Aude Bouquine

Blog littéraire

Une nuit particulière de Grégoire Delacourt Bilan lecture mai 2023

« Une nuit particulière », dernier roman de Grégoire Delacourt raconte la nuit où une femme est quittée. Aurore a 55 ans. Pendant qu’elle erre dans la nuit, elle se souvient de sa vie avec son mari Olivier. « Trente ans d’un regard sur moi qui me rendait belle. » L’occasion de faire le point sur les relations homme-femme, sur les premières fois, le désir vacillant qu’il faut savoir raviver, le temps qui est passé de la première seconde à la dernière minute « Trente ans à être incendiée. », et la douleur de la perte, « Je suis un champ de ruines. »

Dans ses déambulations nocturnes, Aurore rencontre Simeone. Une nuit pour se découvrir même dans les silences, une nuit pour donner à l’autre le sentiment d’être vivant. « À peine pars-tu que je me jette dans les bras d’un autre. En fait, je veux savoir si je peux vivre sans toi. » « Une nuit particulière » se découpe en trois parties, la rencontre selon Aurore, puis selon Simeone, puis à nouveau selon Aurore. Dans les deux premières, chacun raconte des morceaux choisis de sa vie au milieu de cette rencontre inopinée.

Aurore est celle que l’on quitte. Elle se livre à des réflexions plus philosophiques que Simeone. Elle intellectualise les relations à deux, décortique les relations homme-femme, le désir, la passion, la possession, et la tragédie des relations qui se délitent. « L’autre n’est jamais à soi. Il est de passage en nous. Comme le vent. » « Une nuit particulière » est une occasion de faire un point « Je me demande si on aime l’autre ou ce qu’il remplit de vide en nous. », une raison de se questionner sur ce qui a été « On s’est juste accouplés le temps de la traversée, le temps d’une vie, entre deux vides. La joie, c’était la traversée. La violente beauté des vagues, la caresse des embruns. C’était ça la vie. Traverser avec toi. Être avec toi. », ce qui a peut-être conduit à cette situation « Les hommes nous quittent peut-être parce qu’ils ne s’aiment plus avec nous. », et la façon d’appréhender l’avenir. « On ne quitte pas une femme sans la poignarder, Olivier. Les femmes ont des racines dans le cœur des hommes. Les couper, c’est les assécher. »

Simeone est plus direct. Dès les premières phrases, on sait ce qu’il vient faire dans cette « nuit particulière ». Il a 48 ans, une femme Marie qu’il a décidé de quitter. Pour une nuit, ou pour toute la vie, il ne sait pas encore. « (…) et je pensais au mal qu’on fait toujours aux gens en les quittant, cette inéluctabilité qui rend précieux le peu de l’autre que l’on croit posséder car on ne possède jamais rien de l’autre, il nous traverse seulement, passe en nous et ne nous laisse que le vent des choses. » Il déambule dans la nuit pour réfléchir et prendre des décisions. » Sa rencontre avec Aurore lui rappelle les injonctions de sa mère « Va, Simeone, va, aime et tombe. » Cette femme qu’il rencontre pour la première fois est un livre ouvert. Il boit ses paroles, analyse ses silences. Il sait pourquoi elle est là. 

Grégoire Delcourt fait montre d’une extrême sensibilité dans « Une nuit particulière ». Une fois encore, il enfile de manière exceptionnelle les vêtements de chair d’une femme, ses pensées les plus intimes. On a l’impression que ce roman est écrit par une femme. Les interrogations, les réflexions, l’argumentation viennent des tripes. C’est le cœur qui parle avant tout. L’intimité des pensées, l’ardeur de la passion toute féminine, l’émotivité à fleur de peau, la vulnérabilité absolue. On retrouve ici la sensibilité de « Danser au bord de l’abîme » ou de « La femme qui ne vieillissait pas ». 

« Une nuit particulière » n’est pas seulement le récit de deux êtres qui se heurtent le temps de quelques heures. C’est le récit d’un sauvetage, d’un retour à la vie. « J’ai essayé de lui transfuser notre part de feu. » Secourir l’autre quand il nous est inconnu est certainement le plus beau des sauvetages. Se comprendre sans tout se dire, la plus belle des complicités. Une relation « désintéressée », altruiste, qui amène à faire renaître des « réenchantements ». La rencontre de l’Autre ne finit pas toujours de la manière escomptée. La fin peut être un nouveau début ou une certitude que l’on était venu confirmer. 

J’aime la délicatesse de la plume de Grégoire Delacourt, sa subtilité, et sa capacité à faire éclater les émotions lorsqu’on les croyait éteintes. 

Découvrez le Blog de Grégoire Delacourt chroniqueur

MON PERE, Grégoire Delacourt – JC Lattès, sortie le 20 février 2019

L’ENFANT RÉPARÉ, Grégoire Delacourt – Grasset, sortie le 29 septembre 2021.

5 réflexions sur “UNE NUIT PARTICULIÈRE, Grégoire Delacourt – Grasset, paru le 1er mars 2023.

  1. laplumedelulu dit :

    Jolie chronique qui donne envie encore une fois. Merci à toi Aude. 🙏😘

  2. Warlop dit :

    Je vais le lire promis 🙈 (tu m’énerves🤣)

  3. Aude Bouquine dit :

    Je sais 😂

  4. Aude Bouquine dit :

    Merci à toi d’être toujours là

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