Alignement des planètes ? Présages ? Lueurs brouillées envoyées par une quelconque bonne étoile ? D’un évènement douloureux et cruel, une rupture inattendue, peut naître une étincelle dans l’esprit d’une femme. « Dans les mois noirs et les nuits blanches qui suivirent, elle se demandera longtemps comment un homme peut faire l’amour trois fois dans la nuit à une femme qu’il va quitter le lendemain. Peut-être justement parce qu’il sait qu’il va la quitter. Lui jurera que non, la veille, il ne le savait pas. » Ce second roman de Géraldine Dalban-Moreynas narre un instant de vie où l’on se prend un train à grande vitesse en pleine figure. La narratrice, Elle, a déjà une fille. Elle rencontre un homme, veuf, père de deux garçons. Après un été merveilleux passé tous ensemble, où l’harmonie et le bonheur parfait font loi, cette petite famille recomposée décide de vivre sous le même toit. Passé 40 ans, l’heure n’est plus à tergiverser sur le bien-fondé d’une décision aussi rapide. Elle l’aime, il l’aime, il n’y a guère plus de choses à réfléchir. Pourtant, cette vie tous ensemble n’est pas de tout repos. Il faut s’habituer aux enfants de l’autre, au linge qui déborde de la panière, au frigo vide, aux hurlements d’adolescents frustrés, aux heures de boulot qui viennent s’ajouter cruellement à un emploi du temps déjà bien chargé. Toi-même tu sais, si dans ta vie tu as été le chef d’orchestre d’une famille recomposée… « Elle a toujours été libre et, tout à coup, elle devient prisonnière des désirs et des besoins des autres qui passent désormais avant les siens. Elle s’oublie dans cette vie pour eux. Elle se perd. Elle se noie. Le nous tue le je à petit feu. » Sans raison, sans signe annonciateur, sans dispute qui vomit des mots difficiles à reprendre, après une nuit parfaite, il annonce sans la moindre explication : « Nous. Nous deux. C’est fini. »
Phrase glaçante qui tombe comme un couperet, lancée sans précaution aucune et sans justification : c’est simplement fini. Elle refait les cartons, prend sa fille sous le bras et s’en va vivre ailleurs. « Elle a lu dans ses yeux que c’était trop tard. Il n’était déjà plus là, il était déjà parti. Elle a senti que tout ce qu’elle pouvait lui dire glisserait dorénavant sans le toucher. Elle a vu qu’il avait fermé la porte et qu’elle n’avait plus aucun moyen de l’atteindre. » Toi-même, tu sais…
Life is a bitch. Il faut se relever du sentiment de trahison, apprendre à canaliser ses angoisses, cesser d’espérer avoir une explication, retourner à sa vie d’avant la boule au ventre et la tête ailleurs, et savoir prendre soin de soi pour ne pas dépérir. Direction Marrakech pour se ressourcer, s’enivrer de lumières, de parfums, de cet ailleurs vital qui vit au son du muezzin. Alignement des planètes ? Présages ? Lueurs brouillées envoyées par une quelconque bonne étoile ? La renaissance est proche après un bilan personnel délicat à entreprendre, quand le destin s’est un peu payé sa tête. « Mon job m’emmerde, ma vie sentimentale est un fiasco, je sais, ça n’a jamais été une grande réussite, mais là je touche le fond. Je ne te parle pas de ma vie sexuelle qui se rapproche de celle d’un bigorneau, et encore, je me demande si un bigorneau ne baise pas plus que moi. J’ai des clients à qui je n’ai plus rien à dire, qui me demandent des trucs impossibles (…) » Toi-même tu sais, qu’un jour pourtant identique à tous les autres devient un jour singulier où tu envoies tout valser…
« Elle voulait juste être heureuse » est le récit de cette femme terrassée par la douleur et l’incompréhension qui rebondit en ayant le courage de regarder bien en face le passé lentement construit et l’avenir timide, incertain, un peu flou à l’horizon. Elle affronte les opinions des proches qui découragent, les doutes omniprésents, le manque de trésorerie. Elle rencontre des hommes qui traversent sa vie, profite du moment, mais ne pleure plus quand ils la quittent. Elle a déjà trop pleuré. Elle chancelle, elle s’effondre, elle se relève. Elle avance, même à petits pas. Elle construit, pierre après pierre un chemin de traverse à sa vie confortable.
Elle ne voit pas forcément les signes qui sont pourtant tous là :
M comme Milo
M comme Marrakech
M comme Montmartre
M comme Manhattan
M comme bleu Majorelle
M comme rue Mansart
M comme le nom d’un Concept Store
Celle qui affirmait « Elle voudrait être une toute petite chose fragile dont on s’occupe comme d’une pierre précieuse. » s’efface peu à peu pour laisser place à une autre, métamorphosée, plus forte, plus déterminée, moins encline aux compromis, moins attentive à ses émotions de femme qui aurait besoin des yeux d’un homme pour se réaliser.
Géraldine Dalban-Moreynas raconte son changement de vie où comment un petit miracle est né d’une douleur qui aurait pu la tuer. « On ne meurt pas d’amour » n’est-ce pas ? Le savant mélange des mots tendres et des mots crus met toute la lumière sur la pureté des émotions qui valsent dans un gigantesque tourbillon. Entre Marrakech, Manhattan et Paris, elle réussit parfaitement à transmettre cette lutte entre cœur et raison qui ne cesse, au fond, de nous tourmenter. Ce besoin fondamental de retour à l’essentiel, être soi, entreprendre, monter un projet qui lui ressemble quitte à jeter au feu les promesses d’un confort facile résonne dans toutes les pages. « Je ne veux pas plus de fric. Je ne veux rien de tout cela. Je veux juste vibrer, la routine me fait crever, savoir aujourd’hui ce que je ferai dans dix ans aussi. J’ai besoin de prendre de l’émotion dans la gueule pour sentir que je suis vivante. » Toi-même tu sais…
Le rendez-vous est pris pour un autre rêve à réaliser en septembre 2023. C’est important les rêves, c’est par eux qu’on avance. Ça empêche de sombrer, ça sort la tête de l’eau, ça permet d’y croire encore un peu… dans ce monde de fou où tout va à 100 à l’heure et où la vitesse finalement vous interdit de prendre le temps de réfléchir… à qui vous êtes, à ce que vous voulez vraiment faire de votre existence, à vos priorités. Et si l’on se remettait « Soi » au cœur de tout ? « Je ne veux pas dormir, je veux me réveiller. Je n’ai pas besoin de cachets, j’ai besoin de projets, de savoir que faire de ma vie. » Toi-même tu sais…
ON NE MEURT PAS D’AMOUR, Géraldine Dalban-Moreynas – Plon, sortie le 22 août 2019