Aude Bouquine

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La librairie des livres interdits de Marc Lévy

Le sujet du nouveau roman de Marc Lévy me tient énormément à cœur après avoir vécu plusieurs années aux États-Unis, vécu l’élection d’Obama, puis celle de Trump et observé la société américaine changer radicalement. « La Librairie des livres interdits » se déroule dans une Amérique pas si dystopique où la loi HB 1467 impose une censure drastique. Cette loi, appelée House Bill 1467, fait des ravages dans de nombreux états, mais en Floride tout particulièrement où Républicain Ron DeSantis l’exploite vicieusement. HB 1467 favorise la censure, et donc le retrait de certains romans jugés « subversifs »… Quoi de mieux que se servir de la réalité pour créer de la fiction, tout en mettant en lumière ladite réalité ?

« La Librairie des livres interdits » suit Mitch, un libraire passionné, héritier d’un amour immense des livres transmis par son père. Dans sa librairie, il découvre une pièce secrète qui va devenir le coeur d’une résistance silencieuse : garder, prêter, louer des livres rigoureusement interdits par le nouveau gouverneur en fonction. Car, dans cette société imaginée par Marc Lévy, les libertés individuelles sont rognées au nom de la moralité et de la cohésion sociale. Le contexte socio-économique y est étouffant. Le contrôle dans tous les domaines y est omniprésent. 

La pièce secrète est méticuleusement restaurée et abrite une collection de classiques bannis, tels que « Le Journal d’Anne Frank », « Beloved » de Toni Morrison, ou encore « Fahrenheit 451 » de Ray Bradbury. Mitch n’est pas un révolutionnaire au propre du terme, il incarne une forme de résistance pacifique et intellectuelle, cherchant à préserver ce qu’il considère comme essentiel pour l’humanité : la liberté de penser et de s’instruire.

Cependant, sa mission est risquée. Les contrôleurs de la sûreté publique, instruments d’un État autoritaire, surveillent de près les librairies. Un jour, un agent découvre un ouvrage interdit dans ses rayons, marquant le début d’une bataille personnelle pour Mitch…

Au-delà du texte que j’ai choisi de découvrir dans sa version audio, lu par Sylvain Agaësse, « La Librairie des livres interdits» dévoile une résonance troublante avec la réalité et la situation actuelle aux États-Unis. Plusieurs États ont instauré des lois restreignant l’accès à certains livres dans les écoles et les bibliothèques. À la fin du roman, Marc Lévy fait un état des lieux des conséquences de la loi HB1467 où, sous prétexte de moralité, de nombreux livres sont retirés selon un principe de protection des jeunes esprits. Ainsi, les auteurs appartenant à la communauté LGBTQ+, ceux qui traitent du racisme, de la question identitaire ou même de l’Histoire des États-Unis sont désormais interdits. Des œuvres comme « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » de Harper Lee ou « L’oeil le plus bleu » de Toni Morrison sont régulièrement contestées, accusées de promouvoir des thèmes inappropriés. L’état cherche à modeler une génération déconnectée des enseignements du passé pour mieux réécrire l’Histoire…

Cette montée en puissance de la censure soulève des questions similaires à celles abordées dans le roman : qui décide de ce qui est approprié ? Et quelles conséquences ont ces interdictions sur la société ? Comme Mitch, des bibliothécaires et des enseignants se retrouvent en première ligne de ce combat pour préserver l’accès au savoir et à la diversité des idées. Ainsi, « La Librairie des livres interdits » défend de grands principes universels. D’abord, la liberté de penser en partant de l’idée que les livres sont des outils d’émancipation et de développement de l’esprit critique. La librairie clandestine devient donc un sanctuaire où les lecteurs redécouvrent toutes les voix réprimées de ces auteurs bannis, car chaque livre interdit présente une bataille pour dénoncer les injustices sociales ou mettre en exergue des vérités historiques.

Ne nous y trompons pas, dans le roman, comme dans la vie réelle, l’interdiction des livres vise à effacer des pans entiers de l’histoire, notamment liés à l’esclavage, au racisme ou à la lutte des femmes. Marc Lévy a fait de Mitch l’incarnation de celui qui lutte pour préserver cette mémoire collective face à une société qui préfère l’oublier pour éviter la honte. De plus, la résistance de ce personnage, bien que modeste à son humble niveau, met en lumière la force des actions individuelles. Chaque geste compte dans des contextes d’oppression.

La version audio de « La Librairie des livres interdits» est fort réussie. Le texte est agrémenté de bruitages, de sons et de mélodies qui rendent l’écoute très vivante. La voix de Sylvain Agaësse exprime fort bien la profondeur émotionnelle et la complexité des personnages, en particulier celles de Mitch. Il capture les moments de tension (censure, secrets, résistances) et instants de vie quotidienne ou d’introspection pour les retranscrire très justement en modulant sa voix. Il possède une véritable habileté pour différencier les différents protagonistes, en restant naturel, sans tomber dans des caricatures, mais en offrant une identité claire à chacun. Ainsi, il parvient à maintenir l’intérêt dans les moments calmes et intenses, tout en respectant le style de Marc Lévy. Il m’a semblé qu’il possédait une identité vocale stimulante qui ne détourne pas l’attention du texte lui-même et qui met clairement en relief les objectifs du roman. L’immersion a été parfaite !

Marc Lévy a récemment accordé plusieurs interviews à l’occasion de la sortie de « La Librairie des livres interdits». Il s’est effectivement inspiré des récentes lois américaines pour transformer cette absurdité en comédie, estimant que l’humour est un moyen efficace de dénoncer certaines aberrations sociétales. Nous partageons une croyance commune : il souligne que les livres ont le pouvoir de nous unir, de nous rassurer face à l’actualité anxiogène et de nous faire ressentir des émotions. Je rajouterais même qu’ils ont le pouvoir de nous sauver à certains moments de nos existences. À dessein, Il rappelle que les dictateurs et régimes autoritaires (et même ceux qui se disent respecter la démocratie) craignent les livres, car ils favorisent la réflexion et l’émancipation. 

Cependant, l’arrivée au pouvoir de Trump et de son gouvernement laisse à penser que la loi HB 1467 risque de prendre une ampleur inédite. Selon un rapport de PEN America, plus de 10 000 livres ont été interdits dans les écoles publiques américaines au cours de l’année scolaire 2023-2024, un chiffre sans précédent qui a triplé en l’espace d’un an. (source Radio-Canada) Cette tendance suscite des inquiétudes quant à la liberté d’expression et à l’accès à la culture, avec des débats intenses sur le rôle des parents, des éducateurs et des législateurs dans la détermination des contenus appropriés pour les jeunes lecteurs.

Si américain, « La Librairie des livres interdits » pourrait faire partie de la censure…L’interdiction des livres montre souvent une peur des idées et de leur pouvoir à transformer les individus et la société. Comme l’écrivait Ray Bradbury dans « Fahrenheit 451 », « Il n’est pas nécessaire de brûler des livres pour détruire une culture. Il suffit d’amener les gens à ne plus les lire. »

« La Librairie des livres interdits» nous engage à la résistance intellectuelle. Une lecture à la fois divertissante et importante pour comprendre les enjeux de notre époque. 

Découvrez aussi : Mes coups de coeur livres Audio.

Article Actualitte du 10 mars 2023 sur ce sujet

18 réflexions sur “La librairie des livres interdits, Marc Lévy.

  1. couriretlire dit :

    j’ai un abonnement lizzie depuis peu, je l’ai mis sur ma whistlist

  2. Aude Bouquine dit :

    J’ai droit à un crédit par mois avec mon abonnement Canal+

  3. laplumedelulu dit :

    Le fond me plaît beaucoup, « résister » mais l’auteur a perdu du crédit à mes yeux depuis longtemps. Manquerait plus que l’autre dégénéré interdise de lire certains titres dès janvier prochain et après. 😭
    Merci à toi pour la chronique 🙏 😘

  4. Aude Bouquine dit :

    C’est surtout le sujet qui est interessant et à l’audio franchement ça passe bien. Ce n’est pas le roman du siècle on est d’accord mais c’est une thématique d’actualité 😘

  5. Yvan dit :

    C’est terrifiant ce qu’il se passe… Un sujet fort, clairement

  6. Aude Bouquine dit :

    Terrifiant… et ce n’est pas fini

  7. Lilou dit :

    Merci à toi pour cette chronique qui me touche beaucoup. Je ne suis pas une lectrice de Marc Lévy mais là, je vais faire une exception. Sans toi, je serais passée à côté. Merci encore !

  8. PHILIPPE D dit :

    Marc Levy me semble changer de registre depuis un certain temps et ce n’est pas plus mal !
    J’ai tout lu de lui sauf celui-ci. J’attends, comme toujours, sa sortie en poche.
    Un titre et une couverture accrocheurs, ça, c’est sûr !

  9. Marc Levy, de prime abord, vraiment pas ma came, mais ta chronique vient clairement de me vriller le cœur… c’est un débat que j’ai souvent à la maison avec mes enfants, surtout quand je leur parle des enseignements que m’apportent les livres. Un livre est le reflet d’une époque, comment oser envisager de retirer Harper Lee ? C’est inconcevable ! Rien ne va dans ce monde…

  10. Aude Bouquine dit :

    Non rien ne va plus dans ce monde étrange… la liste des livres interdits est énorme , tu la trouves sur internet…

  11. Je vais aller voir ça, sauf que ça ne va pas arranger mon moral 🙃

  12. Des chiffres qui font peur. Je n’ai jamais lu de romans de Marc Levy, en revanche, j’adore Sylvain Agaësse ! 😊

  13. Aude Bouquine dit :

    Je l’ai beaucoup aimé aussi ! Je ne me souviens pas de l’avoir déjà écouté mais peut-être que si…

  14. Moi je l’ai découvert avec « L’assassin royale », une saga que j’adore !

  15. Aude Bouquine dit :

    Jamais lu, jamais écouté. Alex en parle énormément et en bien ! Faudrait que je tente

  16. couriretlire dit :

    pareil

  17. Aude dit :

    Bonjour,
    Je viens de finir le roman (mon cadeau de Noël annuel). J’ai lu toute la bibliographie de l’auteur. Ce que j’apprécie dans ses livres depuis plusieurs années (les derniers romans sont très différents des premiers), c’est que cela m’ouvre sur un point d’actualité que je développe par d’autres lectures par la suite. Et comme celui-ci fait suite à ma lecture de « Faites-les lire » de Michel Desmurget, je pense que mes discussions avec ma belle-mère (ancienne professeur de français et membre d’une association ‘Lire et faire lire ») vont encore s’enrichir

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