« Tant de nuances de pluie» et tant de douleurs…La famille de Nori est issue de l’une des plus nobles du Japon, proche de celle de l’empereur. La Famille Kamiza. Respectée. Honorée. Exigeante.
« Tant de nuances de pluie » est l’histoire de Nori, cette petite fille née d’une mère japonaise et d’un « gaijin », un étranger à la peau noire.
« Il est judicieux pour une femme d’apprendre le silence, lui disait-elle toujours. Une femme aura beau ne posséder aucune connaissance, elle saura au moins se taire. »
C’est face aux souvenirs de ces paroles que Nori se retrouve devant la demeure de sa grand-mère lorsque sa mère l’abandonne. Nori a 8 ans. Nous sommes à Kyoto en 1948.
Le seul conseil que lui donnera sa mère sera celui-ci :
« Promets-moi que tu obéiras à tout ce que l’on te demandera. Sans poser de questions. Sans résister. Sans croire que réfléchir pourra t’aider. Contente-toi de sourire, de faire ce qu’on te dit. La seule chose plus importante que ton obéissance sera ta vie. L’air que tu respires. Promets-le-moi. »
Alors, Nori obéira, cédera à tout les injonctions de cette grand-mère qu’elle voit très peu… Car Nori vit enfermée dans un grenier, là où personne ne peut la voir, dans une maison fantomatique où son temps s’écoulera entre bains à l’eau de javel pour le rendre plus « japonaise » et lissage quotidien de ses cheveux jugés trop crépus. Lorsque sa grand-mère Yuko lui fait l’honneur d’une visite, soit 1 à 2 fois par mois uniquement pour constater sa croissance, c’est presque toujours pour la battre afin que l’obéissance fasse partie d’elle.
Le temps passe. Nori grandit sans affection, seule. Son temps est rythmé par les obligations imposées, quelques cours donnés par un précepteur et les visites d’Akiko, la seule de la maisonnée à veiller un peu sur elle. Jusqu’au jour où… une voix d’homme viendra tout changer…
« Tant de nuances de pluie » raconte la vie. Une vie qui commence mal, une vie où tout geste est sévèrement réprimandé, une vie où les rires ont disparu, au cœur d’une maison où seules les apparences comptent, et où les règles doivent impérativement être respectées. Quoiqu’il en coûte. Un destin sombre où l’on assène sans aucune pitié des mots terribles : « Tu n’es qu’une fille maudite, vouée à la déchéance. », car Nori sent bien que d’une façon ou d’une autre, elle est liée à cette guerre qui a si lourdement frappé le Japon.
La petite fille maudite n’a aucune idée de la vie qui l’attend, peut-être finira-t-elle par mourir là au fond de son grenier ? Que prépare cette grand-mère qui vient s’enquérir régulièrement de sa taille et de son poids… De l’arrivée de ses menstruations…
Car dans « Tant de nuances de pluie », le bourreau est une femme. Le sauveur, lui, un Messi inespéré. Ces deux-là devront s’apprivoiser pour conquérir leurs cœurs respectifs. À travers lui, elle apprendra la vérité sur sa famille, sur sa mère, et sur sa naissance qui a détruit l’ordre familial.
Harenochiame. L’averse qui arrive après un beau ciel bleu. « Ame ». Pluie. La saison des pluies, tsuyu, comme disent les poètes. « Ils racontent qu’il existe cinquante mots différents pour dire “pluie”. Il y a tant de nuances de pluie qu’il faut un mot pour chacune d’entre elles. » Et dans ce roman, c’est exactement cela que l’on trouve : de nombreuses nuances de pluie dans le cœur de cette femme en devenir, des émotions qui valsent entre automne et printemps, une âme qui se fige souvent dans les frimas de l’hiver, et qui renaît lors de petites joies parfois si insignifiantes qu’elles en deviennent paradoxalement puissantes.
On trouve beaucoup de grâce et de pudeur dans l’écriture d’Asha Lemmie. « Tant de nuances de pluie » n’est pas un récit larmoyant. C’est une odyssée qui traverse les années au gré des vents et des tempêtes vécues par Nori, enfant innocente qui n’a pas choisi son destin. Pourtant, de nombreux rayons de soleil viennent éclairer le roman d’une belle force, appuyant l’idée que chacun peut intervenir sur son existence même quand tout semble écrit d’avance. Une force insoupçonnée et vivace nous habite parfois même lorsqu’elle semble bien cachée. Peut-être suffit-il de ne pas obéir aveuglément pour la laisser s’échapper ?
Parution chez Harper Collins le 4 octobre 2023.
Lien vers le site de Asha Lemmie et son prochain ouvrage à paraître
Découvrez aussi :
CINQ PETITS INDIENS, Michelle Good – Seuil Voix Autochtones, paru le 10 mars 2023.
Ca à l’air d’être une belle histoire, il me tente beaucoup pour le coup.