Aude Bouquine

Blog littéraire

Les enfants du serpent de Clarence Pitz

« Les enfants du serpent » est le premier roman que je lis de Clarence Pitz. Ce texte s’ouvre sur une scène abominable, qui sans conteste sert le récit. Comme cela est précisé dans les notes de l’auteure, « Vous allez être le témoin de scènes qui ont pu, qui pourraient, et qui pourront un jour avoir lieu. » Il existe sur cette terre, des endroits où des familles entières vivent l’enfer. Nous sommes dans un récit à double temporalité. La première se déroule en République démocratique du Congo, dans la région du Kivu, l’intrigue de la seconde a lieu au présent à Bruxelles.

Si vous prenez la peine d’aller chercher la petite comptine « Yembélé, Yembélé » qui est chantée dans le premier chapitre, et de l’écouter jusqu’au bout pour mesure la joie, l’allégresse, et l’innocence de ce texte, vous prendrez toute la mesure de cette abomination qui se déroule sous vos yeux. Une comptine que chaque Maman chante à son enfant, chantée ici par une petite fille, Phionah pour faire s’évader son esprit et tranquilliser sa mère, Gloria témoin de son calvaire. « Il faut que ton esprit s’évade vers la rivière. Imagine-nous plonger les bras dans l’eau au rythme de cette comptine. » 

Lorsque le silence retombe dans le village de Bumia, il ne reste que des gémissements, des pleurs, du désespoir. « Les hommes armés se sont retirés, repus de violence, gavés de sévices, déchargés de toute leur bestialité. » Cette scène imaginée par Clarence Pitz donne ton. Lorsqu’on est un grand amateur de thriller, on est souvent à la recherche d’une scène marquante pour entrapercevoir la force du récit, mais aussi la puissance narrative de l’auteure. Il est clair que l’horreur absolue nous attend dans « Les enfants du serpent » et que Clarence ne va pas nous épargner.

Dans le chapitre deux, nous sommes à Bruxelles dans une scène de la vie courante qui deviendra une scène de crime. Plus tard, deux enquêteurs, Karel et son coéquipier Fred sont appelés sur cette enquête. Quand l’un pense qu’il s’agit là d’une guerre de gang bruxelloise, l’autre a bien plus de doutes… quelque chose flotte dans l’air, un goût, une odeur de terre qui lui rappelle Kivu… Tous les sens sont à l’affût.

Dans « Les enfants du serpent », le lecteur navigue sans cesse entre ces deux temporalités et je dois avouer que j’ai été suspendue à celle qui se déroule en Afrique, car le devenir de Gloria et de sa petite fille m’obsédait. Sur cette terre rouge, nous faisons la connaissance d’un médecin, dont les nuits sont hantées par toutes les horreurs vécues et tous ces corps à réparer, mais nous attendons également le retour de Benjamin, mari de Gloria, disparu durant l’attaque du village. Cependant, l’enquête à Bruxelles n’est absolument pas négligée grâce à l’attachement progressif que j’ai ressenti pour Karel. 

À mon sens, outre l’enquête et cette double temporalité, ce qui fait la force de ce roman réside dans la puissance des personnages. Tous, même les personnages secondaires sont très travaillés et autorisent une belle incursion dans leurs esprits. Le challenge était de faire suffisamment comprendre les motivations de certains actes pour autoriser la compassion. Autant dire que l’exercice était périlleux. Clarence parvient par un miracle que je ne m’explique toujours pas à jongler entre le bien et le mal tout en restant funambule sur le fil rouge de l’histoire. 

« Les enfants du serpent » est un thriller dense comme je les aime puisqu’il développe une thématique de société (la violence faite aux femmes lors de conflits armés), une partie historique (guerre du Congo bien que non datée, et souvenir d’un autre conflit extrêmement meurtrier), et un message final percutant. De plus, Clarence Pitz ne verse jamais dans la facilité et n’épargne pas ses personnages. Il y a un courage d’écriture auquel je ne m’attendais pas et une volonté d’aller chercher au cœur des hommes le beau comme le plus abject. Elle joue merveilleusement bien avec les identités, personne n’est jamais réellement qui il dit être et pourtant, le fil ne se rompt pas. 

Pour dire deux mots sur le message final sans le dévoiler, je vous renvoie à son prologue « N’oubliez pas que tout le monde est capable d’amour. Même les pires ordures. » En fin de lecture, prenez le temps d’aller à la rencontre de ces enfants serpents. 

Enfin, j’ai trouvé l’écriture solide et déterminée : pas d’hésitations, aucun flottement, l’auteure sait exactement où elle va. L’atmosphère très oppressante contribue à faire émerger ce message final absolument terrible et sans appel.

« Les enfants du serpent » saura ravir les amateurs du genre !

Parution chez IFS Phénix Noir le 9 octobre 2023

Une autre excellente lecture publiée chez Phénix Noir : SUSPICION(S), Ophélie Cohen – Phénix Noir, paru le 10 avril 2023.

La comptine chantée « Yembélé, Yembélé »

Lien vers les éditions Phénix Noir

16 réflexions sur “Les enfants du serpent, Clarence Pitz

  1. Je suis tellement heureuse de lire cette chronique ! Et, comme à ton habitude, tu livres un avis détaillé et sensible qui rend bien hommage à ce livre ! ❤️

  2. Aude Bouquine dit :

    Merci pour ce conseil de lecture fort avisé ! J’ai vraiment beaucoup aimé. Une belle découverte ♥️

  3. Ça change, une fois, dans ce sens-là 😅

  4. laplumedelulu dit :

    Merci pour la chronique 🙏 😘. Il est sur ma whislist.

  5. Aude Bouquine dit :

    Bonne pioche !!

  6. Aude Bouquine dit :

    J’ai encore le Gilles Marchand qui m’attend 😉
    On sera bientôt à égalité 🥰

  7. Ah oui, juste, je l’avais oublié, celui-là ! 😅

  8. Yvan dit :

    Ce ressenti très fort confirme mon envie de me plonger dans ce livre et de découvrir le talent de l’autrice dont on me parle depuis un moment. Quand le thriller apporte du sens, ça change la donne

  9. Aude Bouquine dit :

    Oui 🙌. Excellent ♥️

  10. Aude Bouquine dit :

    On en discutera quand tu l’auras lu ! Vraiment un bon thriller ♥️

  11. Anonyme dit :

    Bon OK après ton avis, et l’insistance de Nathalie, il faut que je le mette sur ma wl

  12. Pas du tout étonnée, je suis 😉

  13. J’ai beau avoir mis ce roman dans ma liste d’envies, une part de moi doute de l’ouvrir un jour. J’ai peur que le sujet soit trop éprouvant à lire. Cela étant, comme toujours ta chronique est superbe !

  14. Aude Bouquine dit :

    Il est éprouvant au début surtout car le sujet est vraiment fort…

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