Aude Bouquine

Blog littéraire

Le chien des étoiles de Dimitri Rouchon-Borie rentrée littéraire août 2023

« Le chien des étoiles » est déjà le quatrième roman de Dimitri Rouchon-Borie. Mais, après « Le démon de la colline aux loups », j’étais vraiment très impatiente de retrouver son écriture dans un texte qui met en lumière toute la beauté de la nuit. Gio a une vingtaine d’années, mais malgré ce jeune âge, Gio sort de l’hôpital après un règlement de compte qui l’a laissé avec ce que d’aucuns appelleraient de lourdes séquelles psychologiques. Gio s’est fait planter un tournevis dans le crâne. Depuis, Gio voit ce que peu d’êtres humains parviennent à entrevoir, ou même à deviner. Il voit la beauté de la nuit. Il entend l’appel des chouettes. « La nuit tombe et ça met Gio dans un état second. Il sent revenir l’appel des chouettes et des ombres, les vols silencieux et les étoiles au-dessus des nuages. Il pince le fil imaginaire, et il se demande s’il peut s’enfuir par là ». Après une tentative de représailles, Gio s’enfuit avec Papillon et Dolores. Le premier est muet. La seconde est une jeune fille, belle comme le jour qui connaît la loi des hommes. « C’est de la malédiction, Gio. Les hommes, ils me haïssent, c’est dans leurs yeux, je vois bien, ils veulent me baiser et m’écrabouiller. Et les femmes, elles me détestent et elles se détestent entre elles, je le sais, et elles se trahissent pour des hommes. Hommes et femmes, c’est de la malédiction, pareil. » Unis dans un voyage commun et protégés par la statue de la Vierge noire, ils partent à la rencontre du monde… des hommes.


Road-Movie gitan sous les étoiles, l’étrange trio mené par « Le chien des étoiles » affronte la société… Sur le chemin, les personnages s’illuminent, c’est la grande force de l’écriture de Dimitri Rouchon-Borie. Des hommes ordinaires dans des situations ordinaires qui sont finalement extraordinaires de luminosité et de pureté. Gio (dont le prénom signifie « Dieu pardonne » en hébreux) devient bien malgré lui le protecteur de Papillon et de Dolores. « Il contemple leurs visages et il y a cette voix de la nuit qui reste présente en lui et qui lui dit où voir, et ce qu’il voit, c’est la beauté de ces deux gamins, et le fait qu’il faut les protéger de tout, même quand il n’aura pas la force de le faire. » Le chemin qu’ils parcourent sert de lien pour mieux se connaître. Ils se hument, s’observent et s’apprivoisent pour laisser finalement les confidences se murmurer. L’amitié naissante prend de plus en plus en place, se transforme et évolue en un amour profond et sincère. Leur attachement semble basé sur une forme de connexion instinctive et naturelle. Le lecteur y trouve la pureté des liens et un soutien réciproque où chacun apporte aux autres quelque chose qui relève de l’intangible, mais aux vertus essentielles. 


« Le chien des étoiles » est un roman assez court, je ne vais pas m’étendre sur les rencontres faites au cours du périple. Le point fort de ce texte réside dans les personnages et la lumière qu’ils dégagent, surtout celle autour de Gio. Personnage rêveur et idéaliste, Gio a une vision du monde « faussée » par son agression. Il ne voit le mal que lorsqu’il lui tombe dessus, il est vierge de toute l’horreur des hommes sauf quand son instinct provoqué par sa blessure lui ordonne d’agir pour protéger. « Et je vais vous laver, chaque jour, pour sécher les larmes, et que plus personne ne gâche jamais cette beauté que vous êtes. Je sais pas comment on fait ça et la Vierge Noire va aider je suis sûr, mais dès aujourd’hui, vous êtes beaux et vous êtes purs pour toujours. » Au cours du voyage, un être en particulier leur apporte la lucidité de l’esprit, une sagesse qu’elle enseigne avec tendresse et délicatesse. Cette ode à l’amour, celui des miséreux face au monde résonne dans toutes les pages, et permet à Dolores notamment d’anticiper au mieux son rôle de femme dans la société des hommes. 


J’ai aimé les descriptions dépouillées pour laisser s’embraser la puissance et la flamme des personnages, pour faire comprendre que la nature des hommes n’a aucune influence sur le monde qui l’entoure. L’humanité prouve encore une fois qu’elle n’est que ce qu’elle paraît, toujours en recherche de pouvoir, de possession, de souillure à infliger aux plus démunis. À travers le personnage de Dolorès, le lecteur comprend (et il est encore nécessaire de le faire comprendre !) la difficulté d’être une femme.  « C’est comme si personne s’est rendu compte qu’on n’a pas besoin d’arracher, de salir et moi j’aurais bien donné des choses, mais j’ai pas droit aux paroles, et encore j’ai réussi à sauver le bas Gio, mais ça n’a pas été facile, tu ne sais pas quelle guerre c’est, de sauver son cul, et pour ça tu sacrifies les pêches. » En plus d’être une fuite, une quête vers un monde que tous espèrent différent, « Le chien des étoiles » fait la part belle aux femmes. 


Enfin, Dimitri Rouchon-Borie a eu la sagacité d’introduire une dose de mystère, de divination, voire de fantastique dans l’expression des émotions à travers le personnage de Gio, celui qui sent ce que les autres ne perçoivent pas. « Tous les soirs, il file s’allonger, et en s’endormant, il laisse son esprit s’envoler et voler de plus en plus haut, jusqu’à planer sur la ville, de mieux en mieux. Il n’a qu’une seule volonté, et c’est de tourner la tête vers le ciel, et filer pour de bon, tout en haut. Et il verra bien s’il peut redescendre, ou si son esprit se perd à jamais dans les étoiles. Il a tellement fait le vagabond parmi les hommes, pourquoi n’aurait-il pas le droit de faire pareil dans les étoiles ? »


Loin du monde des hommes, il existe peut-être celui de la beauté des émotions pures où seul l’esprit serait capable de nous reconnecter à notre humanité. « Le chien des étoiles » raconte cette espérance, dans la solidarité, la résilience et l’amour de son prochain. Dimitri Rouchon-Borie m’a fait ressentir des émotions semblables à celles vécues à la lecture de « San Perdido » de David Zukerman ou encore de « Buveurs de vent » de Franck Bouysse. La beauté de la langue associée aux émotions les plus cristallines. 

La rentrée littéraire des éditions Le Tripode

BUVEURS DE VENT, Franck Bouysse – Albin Michel, sortie le 19 août 2020.

SAN PERDIDO, David Zukerman – Calmann Lévy, sortie le 2 janvier 2019.

8 réflexions sur “LE CHIEN DES ÉTOILES, Dimitri Rouchon-Borie – Le Tripode, paru le 17 août

  1. laplumedelulu dit :

    Wooowww. Tu en rajoutes une couche après la chronique d’Yvan. Merci à toi 🙏 😘

  2. Aude Bouquine dit :

    Il semble que nous ayons quelques lectures communes 😉

  3. Yvan dit :

    Ce roman est parfois d’une noirceur terrible, mais oui quelle lumière le transperce !
    Merci pour tes mots touchants sur ce texte magnifique

  4. laplumedelulu dit :

    Ah ? J’avais pas remarqué dis donc. 😂

  5. J’ai adoré son premier roman et avec cette chronique je n’ai plus qu’à découvrir celui-ci, si je comprends bien.
    Bises Dame Aude

  6. Matatoune dit :

    Je le note aussi mais pas pour maintenant !

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