« Trois vies par semaine » est le nouveau roman de Michel Bussi. L’année dernière, il m’avait épatée avec son titre « Nouvelle Babel », aujourd’hui paru en poche. « Trois vies par semaine » débute par la découverte d’un cadavre tombé dans un gouffre, « plus profond qu’un immeuble de trois étages ». La capitaine Katel Marelle est dépêchée sur place. Elle ne tarde pas à se rendre compte que ce corps appartient à Renaud Duval, mais, dans la boîte à gants de sa voiture, les autorités trouvent son permis de conduire, ou plutôt ses permis de conduire… Trois pour être exacte. Trois permis au nom de trois conducteurs différents, Renaud Duval, Pierre Rousseau et Hans Bernard. Les photos d’identité sont toutes les trois strictement identiques, les dates de naissance mentionnées sur les documents le 29 janvier 1977 identiques aussi. Seuls les lieux de naissance diffèrent. Renaud est né à Charleville-Mézières, Pierre à Paris, Hans à Mende en Lozère. Cette affaire, qui semblait simple, a priori un suicide, pose question, justement à cause de ces trois identités. La capitaine décide d’aller rencontrer la femme de Renaud Duval, Agnès, dite Nanesse. C’est le début d’une enquête fastidieuse, où chacun cherche à comprendre qui est réellement Renaud Duval, pourquoi il possède trois patronymes, et comment aucune de ses compagnes ne s’est rendu compte du subterfuge…
Qui était Renaud Duval, la victime ? Marié à Agnès Duval durant 28 années, ils ont eu deux enfants ensemble, il était ingénieur pour une grosse entreprise de décolletage qui l’obligeait à s’absenter une semaine par mois.
Qui était Hans, en couple avec Vicky Malzieu, elle-même mère d’une petite Lola, qui est devenue tout naturellement la fille d’adoption de Hans ?
Qui était Pierre auteur de « Nous, pauvres marionnettes », marié à Eléa, atteinte du syndrome d’Asperger qui a pris l’habitude de discuter avec son cerveau qu’elle surnomme « Brain » ?
Et surtout, comment cet homme est-il parvenu à mener une triple vie, sans qu’aucune de ses femmes ne se rende compte de rien ?
Quelques indices sont laissés çà et là par Michel Bussi, notamment par l’intermédiaire de certains personnages. « Il était à l’aise partout, Renaud, c’est pour ça que je l’admirais. Il avait ce don, je ne sais pas comment l’appeler, une faculté d’adaptation, de se fondre dans le décor ambiant, de te répondre exactement ce que tu avais envie d’entendre. Il aurait pu être espion. Il l’était peut-être, d’ailleurs. » Je vous l’accorde, cela nous apprend simplement que Renaud était un caméléon, mais en aucun cas cela n’explique quoi que ce soit. Il faut dire que pour mener trois vies de front, il semble nécessaire d’avoir certaines aptitudes et un sacré sens de l’organisation ! Ce mystère à résoudre n’est pas pour déplaire à la capitaine Katel, qui est certainement mon personnage préféré de ce roman. Dans son genre, elle est unique ! Qu’est-ce qu’elle m’a fait rire ! Elle possède une répartie hors du commun, son humour est décapant et cela faisait bien longtemps que je n’avais pas autant ri en lisant un polar !
Dans « Trois vies par semaine », Michel Bussi nous emmène à nouveau côtoyer le monde de l’art. Cette fois-ci, nous sommes plongés dans l’univers des marionnettes fabriquées, collectionnées, puis parfois utilisées lors de spectacles. En tout cas, ces marionnettes sont présentes absolument partout, dans chaque foyer. Et comme les fils invisibles qui permettent de leur donner vie, l’auteur nous manipule lui aussi. Le parallèle fait entre l’homme et la marionnette est d’ailleurs, fort intéressant, et revient de façon récurrente. « Que retient-on de nous, une fois nos vies froissées ? Nous, pauvres, marionnettes. On s’anime un jour, on croit vivre, on croit être libre, on détourne les yeux pour ne pas voir les fils de nylon, le décor de carton, on a si peur que le spectacle s’arrête, que tombe comme un couperet, le rideau du castelet, de ne redevenir que ce qu’on a toujours été : un jouet, ballotté par des forces invisibles, le temps d’une danse dans la lumière, avant d’être à nouveau rangé dans un tiroir, à plat dans le noir. » Parallèlement, et très mystérieusement, chaque grande partie du roman commence par une citation tirée d’un ouvrage d’Arthur Rimbaud. De quoi ajouter un peu plus d’opacité à un contexte déjà bien nébuleux…
Je dois bien avouer que « Trois vies par semaine » m’a donné du fil à retordre. J’ai fait des calculs savants pour tenter de comprendre où était Renaud une semaine sur quatre et comment il avait fait pour contenter les deux autres femmes de sa vie. J’ai imaginé plusieurs scénarios qui se sont tous révélés faux, bien évidemment. À de nombreuses reprises, je me suis dit que Michel Bussi n’arriverait pas à s’en sortir sans tomber dans l’invraisemblance, et qu’il allait forcément se planter…. Que j’allais être déçue, que j’allais être frustrée, que j’allais balancer le bouquin par la fenêtre ! Même lorsque sont apparus des apartés (vous n’aurez aucun mal à les reconnaître dans le roman), j’ai pensé que ces parenthèses permettaient simplement aux lecteurs de découvrir un pan de l’histoire familiale. Et que Michel Bussi ne s’en sortirait pas… J’ai tout imaginé, tout envisagé, tout tourné et retourné dans ma tête, j’ai même pris des notes, fait des schémas, des arbres généalogiques par famille. Et, je n’ai rien vu ! Je me suis pris la révélation finale en pleine face, c’est le cas de le dire. Et je ne sais pas comment expliquer ne pas avoir vu ce twist venir ! Les indices étaient donnés, alors certes, très discrètement, mais quand même !
Comme le dit si bien Eléa : « Les plus grands secrets du monde ne se cachaient-ils pas là ? Dans notre tête ! Le seul et dernier coffre-fort véritablement inviolable, dans un monde où tout est filmé, espionné, commenté. »
L’esprit retors de Michel Bussi a encore frappé, et son talent de marionnettiste n’est plus à démontrer.
NOUVELLE BABEL, Michel Bussi – Pocket, paru le 2 mars 2023.
RIEN NE T’EFFACE, Michel Bussi – Presses de la Cité, sortie le 4 février 2021
Ecoutez un extrait de Trois vies par semaine en version audio