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MERCI, GRAZIE, THANK YOU, Julien Sandrel – Calmann-Lévy, sortie le 2 mars 2022.

« Merci, Grazie, Thank you »… Au crépuscule de sa vie, Gina, fantasque grand-mère de 85 ans continue à se rendre en secret au casino où elle adore jouer aux machines à sous. Cette journée du 30 juin 2018 restera exceptionnelle puisqu’enfin, elle gagne. Que faire avec un million d’euros lorsque l’on a déjà vécu une longue vie et que posséder davantage n’est plus la priorité. Gina a alors une idée : remercier celles et ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ont contribué à rendre sa vie plus belle. « Ces personnes auxquelles j’ai toujours voulu exprimer ma gratitude, sans en avoir eu l’occasion ni la possibilité. Je crois qu’il n’y a pas pire regret, à la fin d’une vie, que de n’avoir pas su, pas pu dire merci. » Merveilleuse idée de Gina qui, du haut de ses 85 ans, ne vit plus dans la rancune, mais dans une certaine forme de sagesse inhérente à l’âge, merveilleux hommage de Julien Sandrel à sa famille. 

On ne connaît jamais réellement les personnes qui nous entourent. Leurs blessures, leurs joies, leurs traumatismes, leurs espérances. Encore moins leurs chemins de vie. Que l’on ait 24 ans ou 85, certains secrets restent profondément enfouis, par peur du jugement de l’autre, par honte, ou pour sauvegarder les apparences. Dans la folle épopée de Gina, le lecteur se retrouve projeté dans sa vie, à des moments clés où sans l’aide des autres, les choses auraient pu mal tourner. Parce que dans les moments de grandes douleurs se cachent aussi de petits bonheurs, qui, avec le temps, s’observent sous un autre angle. Parallèlement, dans sa course éperdue pour rattraper sa grand-mère, Chloé sa petite-fille réalise que si Gina ne connaît pas vraiment sa vie, elle-même ne connaît pas le passé de sa grand-mère. « Comment peut-on se sentir aussi proche de quelqu’un sans rien connaître de sa vie.(…) on accepte cette méconnaissance du passé avec une facilité déconcertante concernant ses propres grands-parents. L’adulte raconte ce qu’il souhaite à l’enfant, et si la tendresse est là, l’enfant n’a pas besoin d’en savoir plus pour être heureux.» Une occasion unique se présente de se construire grâce à l’autre…

Dans « Merci, Grazie, Thank you », Gina et Chloé sont à la recherche de leurs racines. Pour l’une, les ramifications sont multiples et enchevêtrées. Pour l’autre, la méconnaissance de l’histoire familiale engendre angoisses et hantises d’un futur à construire. « Est-il possible de construire son propre avenir en occultant les zones d’ombre de sa famille?» Chacune apporte sa pierre à l’édifice, Gina en cherchant la paix de son âme, Chloé en posant les pierres de sa vie future. Se construire grâce et à travers l’autre est une idée souvent oubliée dans notre société, mais c’est certainement celle avec laquelle je suis le plus en phase. Lorsqu’il s’agit de sa propre famille, de son histoire dont nous trimballons inconsciemment les casseroles, c’est encore plus important. Les ressentis de Chloé face à une échéance qui lui est propre et personnelle en sont le parfait reflet. Pour savoir où elle va, elle a besoin de savoir qui elle est, de lever les « malédictions » familiales qu’elle ressent sans pouvoir réellement les expliquer. L’épigénétique est une thématique très intéressante et à laquelle je crois profondément : nos émotions laissent des traces sur nos gènes. En donnant la vie, nous transmettons inconsciemment ces émotions qui sont un lourd bagage pour celui qui les reçoit puisqu’il en hérite sans les comprendre. Connaître ses racines pour grandir et être pleinement soi devient donc essentiel. Gina l’exprime très bien : « Le secret est un sport de compétition, dans cette famille.» Ne laissons pas les secrets menacer le destin de nos enfants. 

Encore une fois, Julien Sandrel est parvenu à conquérir mon cœur. Sous couvert d’une histoire qui peut paraître simple, il aborde pourtant des choses essentielles. D’abord en offrant comme base de son roman cette proposition si élémentaire de remerciement. « À notre âge, remercier, s’excuser… cette sorte de bilan comptable de son existence, je trouve ça merveilleux. » Ensuite, pour la salve d’émotions qu’il nous envoie en cadeau. Cette grand-mère touchante, tendre, souvent cocasse qui maîtrise l’art de l’insulte comme personne (que j’ai ri !) a un cœur en or. Difficile de ne pas se souvenir de nos grands-parents et de les faire revenir dans nos quotidiens le temps d’un roman. Pour cela, moi aussi je dis Merci. Pour la relation bienveillante entre Gina et Chloé, encore Merci. Savoir écouter sans juger est le don des rois. Pour les liens si profonds entre Gina et Olga (personnage que je vous laisse découvrir), parce que l’amour triomphe de tout, Merci. « Merci, Grazie, Thank you » est un roman délicat, tout en nuances, émouvant et drôle, qui laisse son empreinte dans nos cœurs, comme un tatouage sur la peau. Je lui souhaite de traverser les temps. Je réitère mes mots de l’année dernière pour « Vers le soleil », on a tous besoin d’un Julien Sandrel dans sa vie, un Julien avec un cœur gros comme ça qui envoie de bonnes ondes. « Merci, Grazie, Thank you ».

VERS LE SOLEIL, Julien Sandrel – Calmann-Lévy, sortie le 24 février 2021.

LES ÉTINCELLES, Julien Sandrel – Calmann-Lévy, sortie le 26 février 2020.

LA VIE QUI M’ATTENDAIT, Julien Sandrel – Calmann Lévy, sortie le 6 mars 2019

LA CHAMBRE DES MERVEILLES, Julien Sandrel – Calmann Lévy

Lien vers les éditions Calmann-Lévy

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