marina ne sera jamais à la hauteur de cet homme qui a des exigences impossibles à satisfaire et qui ne respire qu’en emportant l’autre par le fond. Sa stratégie est infaillible : « (…) plus la souffrance de Marina est grande, plus il devient lui-même. Un virus pathogène, euphorisant au début, a gangréné chaque atome. Pendant 6 mois, Torsten a injecté dans le corps de Marina des shoots de bonheur puissants avant de tarir sciemment la source. »

La descente aux enfers psychologique est amorcée. Même le sexe devient un enjeu majeur pour rabaisser l’autre : « Le sexe est l’avocat d’un procès qu’ils font au bonheur accusé de s’être installé trop tôt, trop vite, dans un endroit interdit. » La manipulation mentale qu’il exerce sur elle, la faisant douter de tout, même de la réalité vécue est sans limites. Il joue alors sur les traumatismes de cette femme élevée sans tendresse par une mère absente pour la réduire à un paillasson qu’il piétine à sa guise.

Eric Genetet s’immisce dans ce couple pour en décortiquer chaque protagoniste, partant de blessures liées à l’enfance. Il démontre comment, un homme bien sous tout rapport, devient une tique capable d’annihiler toute raison, suçant inlassablement le sang de sa victime en y instillant une maladie s’attaquant au système nerveux. Il prouve combien la guérison est épineuse quand le cerveau voudrait, mais que le corps abdique.

Son écriture, extrêmement poétique sublime les émotions du début, quand il devient si rapidement impossible de vivre l’un sans l’autre, malgré la douleur, la perversité de l’un et le masochisme inconscient de l’autre. « Il répond à toutes mes envies, avant que j’en aie envie. Il n’y a plus rien sur terre, à part nous, et le tiramisu, bien sûr. Nous sommes en fusion, certains que nous ne pourrons plus jamais respirer l’un sans l’autre. » Les émotions sont exacerbées, résonnent dans vos tripes de lecteur, et si, par malchance, vous avez croisé dans votre vie ce genre de personnage hautement toxique, vous revivrez avec netteté chaque situation ayant contribué à vous faire plonger. Ainsi, vous devenez le témoin privilégié d’une chasse sans merci et de la mise en place d’une stratégie de destruction de l’autre implacable.

L’ascendant, la domination d’un être sur l’autre est le thème principal de ce roman. L’auteur démontre admirablement bien comment, à travers de simples mots, sans jamais lever la main, on peut irrémédiablement détruire un être humain. Ce livre est aussi sublime dans les premières pages que glaçant dans les dernières. Il souffle, comme Torsten le chaud et le froid, et c’est sacrément réussi !

 

 

3 réflexions sur “UN BONHEUR SANS PITIE, Eric Genetet – Héloïse d’Ormesson, sortie le 2 mai 2019

  1. Lord Arsenik dit :

    Je l’ai attaqué aujourd’hui (cap donc, pour répondre à ton message FB) ; la quatrième de couv’ annonce la couleur. J’attends de voir venir.
    Est-ce que tu as lu Entraves d’Alexandra Coin, toujours usr la question du pervers narcissique… avec un doublé pour la pauvre nana.
    Je ne sais pas si cela peut ou non t’intéresser mais à l’époque Alexandra m’avait fortement recommandé le titre La fabrique de l(homme pervers de Dominique Barbier, semblerait que le gars décortique parfaitement le processus de la perversion narcissique.

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