Aude Bouquine

Blog littéraire

Antoine Harelde revient à Ceduna, Australie. Il y a vécu enfant, en été 1996. Il s’y est fait un ami, Hunter. À l’époque, plusieurs drames se sont succédé, Antoine est rentré en France. Vingt ans plus tard, c’est adulte qu’il foule cette terre aride avec une seule idée en tête : se venger. De qui ? De quoi ? Pourquoi ? Je ne vous dirai rien !

J’ai découvert l’ovni Mayeras avec « Reflex ». Je me souviens du choc. Je me souviens de cette déferlante. Je n’avais jamais lu un truc pareil avant, écrit par une femme, dévoilant toute la noirceur du monde quand nous sommes souvent comparées à de petits êtres fragiles qu’il faut protéger. Maud Mayeras t’en balance. Quand tu essaies de te relever, elle te recolle une droite, histoire que tu reprennes la mesure du peu d’humanité qu’il reste dans ce monde, qu’il te reste ? Les monstres tapis au creux des entrailles, c’est son truc : elle les laisse lentement remonter à la surface. Tu te retrouves alors comme enfermé dans une cage. Elle t’envoie des sons, des odeurs, des gestes, des mots en pleine figure et il n’y a pas grand-chose que tu peux faire pour les empêcher de t’atteindre.

Dans ce récit, il est question d’enfance. Je t’avais prévenu. Il y a des choses qui t’arrivent enfant, impossibles à oublier. Ces trucs-là te rongent, prennent de la place, grossissent et même lorsque tu essaies de les oublier, ils te dévorent de l’intérieur. «L’éducation par l’effroi ». C’est ça qu’elle écrit Maud : les trucs qui te bouffent, les petites bêtes qui sommeillent, les verrues qui t’empêchent de marcher. Pour te raconter ça, elle développe l’intériorité des personnages. Pour y parvenir, son écriture se fait intimiste. Ça a l’air simple quand tu le dis comme ça mais c’est super difficile à faire. À chaque ambiance, la vengeance, la prise de conscience de la réalité, l’atmosphère de fin du monde, la petite lumière fragile et vacillante, elle adapte son style. Du coup, ça te prend, et ça ne te lâche plus. Le bouquin, tu le vis, tu le transpires, tu en rêves. Les personnages, les lieux, les faits sont vivants. Je ne sais pas comment je pourrai t’expliquer mieux.

Tu l’auras compris, on n’est pas au pays de Candy. Elle n’a pas l’intention de te faire te sentir à l’aise, c’est plutôt l’inverse. Elle écrit du noir, un noir d’ébène, un noir opaque, un noir presque funeste, un noir dans lequel tes 5 sens sont en alerte constamment.        « Le bleu sombre du ciel et le sang vif de la terre, enlacés par un gigantesque bras laiteux. »

Il est question aussi d’humanité, entends par là l’ensemble des êtres humains pas la compassion envers autrui. Si tu veux de la bienveillance, va chez Disney. « Des choses innommables faites par des humains sur d’autres humains. J’ai réalisé que nous étions des montres, tous autant que nous étions. » La folie des hommes, la bassesse des âmes, la sordidité des actes, et l’impossibilité démontrée pour l’homme de vivre en harmonie avec lui-même et avec les autres. Et même quand tu croiras qu’un petit groupe a réussi, tu verras comment elle brise tous tes espoirs en une ligne « Le monde est toujours là (…) Il sera toujours là. »

La construction est brillante. Maud t’embarque et tu ne sais pas dans quelle direction. Elle transforme une vengeance banale en un tourbillon de conséquences qui te scie. Quand elle te dit « On ne se perd pas par ici, on se trouve. », tu ne la prends pas à la légère. Quand elle évoque l’arbre à chaussures où « les hommes suspendent leurs rêves », tu te demandes lesquels. Quand elle décrit « une sorte de paradis dissimulé à l’orée du monde », tu bascules rapidement en enfer. La fin tombe alors comme une lame, abrupte, et sonne le glas de tes émotions. Tu peux respirer… Sauf que tu ne respires plus…

Tu peux reprendre le cours de tes activités. Ou lire le bouquin. Tu fais comme tu veux. Mais tu ne viens pas chialer après, je n’ai pas le temps d’essuyer tes larmes, car le monde est toujours là.

 

 

2 réflexions sur “LUX, Maud Mayeras – Editions Anne Carrière, sortie le 6 octobre 2016

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