Aude Bouquine

Blog littéraire

Benoît Philippon possède l’art du récit. Il a les images dans sa tête et y appose des mots. Rajoutez à cela une vraie dextérité des dialogues, de la virtuosité dans les échanges, une sacrée dose d’humour, des personnages hauts en couleur et un vrai scénario, vous obtenez ici tous les ingrédients nécessaires pour monter un vrai bon film… sauf qu’ici, le film est sur papier. L’aspect cinématographique de ses romans est sa marque de fabrique. Plus visuel, tu meurs. Au centre, il construit de vrais personnages susceptibles d’être croisés dans la vie réelle. Une mamie Calamity Jane dans « Mamie Luger », une tornade féminine dans « Joueuse », un père looser de formation dans « Petiote ». 

Gus a perdu la garde de sa fille Emilie, une vraie ado qui se respecte en pleine phase de rébellion boutonneuse, caractère de chacal en sus. Il est bien décidé à ne pas accepter cette décision de la juge aux affaires familiales et monte un plan, aussi rapidement qu’une envie de pisser, et aussi bancal qu’il est possible de l’être : prendre en otage tous les résidents du love hôtel où il vit pour se faire entendre. Certains font la grève de la faim, d’autres montent sur des grues, Gus lui, sans doute est-ce dû à son prénom un peu clownesque décide de prendre les armes et embarque dans son délire Georges le tenancier, Boudu un sans domicile fixe recueilli là, Fatou une migrante enceinte jusqu’aux dents qui en a déjà beaucoup bavé, Cerise une prostituée à perruque, Gwen et Dany un couple qui se retrouvait là clandestinement, Hubert un livreur fan de pétards, et Sergueï un marchand d’armes qui ne fait pas dans la dentelle. Son but ? Se faire affréter un Boeing pour s’enfuir avec sa fille au Venezuela. Pour gérer cette situation de crise (de larmes), les autorités lui collent une négociatrice dans les pattes, Mia elle-même mariée avec une version intéressante de Steven Seagal. 

Si le plan est foireux version XXL, et que le lecteur est un peu mis dans la confidence d’un sagace « ça ne peut pas marcher », il se prend d’une tendresse profonde pour les personnages, chacun pour des raisons différentes que Benoît Philippon révèle par petites doses homéopathiques. Comme dans les films du même genre, le spectateur est du côté du méchant, parce que ce méchant-là est tellement humain, qu’on a envie de l’adopter séance tenante. Gus est gauche, désorganisé, manque d’anticipation dans ses actions, mais qu’est-ce qu’il est touchant et attendrissant ! Un vrai papa poule qui veut voir les yeux de sa fille briller à nouveau et faire remonter sa cote de popularité. 

Sous des airs burlesques, des scènes d’anthologie, des bons mots et de grands éclats de rire, l’auteur aborde néanmoins des thématiques plus « sérieuses ». Ce sont ces sujets-là qui déclenchent les émotions. Sous les masques vaudevillesques de ces personnages singuliers, mon cœur faisait « boum ». L’humanité qui se dégage de chacun d’eux ne peut qu’émouvoir, même si la forme du projet est confondante de stupidité, le fond est tellement altruiste qu’on leur pardonne tous les écarts. Au passage, Philippon adresse quelques crochets du droit bien envoyés : journalisme de caniveau, réseaux sociaux et fake cnews, violences faites aux femmes, décisions de justice incompréhensibles par exemple. Ça fait du bien par où ça passe !

« Petiote » est un concentré de bonne humeur, bien écrit, bien construit, riche d’actions et de sujets plus sociétaux. Benoit Philippon se distingue par une plume qui n’appartient qu’à lui, visuelle, sensorielle et profondément humaniste. L’essayer c’est l’adopter. 

JOUEUSE, Benoît Philippon – Les Arènes, sortie le 4 mars 2020.

 

4 réflexions sur “PETIOTE, Benoît Philippon – les Arènes, sortie le 12 mai 2022.

  1. Yvan dit :

    voilà une belle mise en image de ce livre ;). Tout est dit !

  2. Anonyme dit :

    Tu donnes envie et je n’ai jamais lu Benoît Philippon🤷‍♀️

  3. Aude Bouquine dit :

    Une vraie identité, une vraie patte, de la forme, du fond. Tout y est !

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