« Les malvenus » place son intrigue en 1917 dans un petit village appelé Haut-de-Coeur, en Bourgogne. Rien n’est tout à fait anodin dans ce roman : ni le titre, ceux qui arrivent au mauvais moment, ni le nom du village qui évoque des nausées. Ni la période, 1917, une année où la Première Guerre fait rage. Ni le cadavre d’un homme retrouvé dans une cave, la gorge tranchée de part en part. Ni le couvent des Ursulines où des sœurs au grand cœur officient. Car, à Haut-de-Coeur, beaucoup d’enfants sont recueillis par ces sœurs, abandonnés par leurs parents. Matthias Lavau, l’enquêteur est de ceux-là. La victime, unanimement détestée de tout le village, Thomas Sorel dit TS, est de ceux-là. Sa femme, Jeanne Sorel, est de ceux-là. Le couvent et celles qui y officient sont donc des personnages centraux du roman. De même que tous ces enfants qui ont grandi ensemble à l’abri de ses murs.
« Les malvenus » est avant tout un roman noir d’atmosphère : un huis clos dans un petit village de campagne en plein hiver où tous les habitants se connaissent et souvent se détestent. La présence d’une dame blanche qui hante les bois. La puissance du loup protecteur qui semble presque apprivoisé. Puis deux enquêteurs dépêchés sur les lieux. Matthias Lavau qui a la particularité de posséder une redoutable mémoire photographique et son assistante Esther Louve une mémoire auditive. Pour comprendre ce qui s’est joué lors de la mort de Thomas Sorel, une raclure de la pire espèce qui battait sa femme, il faudra revenir dans le passé, au commencement…
« Les malvenus » fait partie de ces livres où l’on doit sans arrêt se rappeler dans quelle époque nous sommes, car, si Audrey Brière la place en 1917, le lecteur a bien du mal à s’en souvenir. On se croirait au Moyen-Age, et l’ambiance décrite y concourt largement, entre le Comte de Maison-Rouge, et l’omniprésence de l’Église à qui l’on confère un certain pouvoir. L’assassinat d’une ordure finie dont le corps est retrouvé dans la cave de sa belle-mère méritait-il réellement une enquête ? Après tout, bon débarras !! C’est sans compter l’obstination et l’acharnement de Matthias Lavau qui, en revenant aux sources, retrouve également un morceau de son histoire personnelle et intime. Les sœurs qui s’occupaient de ces enfants non désirés étaient de secondes mères. Aimées, car affectueuses, elles ont toutes laissé des souvenirs impérissables aux enfants passés entre leurs mains. Son assistante Esther est bien plus mystérieuse… Son passé est trouble, ses secrets semblent nombreux. Elle a l’air de connaître les lieux, mais n’en fait pas mention. Elle est acharnée, dure à la tâche, et totalement dévouée à sa mission. Ces deux personnages sont le socle du récit. Ils se fondent parfaitement dans le décor peu engageant, révèlent peu à peu leurs personnalités et lèvent le voile sur leurs secrets. Pour l’un, il s’agit de son passé au couvent, pour l’autre… à vous de le découvrir.
Une atmosphère oppressante, un village inquiétant, des personnages pugnaces sont des bases très solides pour écrire un roman noir et Audrey Brière nous immerge totalement dans ce temps et en ces lieux pour densifier l’intrigue. En effet, ce meurtre n’est pas simplement un crime commis par hasard sur une crapule qui sans doute le méritait. Les ramifications de cette exécution remontent à bien plus loin : au temps des amitiés enfantines. Si vous me suivez, vous savez à quel point cette thématique précise me touche : des liens indéfectibles, une histoire commune inaltérable, une confiance réciproque. Dans « Les malvenus », l’histoire de ces gamins dont personne n’a voulu m’a profondément touchée. Non pas parce que je les ai plaints, mais parce qu’ils s’en sortent et défient sans cesse le destin qui leur été tracé. Il n’y a pas de temps pour l’apitoiement, il n’y a de temps que pour l’action, et pour la lutte contre la vie qui a distribué de mauvaises cartes à la naissance. Audrey Brière se permet aussi un mélange des genres qui m’a semblé fort à propos : roman noir, roman gothique, roman historique, roman fantastique. L’ensemble est une réussite.
Enfin, j’ai été passionnée par les prémices de ce que l’on appellera plus tard la police scientifique, à travers les méthodes d’enquête de Matthias Lavau qui a fait ses classes entre Lyon et Paris. Alphonse Bertillon a créé un système d’identification des criminels basé sur la mesure de diverses parties du corps humain, connu sous le nom d’anthropométrie. Cette méthode est utilisée par Esther. En 1901, le policier britannique Edward Henry a mis au point le système d’identification par empreintes digitales, utilisé ici par Matthias. J’aime cette période où les enquêteurs ne disposaient finalement de pas grand-chose pour résoudre les crimes qu’on leur confiait. Ici, les balbutiements de ces techniques aident à asseoir cette atmosphère nébuleuse, parfois occulte ou surnaturelle.
Pour conclure, j’ai passé un excellent moment immergée dans « Les malvenus ». L’atmosphère que l’écrivaine crée, la combinaison de plusieurs genres littéraires bien dosés, la force des personnages, leurs vécus, leurs failles et la résurgence de leurs souvenirs en font un roman noir d’excellente facture. Je ne peux que vous le recommander !
La collection littéraire cadre noir de chez Seuil
Emballé, c’est pesé, me voilà convaincu !
Merci de me donner envie comme ça, Aude. Ma whislist vient de se barrer 🤣.
Et un de plus. Quand je dis qu’il faut que j’évite de te lite🤦♀️🙈