En préambule, je dirai : quelle douceur dans l’écriture de François d’Epenoux…
Que de poésie…
Et que de vérités planquées, au détour d’une phrase, dans le creux d’un mot, dans le silence d’une virgule ou d’un alinéa.
Je l’avais découvert dans Le Réveil du coeur, l’histoire d’un petit garçon qui apprivoise son grand-père bourru. J’avais alors eu des réminiscences de ma propre enfance que j’ai passée auprès d’un grand père que j’ai très peu connu, qui ne parlait pas mais qui devait m’aimer à sa façon. Je n’ai pas eu la chance de Malo de pouvoir simplement avec ce que j’étais, attendrir le coeur du vieux. Ce récit m’avait alors émue aux larmes.
Dans “Le presque“, on part sur un sujet différent même si c’est toujours du coeur qu’il s’agit au fond.
Cette fois, c’est celui de Marc, la cinquantaine passée, qui lors d’un bain tout à fait banal, va avoir la révélation de sa vie : il est, en effet, un “Presque”.
Presque heureux, presque amoureux, ayant presque réussi, presque encore jeune et pas encore vieux, presque artiste, presque voyageur, presque père comblé.
Un Presque, avec tout ce que ce surnom représente d’insatisfaisant, de décevant, de résigné.
Après avoir passé la journée avec François dans les mains, et Marc, et Chloé, et Yann, et Paula, j’ai refermé le livre et demandé à mon mari si c’était lui qui l’avait écrit. Il a lu la 4ème de couverture, souri et demandé pourquoi.
J’ai dit qu’il décrivait parfaitement tous les sentiments et toutes les émotions que j’avais ressentis au tournant de mes 40 ans, au micron près, comme si quelqu’un de vraiment très proche, en l’occurrence lui, avait pris des notes et jeté sur le papier le déballage des compromis et compromissions que j’avais l’impression d’avoir faites et qui me brûlaient alors le ventre, incapable que j’étais de les tolérer une seconde de plus.
C’est là que François fait vraiment fort : homme ou femme de plus de 40, vous êtes susceptible de vous reconnaitre dans ce livre. Vos amis vous ont dit que cette crise du milieu de vie, comme on l’appelle communément est normale et qu’il ne faut pas dramatiser et vous n’avez pas écouté ? Comme si le poids ce que vous viviez étiez unique au monde et que personne d’autre que vous-même ne pouvait ressentir l’ivresse négative de ces émotions…
Avez-vous déjà assisté à une BDC ? “Bouffe de crise” ça vous parle ? Parce qu’après 40 ans, des BDC, on en fait quelques-unes. Cette scène là, la BDC de 3 amis de longue date restera pour moi d’anthologie. Les secousses de la vie sont exprimées avec lucidité mais aussi tendresse et résument avec beaucoup d’humour les aléas et questionnements de la vie.
C’est bien de la vie qu’on parle, du quotidien qui bouffe tout, de l’amour tiède alimenté par l’habitude, de l’abandon de ses rêves, du renoncement, des regrets, de la vie qui vous échappe, de tout les loupés qui jalonnent un chemin qui loin d’être linéaire, nous amène parfois à faire quelques détours.
Je pourrai certainement écrire 2 pages sur ce roman mais aucune ne saurait égaler le talent d’écriture de François d’Epenoux car par ses mots, il vous touche en plein coeur.
Il nous raconte avec beaucoup de tendresse les failles de l’être humain,
Il consent à beaucoup de compassion pour les rêves perdus,
De compréhension pour les regrets,
Il danse avec finesse sur les choix de vie, en analysant, avec justesse les espoirs, les déceptions, les failles.
C’est presque une psychothérapie !
Presque le reflet d’une vie lambda,
Presque un instantané du temps qui passe.
Je terminerai par mettre l’accent sur les très belles réflexions concernant le métier d’écrivain, et quelques méditations, profondes et éclairées sur ce qui peut faire, ou non, d’un homme, un écrivain abouti. La seconde partie aborde avec lucidité ce thème.
Pour être écrivain, il faut avoir en soi un terreau fertile, un humus gras, fait de sédiments, de petites pousses, de pourriture aussi… C’est dans ce vécu que vont puiser les grandes histoires! Moi, je n’ai qu’une petite tête bien ratissée, un jardinet de banlieue où il ne pousse rien du tout.(…) Qui voudrait lire les mots d’un petit-bourgeois qui passe entre les gouttes? A qui il n’arrive rien ? Et qui, en plus, pleurniche sur son sort ?
Ce livre m’a profondément bouleversée mais il m’a surtout fait me sentir moins seule, moins incomprise, plus normale. Il a dédramatisé un épisode de ma vie que je croyais gravissime, le moment où moi aussi j’étais “presque” : presque heureuse mais presque malheureuse aussi.
J’aimerai beaucoup savoir quelle est la part de vécu dans la vie de François d’Epenoux qui lui a permis d’écrire avec tant de pertinence ce livre juste magnifique, très loin d’être un presque livre !
2 réflexions sur “LE PRESQUE, François d’Epenoux – Anne Carrière”