Aude Bouquine

Blog littéraire

Personne ne meurt à Longyearbyen de Morgan Audic Bilan lecture septembre 2023

« Personne ne meurt à Longyearbyen » ! Êtes-vous bien certains de cette affirmation ? Parce que dans ce nouveau roman de Morgan Audic, les cadavres s’enfilent comme des perles du côté des Lofoten ou de Longyearbyen. Tout ce sang sur la neige immaculée, cela fait un peu désordre… Pour ce troisième roman, l’auteur a choisi de nous emmener explorer deux endroits pour deux affaires à résoudre. La première concerne la mort de Agneta Sørensen, étudiante en biologie arctique. La seconde, le décès brutal d’Asa Hagen, ancienne reporter de guerre. Dans la première enquête, c’est Lottie Sandvic qui s’en charge à Longyearbyen. Dans la seconde, Nils Madsen prend la main dans les Lofoten. 

Atmosphère, atmosphère 

L’intégralité du roman se déroule dans la nuit polaire, et c’est cette nuit éternelle qui en est le personnage principal. Vous savez bien… Tout est toujours plus angoissant la nuit, tout prend des proportions colossales, chaque souffle et chaque sensation sont amplifiés. La nuit, dans un endroit glacé de surcroît, les choses prennent une autre dimension. C’est l’un des éléments que j’ai beaucoup aimé dans « Personne ne meurt à Longyearbyen » : ce travail approfondi et très fouillé de Morgan Audic pour retranscrire au plus près les sensations, le froid qui vient vous mordre les sens et la nuit qui vient réveiller vos angoisses. 

Qui dit archipel de Svalbard (terre la plus septentrionale de la Norvège), dit animaux sauvages. Cet autre aspect du roman m’a envoûtée. C’est précisément en ces lieux qu’ours blancs, bélugas, baleines et orques règnent en maîtres. À cet endroit du monde, l’homme devrait être en pleine contemplation de la nature, de l’immensité et des animaux majestueux qui y vivent. Mais il reste responsable de plusieurs crimes… même là, au bout de monde, il est facile de faire porter le chapeau à un ours au moment d’un meurtre. « C’était exactement ce qu’avait fait l’animal. Il avait labouré l’épiderme de la jeune femme au niveau de la poitrine, des cuisses et du ventre, laissant à la place de l’abdomen une tourbe de tissus rougeâtres et de viscères solidifiés par le givre. La lumière glacée des projecteurs accentuait douloureusement les failles dans la chair, faisant ressortir les muscles mis à nu. » ou encore « De profondes lésions cisaillaient le cuir chevelu. Des griffures, monstrueuses. L’oreille droite était entaillée et difforme. Un des yeux était crevé. L’autre était recouvert d’une pellicule blanchâtre qui donnait l’impression que la jeune femme était atteinte d’une sorte de cataracte. » Vivre ici comporte des risques, il faut les accepter et s’en accommoder. Ici, c’est la terre des ours, pas celle des hommes. Parfois, « Quelqu’un meurt à Longyearbyen »…

Refuge ou prison ?

Les deux enquêteurs mis en lumière au cœur de cette nuit polaire sont psychologiquement captivants. Lottie Sandvic est en proie à des crises de panique fréquentes dues à son poste précédent. Pour lutter contre cela, elle est sous « cocon chimique ». Nils Madsen est un ancien reporter de guerre qui a été témoin de toutes les horreurs que l’homme est capable de perpétrer. Autant dire que chacun souffre d’une forme de syndrome post-traumatique important qui se manifeste plus ou moins fortement. Concernant Lottie, Morgan Audic insère un élément très intéressant à analyser dans la totalité de « Personne ne meurt à Longyearbyen » : la notion de prison et de refuge. Il démontre parfaitement bien comment une décision d’isolement synonyme de refuge peut rapidement se transformer en enfermement lorsque l’on décide de partir vivre dans cet endroit du monde, surtout lorsque l’endroit choisi est aussi inhospitalier. Le leurre de laisser ses problèmes derrière soi en fuyant droit devant ne résiste pas très longtemps…

Pour Nils Madsen, l’enfermement fait partie intégrante de son être, il est puissamment ancré en lui à cause de son ancien métier. « Les gens qui ne le connaissaient pas lui demandaient souvent pourquoi il avait choisi ce métier. Il y avait les choses qu’il ne pouvait pas dire. L’urgence, l’adrénaline, la sensation de vivre vraiment, de ne pas être un somnambule. De vivre au jour le jour. Que chaque instant paraisse volé à la mort.

De connaître. La joie, la peur, l’amour, tout en plus intense. La joie sombre d’être en vie. Ça, les autres n’étaient pas à même de l’éprouver. Alors il parlait du côté plus brillant de la médaille : rapporter des images, faire comprendre, informer, aller là où personne ne voulait aller pour raconter ce que personne n’entendrait autrement. Les somnambules appréciaient. C’étaient des choses qu’ils pouvaient concevoir. » La confrontation psychologique de ces deux personnages sur la définition de refuge ou de prison est absolument passionnante à relever. Ces deux personnalités apportent une vraie plus-value au roman.

Problématiques de société 

Enfin, « Personne ne meurt à Longyearbyen », c’est surtout l’occasion de soulever des problématiques liées aux animaux comme la chasse faisant partie des pratiques ancestrales (aujourd’hui, la Norvège et le Japon sont les deux pays qui chassent encore la baleine malgré l’interdiction de 1986) ou l’ours polaire « devenu dans l’imaginaire collectif l’animal totem du réchauffement climatique. ». Une partie des réflexions du roman concerne le mal que l’homme fait aux animaux plus ou moins volontairement. Pour ne pas évoquer la thématique centrale, je n’évoquerai que de l’une d’entre elles : la pollution sonore. « Les humains ne s’en rendent pas compte, mais les mers et les océans ne sont pas le “monde du silence”. Les ondes sonores se propagent quatre fois plus vite dans la mer que dans l’air et parcourent de très grandes distances. Les moteurs de bateau, le plantage de pieux pour l’installation de parcs d’éoliennes, les forages sous-marins… » Rassurez-vous, Morgan Audic vous en décortique moult autres, toutes vraies !

« Personne ne meurt à Longyearbyen » est un ethno-polar qui divertit autant qu’il instruit. J’ai beaucoup aimé cette ambiance qui oscille entre obscurité et engourdissement dû au froid saisissant. En ces terres reculées et hostiles, vivre et survivre se méritent. « Même les femmes enceintes on les fout dehors le temps qu’elles accouchent. Le Svalbard trie naturellement les forts des faibles. Tout ce vernis qu’on passe sur nos mœurs, ça n’existe pas ici. Si tu ne peux pas subvenir à tes besoins, tu meurs. Si tu ne sais pas te défendre face à un ours, tu meurs. Si tu ne peux pas te sortir de l’eau par toi-même… tu meurs(…) » Les thématiques abordées sont riches, intéressantes et bien menées (et je ne vous ai même pas parlé des enquêtes !). Les amateurs du genre vont se régaler ! 

Paru chez Albin Michel le 20 septembre 2023.

Lien vers les éditions Albin Michel

Lien vers mon article : SORTIES LITTÉRAIRES SEPTEMBRE 2023

Découvrez aussi : ENTRE FAUVES, Colin Niel – Éditions du Rouergue, sortie le 2 septembre 2020.

 

9 réflexions sur “PERSONNE NE MEURT À LONGYEARBYEN, Morgan Audic

  1. Warlop dit :

    Très joli retour mais je t’avoue que ce n’est pas ce que je recherche actuellement

  2. Aude Bouquine dit :

    Je comprends… j’ai été beaucoup plus sensible à certains points que je développe dans ma chronique qu’à l’enquête elle-même.

  3. laplumedelulu dit :

    J’attends le premier roman de l’auteur qui sort en poche début octobre. Merci à toi pour la chronique 🙏 😘

  4. Yvan dit :

    L’atmosphère, élément indispensable pour faire un bon polar, un bon thriller. Pour qu’il sorte du lot

  5. Aude Bouquine dit :

    Je pense qu’on sent bien ce que j’ai aimé dans ce livre 😉

  6. Matatoune dit :

    Avec un tel retour, assurément un de mes prochains !

  7. Aude Bouquine dit :

    Hâte d’avoir ton retour ♥️

  8. J’avais adoré son précédent, je l’ai placé dans ma PAL à court terme !

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